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Petits arrangements avec la loi

À la une | publié le : 05.05.2014 | Stéphane Béchaux

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Petits arrangements avec la loi

Crédit photo Stéphane Béchaux

En théorie très encadré, le recours au temps partiel donne lieu à toutes sortes de contournements des règles. Sans grand danger pour les employeurs, en position de force face à des publics fragiles.

Un petit tour sur les forums de discussion en ligne suffit pour s’en convaincre. Contrairement aux idées reçues, le recours au temps partiel obéit à des règles complexes. Plutôt que de se coltiner le Code du travail, voire leurs accords de branche dérogatoires, bon nombre de salariés échouent sur le Web, dans l’espoir d’obtenir réponse à leur problème. Telle cette conseillère de vente en parapharmacie qui, à force de faire des heures complémentaires, croit savoir que la durée du travail prévue dans son contrat doit être augmentée. Ou cette caissière dans un cinéma qui s’étonne de faire des heures en plus non majorées. Ou, enfin, cette vendeuse agacée par la modification perpétuelle de ses horaires de travail. Trois cas bien mal résolus sur la Toile, au vu des réponses erronées…

De fait, la réglementation ne cesse d’évoluer. Dans les années 1990, les patrons pouvaient, par exemple, recourir au temps partiel annualisé par la voie contractuelle. Une possibilité interdite depuis les lois Aubry, qui marquent le début du processus de sécurisation des travailleurs. « L’histoire du temps partiel, c’est l’histoire d’ajouts successifs de règles précises et prescriptives visant à l’encadrer », confirme Franck Morel, avocat chez Barthélémy et auteur de Durée et aménagement du temps de travail (Éditions Groupe Revue fiduciaire). Parmi celles-ci, la limitation des heures complémentaires et l’obligation de fixer à l’avance la répartition des horaires et les cas éventuels de modifications. « La législation est extrêmement rigide. Elle multiplie les formalités à respecter, alors que les temps partiels sont censés offrir de la flexibilité aux entreprises », observe Déborah David, avocate chez Jeantet. Des contraintes que la loi de sécurisation de l’emploi augmente encore. Avec le risque de voir, en théorie, les tribunaux requalifier les contrats mal bordés en CDI à temps plein. À la clé, des ardoises salées pouvant atteindre des dizaines de milliers d’euros.

Sauf que la réalité est tout autre. Dans les entreprises, les entorses sont légion. Et presque jamais sanctionnées. « Les salariés à temps partiel ne connaissent pas leurs droits, ils sont en position de faiblesse. Très peu sont prêts à entrer en guerre contre leur patron, encore moins à saisir les prud’hommes », explique Éric Scherrer, président du syndicat Unsa des employés du commerce. Il en va ainsi du respect des termes du contrat de travail. D’après la législation, l’employeur doit fixer la répartition de la durée du travail sur les différents jours de la semaine et les cas éventuels de modification. Des garde-fous visant à éviter que le salarié ne reste en permanence à la disposition de son patron. Des règles régulièrement bafouées. « Dans les TPE et les PME, certains employeurs n’indiquent ni plages horaires de travail ni jours habituels de repos dans les contrats. Ou n’en tiennent pas compte dans la constitution des plannings », dénonce Didier Del Rey, chargé de l’hôtellerie-restauration à l’Union CGT du commerce et des services de Paris.

Même problème avec les délais de prévenance. En théorie, ils ne peuvent être inférieurs à sept jours ouvrés, sauf accord collectif pouvant les ramener à trois. Mais ce cadre strict est soumis à toutes sortes d’arrangements. « Dans l’habillement, les vendeuses constituent une variable d’ajustement. Quand c’est calme, il arrive qu’on demande aux filles de rentrer chez elles. C’est illégal mais elles n’osent pas protester », confie la cégétiste Valérie Pringuez, qui officie chez Pimkie et à l’union locale de Roubaix.

AVENANTS TEMPORAIRES

À l’inverse, en cas de pic d’activité, les employeurs n’hésitent pas à multiplier les heures complémentaires. Quitte à s’affranchir des plafonds légaux ou conventionnels, qui en limitent théoriquement le volume. Un principe souvent foulé aux pieds, tout comme cette autre règle qui oblige l’employeur à augmenter de façon définitive la durée du travail des salariés ayant effectué au moins 2 heures complémentaires pendant douze semaines consécutives. Un cliquet à la hausse issu des lois Aubry mais presque jamais mis en œuvre.

Plutôt que d’ignorer la loi, de nombreuses enseignes tentent de la contourner. En faisant preuve de créativité. Pratique la plus utilisée, le recours aux « avenants temporaires ». Le principe ? Proposer aux salariés d’augmenter contractuellement leur temps de travail sur une période limitée. En précisant bien que ces « compléments d’horaires » n’ont pas le caractère d’heures complémentaires. Une astuce pour s’affranchir de toute majoration, de tout plafonnement et de toute réévaluation automatique de la durée contractuelle de travail. Fnac, Virgin, Ikea, McDonald’s, Castorama… De très nombreuses enseignes se sont engouffrées dans cette brèche, ouverte dès 1997 par les entreprises de nettoyage. À leurs risques et périls. En décembre 2010, la Cour de cassation a mis par terre le bel édifice, en considérant que ces « compléments horaires » constituent bien des heures complémentaires.

Une jurisprudence qui a obligé les entreprises à se remettre dans les clous. À l’image d’Ikea qui, sous la pression de la CFDT, a consenti l’été dernier à verser des rappels de salaire à quelque 2 850 employés. Pour un coût total supérieur à 2,5 millions d’euros. « La direction a fait traîner les discussions pour bénéficier de la prescription triennale. Mais on a obtenu gain de cause. Certains salariés ont reçu jusqu’à 4 000 euros », assure le cédétiste Jean-Paul Barbosa. Les anciens de Virgin peuvent, eux aussi, tenter leur chance, le TGI de Paris ayant annulé, en décembre, les « avenants contractuels » signés massivement pendant dix ans par le distributeur. « On va attaquer le mandataire judiciaire et l’AGS pour obtenir une réévaluation des indemnités de licenciement, des allocations chômage et des droits à la retraite », explique Sylvain Alias, de SUD Virgin, à l’origine du contentieux. Chez Casto, pas de condamnation. Mais des consignes strictes. « Dans l’attente d’un (éventuel) accord de branche, renoncez aux avenants », ordonne l’enseigne à ses directeurs de magasin, dans un document interne remis en janvier. La loi de sécurisation de l’emploi donne en effet une existence légale à ces avenants. Mais conditionne leur utilisation à un accord de branche étendu.

D’autres secteurs font preuve d’inventivité pour s’extraire du carcan. Telles les entreprises de services à la personne. Jugeant la réglementation inadaptée à leur activité, elles ont inventé un nouveau concept, celui du travail à la carte. À l’instar du leader du marché, le groupe O2, qui, depuis des années, fait massivement signer à ses employés des CDI à 8 heures hebdomadaires. Tout en proposant aux volontaires de travailler davantage. Des heures choisies non plafonnées ni majorées. « Il ne s’agit pas d’heures complémentaires car on ne les impose pas. Le salarié qui ne veut pas travailler plus n’a aucune obligation de le faire », justifie Jean-François Auclair, le DRH. La subtilité lui vaut néanmoins des contentieux, qui l’ont incité à revoir sa copie. D’ici à septembre, O2 va déployer un accord de modulation du temps de travail signé par FO et la CFDT. De quoi lui permettre de faire varier l’activité des salariés de plus ou moins 40 heures chaque mois par rapport à la durée moyenne.

Le temps partiel modulé permet d’adapter la durée du travail. Sans plafond ni majoration
À PRENDRE OU À LAISSER

Ce recours au temps partiel modulé, dont la mise en place nécessite un accord collectif, intéresse de très nombreux employeurs. Dans les services à la personne et ailleurs. Et pour cause : tout comme les avenants temporaires, ces contrats permettent d’adapter la durée du travail aux fluctuations d’activité. Sans majoration ni plafond, pourvu que l’entreprise se dote d’un logiciel de planification des temps performant et suive les compteurs individuels mois après mois. « C’est une piste intéressante pour les entreprises capables d’estimer l’enveloppe annuelle d’heures de travail dont elles ont besoin. Mais qui ne permet pas de déroger à la durée minimale de travail, qui sera calculée sur l’année et non la semaine », prévient l’avocat Franck Morel. Pas sûr que les salariés y trouvent leur compte : avec des horaires fluctuants, difficile d’organiser la garde de ses enfants ou de cumuler plusieurs emplois…

Pas toujours tatillons avec la réglementation, les employeurs vont désormais devoir s’arranger d’une nouvelle contrainte, qui les inquiète : le plancher des 24 heures hebdomadaires. Au dire des syndicalistes, les quelques secteurs en avance sur la loi ont jusqu’ici plutôt joué le jeu. Dans la grande distribution, les commerces et services de l’audiovisuel ou chez les succursalistes de l’habillement, les propositions d’emploi respectent ainsi peu ou prou les minima conventionnels. « Dans les hypermarchés Carrefour, on n’est pas encore à 100 % de temps partiel choisi mais les choses ont clairement évolué dans le bon sens », admet par exemple le leader cédétiste, Serge Corfa. Ce qui n’a rien de très étonnant. Dans les branches avant-gardistes, les dirigeants ont veillé à s’imposer des seuils qu’ils savaient pouvoir respecter.

Ces bonnes pratiques n’interdisent pas les petits arrangements. Telle la multiplication des contrats étudiants pour échapper au seuil. Ou la pratique des vrais-faux volontaires. « Notre convention collective impose un minimum de 19 heures 30 hebdomadaires. Pour embaucher à moins, vous dites au candidat que c’est à prendre ou à laisser. S’il accepte, c’est qu’il est volontaire ! » illustre un manager de la Fnac.

Une technique toute simple, qui devrait faire florès. Car la loi permet de déroger aux 24 heures « sur demande écrite et motivée du salarié » liée à des « contraintes personnelles » ou au souhait de cumuler plusieurs activités. Un trou béant dans le filet qui donnera lieu à toutes sortes de contentieux (voir encadré). Mais dans lequel les employeurs vont massivement s’engouffrer. « Aucune loi ne peut obliger un dirigeant à recruter un salarié pour une durée supérieure à ses besoins. Dans les PME, il y aura du volontariat forcé, rien ne changera », pronostique un expert-comptable du cabinet In Extenso.

Cet avis est partagé par beaucoup de syndicalistes, mais aussi de spécialistes du droit. « On peut s’interroger sur la liberté dont dispose le demandeur d’emploi à qui on propose moins de 24 heures hebdomadaires tout en le priant d’en former la demande motivée et l’invitant à chercher un second employeur ! » ironise ainsi, dans la Revue de droit du travail, Évelyne Serverin, directrice de recherche au Centre de théorie et analyse du droit de l’université de Nanterre. Une remarque qui vaut aussi pour les salariés en poste. De surcroît en période de chômage de masse…

68,3 %

des salariés déclarent avoir fait le choix du temps partiel. Motifs invoqués :

Volontaires pour la vie…

Impossible de concevoir une législation sur une durée minimale de travail sans prévoir une échappatoire pour les salariés non demandeurs. Normal : par choix ou par contrainte, un certain nombre d’entre eux ne souhaitent pas travailler 24 heures par semaine… Pour ceux-là, la nouvelle loi prévoit qu’ils puissent y déroger, à condition d’en faire une demande écrite et motivée à leur employeur. Une option qui ouvre la voie à toutes les interprétations. « Chez nous, la direction considère qu’il n’y a que du temps partiel choisi. Elle explique que le salarié qui travaille quelques heures par semaine est volontaire puisque rien ne l’oblige à accepter le poste », confie un syndicaliste du bricolage. Des situations qui ne manqueront pas de se présenter massivement à l’avenir, pour les nouvelles recrues comme pour les salariés déjà en poste. Et qui nourriront d’inévitables contentieux. Les uns porteront sur le consentement vicié du salarié, expliquant au juge l’impossibilité d’obtenir ou de garder son poste sans arguer d’une soi-disant contrainte personnelle. D’autres porteront sur l’évolution de la situation du travailleur en cours de contrat. Avec une vraie question : les raisons personnelles – garde d’un enfant en bas âge, cumul d’emplois, poursuite d’études… – ayant justifié la dérogation aux 24 heures valent-elles pour toute la durée du contrat ? Ou faut-il les reconsidérer en cas d’évolution de la situation de l’intéressé ?

Auteur

  • Stéphane Béchaux