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Le jobbing, entre petits boulots et vrais emplois

À la une | publié le : 03.04.2014 | Anne-Cécile Geoffroy

Ils sont particuliers, chômeurs, autoentrepreneurs… et se mettent en relation sur des sites d’offre et de demande de services. Bricolage, baby-sitting, mais aussi prestation informatique…, on y trouve de tout. Et au meilleur prix.

Jeune femme dynamique et sérieuse, maman de quatre enfants, souhaiterait reprendre une activité. Services proposés : jardinage, ménage et repassage. Prix : 10 euros l’heure. » « Administrateur d’une compagnie de théâtre, je vous propose de réaliser votre dossier presse pour 5 euros. » « Je cherche une personne pour tondre ma pelouse pour 30 euros. » « Menuisier expérimenté et auto­entrepreneur, je suis disponible pour poser du parquet, monter vos meubles de cuisine, changer vos fenêtres. Devis gratuit. » Toutes ces petites annonces ne sont pas affichées chez le commerçant du coin, mais sur la Toile.

Ces derniers temps, leur nombre a explosé pour répondre aux 65 millions de requêtes postées tous les mois sur le moteur de recherche Google afin de trouver vite et près de chez soi un jardinier efficace, une baby-sitter attentive, un plombier doué, un promeneur pour son chien. Des requêtes à l’origine de la création de sites de jobbing comme Frizbiz, YoupiJob, Jemepropose, SamRendService, 5euros.com, iFasTask, Mypetitjob et de sites de « services entre particuliers », comme OnBooje, Yooneed, SeFaireAider.

Toutes ces plates-formes ont pour point commun de mettre en ligne les offres de services entre particuliers et d’aider les uns et les autres à entrer en relation. YoupiJob, créé en septembre 2012, revendique déjà 70 000 membres : jobber à la recherche d’une activité ou « posteur » en quête d’un service. Près de 42 000 annonces sont disponibles sur le site Jemepropose. Deux tiers viennent de particuliers, les autres émanent de professionnels, artisans ou ­autoentrepreneurs. Pour se rémunérer, les sites prennent une commission sur le montant de la transaction réalisée. 15 % chez YoupiJob dans la limite de 60 euros, 13 % chez Frizbiz ou encore 1 euro pour le petit site Monabeille.fr. Jemepropose reste gratuit jusqu’à trois annonces sur le site puis devient payant quand SeFaireAider demande aux particuliers, souvent des autoentrepreneurs, de payer autour de 30 euros leur présence sur le site.

CONSOMMATION COLLABORATIVE

Ce mouvement a traversé l’Atlantique : les sites de jobbing, à l’instar de TaskRabbit, font un carton aux États-Unis. Il se rattache aussi à une autre tendance de fond, la consommation collaborative, à l’origine de sites Internet comme BlaBlaCar, qui a démocratisé le covoiturage, ou Airbnb, qui permet aux particuliers de louer leur logement le temps des vacances. « Le jobbing, c’est aussi une façon de consommer malin, souligne Augustin Verlinde, cofondateur de Frizbiz, une start-up basée à Roubaix qui a le vent en poupe. On peut enfin facilement dénicher la perle rare pour réaliser toutes ces petites tâches quotidiennes à faible ou moyenne valeur ajoutée. En échange d’une rémunération, un voisin peut vous rendre service. » Même des collectivités territoriales ont été séduites. Le jobbing est l’occasion d’offrir un nouveau service à leurs administrés. Comme, dans l’Eure, la communauté d’agglomération Seine-Eure qui propose depuis la rentrée un accès à la plate-forme Mypetitjob. « L’idée est de créer un réseau d’entraide pour faciliter la vie des salariés du territoire, explique Angélique Hébert-Hilaire, chargée du dossier pour la communauté d’agglo. C’est un service en continuité avec ce que l’on fait sur le covoiturage. »

Que ce soit sur les sites de jobbing ou de services entre particuliers, les profils de jobbers diffèrent peu d’une plate-forme à l’autre. Des particuliers – salariés, femmes au foyer, retraités, étudiants, autoentrepreneurs –, des artisans, mais aussi des chômeurs en activité réduite. Le nombre de ces derniers a doublé depuis 2009 pour atteindre plus de 1,5 million de demandeurs d’emploi. Quant au nombre d’actifs en sous-emploi, qui comprend notamment les salariés à temps partiel subi, l’Insee évalue leur nombre à 1,35 million en 2012. Un vivier de compétences qui explique en partie le succès de ces sites dont la principale promesse est d’arrondir des fins de mois difficiles.

YoupiJob calcule ainsi que le site permet un complément de salaire moyen de 800 euros par mois pour les plus actifs. « Le jobbing est en train de structurer la relation de travail entre les particuliers, assure Bertrand Tournier, fondateur de YoupiJob. On propose une nouvelle façon d’envisager le travail. Et on apporte des solutions à ceux qui veulent reprendre une activité. Un demandeur d’emploi de catégorie A peut passer en catégorie B. Et, s’il décroche plusieurs missions, il pourra choisir de devenir autoentrepreneur », argumente l’entrepreneur. « Nous sommes en dehors du domaine de l’emploi structuré, explique de son côté Fabrice Robert, cofondateur de Jemepropose, qui réunit davantage d’autoentrepreneurs dans sa base de données. On est très présents sur la prestation de services intellectuels mais aussi manuels. »

LE BRICOLAGE EN TÊTE

À ausculter les offres d’emploi proposées sur les différents sites, on trouve de tout à tous les prix. Les prestations de bricolage arrivent généralement en tête. Suivies par les activités de services à la personne. Mais pas seulement. « La vraie surprise, c’est de voir se développer les activités autour de l’informatique, du Web, du community management [animation d’une communauté sur la Toile, NDLR], de la photographie », constate le fondateur de Jemepropose.

Le site 5euros.com réunit d’ailleurs de nombreuses offres de prestations intellectuelles à côté de services totalement farfelus. Comme « Marie » qui propose d’écrire un message en cookies au chocolat pour 5 euros. « Majocom », étudiant en master d’anglais, est, lui, prêt à traduire un texte de 750 mots en anglais pour la même somme ; et « Rédacteurweb » d’optimiser le référencement de vos articles ! Des prestations intellectuelles complètement bradées, qui font fi du salaire minimum, soit 7,43 euros net l’heure. Hervé a arrêté ses activités sur YoupiJob. « Les annonces ne sont pas rentables et frisent parfois le ridicule. Par exemple : offre de 15 euros pour livrer des croissants, le prix incluant 8 croissants, les indemnités kilométriques et les frais de 15 % YoupiJob, sans oublier les impôts à payer sur les 15 euros, il ne me reste rien comme salaire. »

Les sites de jobbing nourrissent l’emploi intermittent. Ils sont devenus en quelques mois le paradis des autoentrepreneurs en quête de visibilité et des particuliers souhaitant travailler dans les services à la personne, l’un des rares secteurs à ne pas imposer de diplôme ou de niveau de qualification pour y accéder. Un domaine aujourd’hui bousculé par les promesses du jobbing qui profite d’une particularité culturelle bien française : 70 % des heures effectuées dans les services à la personne sont réalisées par l’emploi direct entre particuliers. Sur le site SamRendService, Lorelei fait du baby-sitting ou de l’aide aux personnes âgées pour 8 euros l’heure, du repassage pour le même prix. Un prix défiant toute concurrence !

Les sites de jobbing en font d’ailleurs un argument publicitaire. Les jobbers sont « jusqu’à trois fois moins chers qu’une entreprise », clame YoupiJob sur son site. De fait, un artisan qui paie ses charges restera toujours plus cher qu’un particulier, même déclaré ! « C’est le règne du n’importe quoi, constate Guillaume Richard, P-DG du groupe O2 qui opère dans les services à la personne et vice-président de la Fédération du service aux particuliers. Sur le fond, c’est très bien de favoriser l’emploi, mais pas n’importe comment. Ces sites ont une responsabilité envers des particuliers. Ils doivent les informer sur les risques du travail au noir mais aussi des problèmes de sécurité quand on intervient auprès d’enfants ou de personnes âgées. » Christophe Boullai, fondateur du site de services entre particuliers OnBooje, ne dit pas autre chose. « Nous ne sommes pas présents sur les petits jobs mais sur l’emploi entre particuliers, donc l’emploi légal. Là où beaucoup de sites de jobbing se contentent de mettre les personnes en relation, OnBooje leur propose tout le cadre légal avec paiement en ligne, déclaration à l’Urssaf et rémunération de l’intervenant. Les particuliers viennent sur notre site pour y chercher le cadre et la sécurité du salariat. »

TENTATION DU TRAVAIL AU NOIR

À la Fédération des particuliers employeurs (Fepem), Jean-Rémy Acar, le directeur général, ne ferme pas la porte à ces nouveaux venus. « Nous y sommes favorables car ils développent l’emploi direct entre particuliers et simplifient la mise en relation entre les gens. Notre seule réserve est de s’entendre sur ce que l’on met derrière le mot emploi. Et de ne pas franchir la ligne rouge du travail informel. » Car l’un des enjeux de la Fepem est de poursuivre la professionnalisation du secteur et de la relation d’emploi. Depuis vingt ans, l’emploi entre particuliers s’est doté d’une convention collective, d’un institut de formation professionnelle (Iperia) pour développer la formation des salariés des particuliers employeurs. L’an dernier, 180 000 personnes ont suivi des cours sur 1,7 million de salariés.

Autant d’avancées que le jobbing pourrait saper, selon certains acteurs. « Nous ne favorisons en rien le travail au noir, s’insurge Augustin Verlinde, chez Frizbiz. Nous informons les jobbers de leurs obligations. Si un autoentrepreneur décroche la mission, il doit présenter une facture. Si c’est un particulier, sa prestation sera réglée en Cesu. » Frizbiz a d’ailleurs embauché deux community managers qui répondent aux questions des jobbers dont beaucoup concernent la légalité de ces prestations.

Comme d’autres sites de jobbing, Frizbiz propose également une solution de paiement en ligne sécurisé, Payname. L’outil permet, d’un côté, de déclarer la prestation auprès de l’Urssaf et, de l’autre, auprès des services des impôts. Mais quel que soit le site, difficile de contrôler si, une fois sur place, les employeurs ne seraient pas tentés de minorer les heures de travail et de rémunérer une partie des prestations de la main à la main. Selon une étude commandée par l’Union nationale des entrepreneurs du paysage, le syndicat des paysagistes, le relèvement de la TVA de 7 % à 20 % a déjà incité 7 % des particuliers qui faisaient appel à des professionnels pour leurs petits travaux de jardinage à opter pour le travail au noir.

Les questions des jobbers de Frizbiz portent beaucoup sur la légalité des prestations

Les sites assurent également œuvrer pour promouvoir la qualité des services. « Nous avons basé tout le système sur l’e-réputation. Prestataires et clients se notent mutuellement. Plus le profil du jobber est renseigné, plus Frizbiz lui attribue des badges, sortes de recommandations, qui permettent aux clients de se sentir en sécurité », ajoute Augustin Verlinde. Autant de gages de bonne conduite que les acteurs du jobbing devront encore renforcer pour asseoir ce marché et booster la consommation collaborative.

“J’ai fini par me déclarer en autoentrepreneur”

LAURENT BECKER, 37 ans, jobber chez Frizbiz

Ça fait deux mois que je suis inscrit sur les sites de jobbing. Ma femme ne travaille pas et je devais vraiment trouver un revenu complémentaire. Je travaille comme technicien dans une association qui fait de l’hébergement social, et avec 1 450 euros par mois, j’ai du mal à payer mon loyer. C’est une collègue qui m’a parlé des sites comme Frizbiz, YoupiJob, Jemepropose… Dès que j’en trouve un, je m’inscris… J’ai déjà fait plus de 30 missions. Ça marche tellement bien que je me suis déclaré n autoentrepreneur pour les petits travaux électriques – ma formation d’origine. Au total, je travaille environ 50 heures par semaine. Au début, je prenais tout, pour bâtir ma réputation. Maintenant je suis plus sélectif.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy