logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

En finir avec l’imbroglio des procédures de modification du contrat

Idées | Chronique juridique | publié le : 05.03.2014 | Jean-Emmanuel Ray

« Imbroglio : du latin imbrogliare : embrouiller. Synonymes : enchevêtrement, confusion . » Littré. Avec les accords de mobilité (à froid) et de maintien dans l’emploi (à chaud), la loi du 14 juin 2013 a voulu faciliter les modifications du contrat pour prévenir les licenciements économiques. Mais coexistent aujourd’hui pas moins de cinq procédures différentes de modification.

Si la loi du 14 juin 2013 a provoqué un petit choc de simplifi­cation s’agissant des PSE, en matière de modification à l’initiative de l’employeur, les procédures se sont multipliées. D’où la nécessité d’unifier cet entassement de règles jurisprudentielles puis légales, sans oublier le sort particulier des CDD, et a fortiori celui des représentants du personnel bénéficiant d’un « statut exorbitant du droit commun ».

PROCÉDURE EN CAS DE « SIMPLE CHANGEMENT DES CONDITIONS DE TRAVAIL »

Le lien de subordination exige que le salarié se soumette à la volonté de l’employeur. Mais ce dernier doit user loyalement de son pouvoir de direction, dans le respect des stipulations contractuelles ou conventionnelles, sans discrimination ni détournement de pouvoir (exemple : rupture amoureuse par l’un conduisant à la mutation lointaine de l’autre). Et l’employeur ne doit pas se tromper de procédure, en utilisant à tort L. 1222-6 : pour les juges, c’est l’aveu d’une véritable modification, pouvant dès lors être refusée.

Mais un simple changement des conditions de travail pour les uns peut constituer une véritable modification du contrat pour d’autres, plus astucieux : ayant ici fait contractualiser un usage allant être dénoncé, là un lieu de travail précis donc intangible, ou encore les quatre heures supplémentaires devant être supprimées. À l’inverse, une mobilité à Shanghai est certainement une modification du contrat, mais en constitue la simple exécution en cas de clause de mobilité géographique à l’étranger. Sans parler des incertitudes sur l’étendue précise du « secteur géographique » de Vesoul ou de Bobigny, dont les conseils de prud’hommes ont parfois des appréciations divergentes. Sur ce terrain, la loi du 14 juin 2013 pourrait permettre d’améliorer la situation. Puisque, par accord collectif, les partenai­res sociaux ont le pouvoir de fixer une zone géographique de mobilité plus large, nos juges admettront-ils qu’ils puissent a fortiori délimiter précisément ce fameux « secteur » ?

PROCÉDURES EN CAS DE VÉRITABLE « MODIFICATION DU CONTRAT »

Depuis l’arrêt Raquin de 1987, principe en forme de retour au Code civil : « La modification de contrat par l’employeur, pour quelle que cause que ce soit, nécessite l’accord du salarié. » Même en cas de modification-sanction qui doit donc en respecter la procédure spécifique : une rétrogradation disciplinaire peut ainsi être refusée par un salarié, qui ne doit pas se faire trop d’illusions, la faute initiale permettant souvent son licenciement pour motif personnel. La novation ne se présume pas : il faut donc en principe obtenir l’accord exprès et écrit du salarié, une réponse positive mais conditionnelle (« J’accepte votre si alléchante proposition, à condition que ») constituant un refus. Et l’exécution du travail aux nouvelles conditions ne signifie pas acceptation : à tout moment le salarié peut prendre acte de la rupture en invoquant cette modification imposée. Si le Code lui-même ne prévoit ici ni procédure spécifique ni délai de réponse, une loyauté contractuelle minimale s’impose : proposition écrite et suffisamment précise sur l’objet de la modification, date de mise en œuvre, effets disciplinaires d’un éventuel refus.

Mais que faire pour les « ni oui ni non », les salariés ne voulant pas prendre position ? « Qui ne dit mot consent » : ce singulier adage remis au goût du jour par la loi du 14 juin 2013 veut contraindre les salariés hésitants à choisir.

En droit du travail, cette exception est aujourd’hui devenue la règle. « Lorsque l’employeur, pour un motif économique, envisage la modification d’un élément essentiel du contrat de travail, il en informe le salarié par lettre recommandée avec accusé de réception. La lettre de notification informe le salarié qu’il dispose d’un délai d’un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus. À défaut de réponse dans un délai d’un mois, il est réputé avoir accepté la modification proposée. » (L. 1222-6.) Le silence du salarié entraîne donc des résultats opposés selon la cause de la modification.

Si elle est personnelle (exemple : rétro­gradation disciplinaire), le salarié qui ne l’accepte pas expressément (avenant au contrat) est censé l’avoir refusée. Idem lorsque la modification est proposée dans le cadre de l’obligation de reclassement précédant tout projet de licenciement économique : L. 1222-6 ne s’applique pas, mais L. 1233-4-1 si ! Car, s’agissant de mobilité à l’étranger, le collaborateur ne répondant pas dans les six jours ouvrables au questionnaire patronal est présumé avoir refusé ce type de mobilité.

Mais si la modification touche un élément essentiel du contrat et repose sur un motif économique, le salarié ne la refusant pas expressément est censé l’avoir acceptée : il ne pourra plus prétendre bénéficier des conditions de son contrat initial.

1. Une formalité substantielle : « L’employeur qui n’a pas respecté ces formalités ne peut se prévaloir ni d’un refus ni d’une acceptation de la modification. » En l’absence d’exception à la règle « qui ne dit mot ne consent pas », cette dernière retrouve alors sa place : a priori refus de la modification.

2. Si le salarié refuse ou accepte avant la fin du délai d’un mois, faut-il en tirer immédiatement des conclusions ? Surtout pas ! « Ce délai constitue une période de réflexion destinée à permettre au salarié de prendre parti sur cette proposition en mesurant les conséquences de son choix. Il en résulte que l’inobservation de ce délai par l’employeur prive de cause réelle et sérieuse le licenciement fondé sur le refus. » (Chambre sociale, 3 mars 2009.) Ce droit jurisprudentiel de repentir incite évidemment l’employeur à ne rien entreprendre avant un mois ; car s’il a entamé, par exemple, une procédure de mutation (en principe acceptée), il devra y renoncer si le salarié s’y oppose in extremis.

3. S’agissant de l’exécution d’un accord de mobilité, L. 2242-23 fixe une procédure en deux temps : entretien individuel de concertation pour prendre en compte les contraintes personnelles et familiales de chacun, puis accord du salarié selon la procédure prévue à l’article L. 1222-6.

4. S’agissant enfin des accords de maintien de l’emploi, L. 1222-6 est ici subsidiaire : il revient d’abord aux partenaires sociaux de fixer la procédure à suivre : « L’accord détermine le délai et les modalités de l’acceptation ou du refus par le salarié de l’application des stipulations de l’accord à son contrat. À défaut, l’article L. 1222-6 s’applique. » (L. 5125-1.)

UNIFIER LES PROCÉDURES DE MODIFICATION

Une véritable modification du contrat est un événement majeur dans la vie d’un salarié et de sa famille, mais aussi de l’entreprise : si la mobilité aboutit au départ des meilleurs… Idée : laisser un délai suffisant de réflexion au salarié pour faire un bilan complet de son éventuelle mobilité, tout en permettant à l’employeur d’avoir une date prévisible de mise en œuvre. En mariant ANI du 11 janvier 2008 puis du 11 janvier 2013, jurisprudence et L. 1122-6 :

1. LRAR de proposition, avec tous les éléments nécessaires au salarié pour se déterminer en connaissance de cause, et les mesures d’accompagnement : l’article 8 de l’ANI du 11 janvier 2008 évoquait mise en œuvre compatible avec le calendrier scolaire, visite du futur lieu de travail, aide à la recherche d’emploi pour le conjoint…

2. Sur demande du collaborateur, dans le mois qui suit la réception, entretien de concertation visant à préciser ensemble les points obscurs ou en débat et les ­mesures pour concilier vie professionnelle et vie personnelle.

3. Dans un délai allongé à deux mois à compter de cet entretien de concertation, application de L. 1222-6. Soit trois mois tout compris, dans l’intérêt commun des deux parties.

FLASH
Le refus de mobilité d’un salarié en CDD

Un agent d’entretien sous contrat à durée déterminée refuse une mobilité à 15 kilomètres et ne se présente donc plus à son nouveau poste : rupture avant terme pour faute grave, approuvée par la cour d’appel d’Aix puisqu’il s’agissait du même secteur géographique. Mais, le 20 novembre 2013, la chambre sociale casse, en reprenant la position qu’elle a adoptée à partir de l’an 2000 pour les contrats à durée indéterminée, lorsqu’il lui est apparu choquant de licencier dans les mêmes conditions (faute grave) un voleur de matériel et une mère de famille avec vingt ans d’ancienneté ayant simplement refusé un changement de lieu de travail : « Le refus par un salarié d’un changement de ses conditions de travail, s’il caractérise un manquement à ses obligations contractuelles, ne constitue pas à lui seul une faute grave. » Donc pas de rupture anticipée possible en l’absence de force majeure.

Mais alors que devait faire cet employeur associatif dont la mairie de Marseille avait d’autorité repris les locaux, s’agissant en plus d’un contrat d’avenir de deux ans La rupture conventionnelle étant ici également illicite, payer tous les salaires à courir et l’indemnité de fin de contrat ?

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray