Étonnant paradoxe : la plus féroce critique sociale du traitement de la crise grecque par l’Europe vient sans doute d’être publiée sous la plume de Matthieu Pigasse, dirigeant de la banque Lazard, symbole de ce que le capitalisme financier peut mettre de plus sophistiqué au service de l’argent. L’auteur n’y va pas de main morte, qui dénonce la « barbarie de l’austérité », fustige « la crise qui tue », citant des études qui démontrent la corrélation entre chômage et suicide. Pour l’ancien conseiller de Laurent Fabius à Bercy, la crise financière mondiale de 2008 a mis au jour la dangerosité des théories des néolibéraux appliquées depuis près de quarante ans. Selon lui, les tentatives de retour à la croissance dans nos pays « matures » sont grevées par une démographie déclinante et une productivité en panne. Quant aux inégalités, le banquier y voit un risque de rupture : « Nos sociétés sont devenues des poudrières, où la moindre étincelle peut provoquer un incendie impossible à éteindre. »

Comment sortir du piège ? L’auteur a sa réponse : en s’affranchissant d’une normalité qui trop souvent rime avec passivité. Dans une dernière partie où les Sex Pistols et les Clash voisinent avec Debord et Freud, Matthieu Pigasse lance un appel à l’audace réformatrice. Son « New Deal », c’est le 3E : « Faire l’Europe, réformer l’État, donner Envie de nouveau. » Il fait le procès de nos coûts du travail, les plus élevés d’Europe, mais aussi fort peu flexibles. Et appelle à une « action de salut public » dans le logement, qui grève le budget des ménages, l’éducation, qu’il faudrait d’urgence repenser, et la réduction des dépenses publiques. « Chassons la normalité, renouons avec l’exceptionnel. » Beau mot d’ordre qui suppose toutefois que tous les Français ont déjà accès à cette normalité.

Éloge de l’anormalité, Matthieu Pigasse. Éditions Plon. 190 pages, 14,90 euros.