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Décodages

VTC contre taxis : la guerre est déclarée

Décodages | Entreprises | publié le : 05.03.2014 | Sabine Germain

Les taxis accusent les véhicules de tourisme avec chauffeur de concurrence déloyale. Lesquels invoquent la distorsion de concurrence… Sur fond de bataille juridique, la tension est montée d’un cran.

S’il est un secteur qu’on pensait à l’abri de la globalisation et de la révolution numérique, c’est bien celui du transport privé de voyageurs. Erreur : la guerre entre les taxis et les véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) se joue sur fond d’applications smartphone. « Notre métier s’est développé avec les techniques de géolocalisation », explique Yanis Kiansky, fondateur d’Allocab. Comme toutes les autres compagnies de VTC (Uber, LeCab, Chauffeur-Privé, SnapCar…), Allocab n’emploie aucun chauffeur : c’est un éditeur informatique qui loue – moyennant 20 % de commission – son système de réservation à des chauffeurs « partenaires ». En août dernier, Google Ventures (le fonds d’investissement de la firme californienne) a souscrit 258 millions de dollars dans la levée de fonds engagée par Uber, qui poursuit ainsi son maillage des métropoles mondiales.

Difficile de connaître le statut et le niveau de revenu des quelque 12 400 chauffeurs de VTC recensés fin 2013 : sur les 1 950 chauffeurs inscrits chez Allocab, seulement 200 ont été testés, référencés et travaillent régulièrement avec ce portail. Entre 40 et 45 % des VTC franciliens sont des chauffeurs de taxi (retraités ou radiés par la commission de discipline, notamment) désireux d’arrondir leurs fins de mois. « 95 % des chauffeurs de VTC exercent en tant qu’autoentrepreneurs, estime Didier Hogrel, président de la Fédération nationale du taxi. Comme d’autres métiers de l’artisanat, nous sommes concurrencés par ce statut. »

Une concurrence déloyale, estiment les taxis, surtout à Paris où se concentre l’essentiel des problèmes : « En tant qu’artisans, nous payons de la TVA et des charges sociales bien supérieures aux 30 % déduits des revenus des autoentrepreneurs », explique Christian Delomel, président de la Chambre syndicale des artisans du taxi. Des coûts qui s’ajoutent aux investissements de départ : 2 500 euros d’équipements obligatoires (dont le compteur) ainsi que la fameuse « plaque » qui permet de circuler et de charger des clients sur la voie publique. Le nombre de licences étant contingenté, leur cession se négocie autour de 230 000 euros à Paris : « L’équivalent d’une prime de départ à la retraite lors de la revente », explique Christian Delomel.

Seulement sur réservation

« Nous ne faisons tout simplement pas le même métier, répond Yanis Kiansky. Avec sa licence, un taxi acquiert le droit de charger des clients dans la rue, aux stations de taxi, dans les gares et les aéroports, ce qui assure 65 % de son chiffre d’affaires. Un chauffeur de VTC ne le peut pas : il travaille exclusivement sur réservation, avec une application qui doit financer une stratégie marketing pour recruter et fidéliser ses clients. » Mais il n’investit que dans une voiture et une licence facturée 100 euros par Atout France.

Si l’agence nationale de développement touristique a été chargée de référencer les chauffeurs de VTC, c’est bien parce que la capitale mondiale du tourisme manque de voitures. Selon la Fédération française du transport de personnes sur réservation (FFTPR), avec 18 000 taxis, Paris se situe à peu près au même niveau que New York (15 000) et Londres (22 000). En revanche, l’offre de VTC y est trois à quatre fois moins importante. Si bien que Yanis Kiansky estime la densité parisienne à trois chauffeurs (de taxi et de VTC) pour 1 000 habitants, contre neuf chauffeurs à Londres, New York ou même Berlin. Pour la FFTPR, l’équation est donc simple : libéraliser le marché du VTC permettrait de créer entre 30 000 et 40 000 emplois en Ile-de-France.

L’argument est martelé à l’envi par des opérateurs de VTC dont la maîtrise de la communication et des réseaux sociaux n’est pas à prouver.

Face à eux, les chauffeurs de taxi n’ont rien trouvé d’autre, pour se faire entendre, que d’organiser des grèves régulières : asphyxier le trafic parisien n’est sans doute pas le meilleur moyen de se faire aimer. Mais, à défaut d’être compris par l’opinion publique, les taxis ont été entendus par le gouvernement qui a adopté, le 28 décembre 2013, un décret imposant aux VTC un délai de quinze minutes entre la réservation et la prise en charge du client. Avant même sa parution, ce décret avait fait l’objet d’un avis défavorable de l’Autorité de la concurrence, considérant que cette mesure introduisait « des distorsions de concurrence ». Cet avis reprend presque mot pour mot l’argumentation des VTC : un déséquilibre entre la demande et l’offre de véhicules disponibles, notamment à Paris, et le monopole déjà accordé aux taxis sur le marché de la « maraude » (la prise en charge de clients sur la voie publique). Quant aux « comportements illicites des VTC qui persisteraient, notamment le “racolage” (la prise en charge sans réservation), ils ne relèvent pas de la concurrence mais de la fraude ».

Forts de cet avis, Allocab, LeCab, Chauffeur-Privé et SnapCar ont saisi le Conseil d’État en référé. L’autorité administrative a décidé, le 5 février, de « suspendre » ce décret, estimant qu’il « porte une atteinte grave et immédiate aux intérêts économiques » des sociétés requérantes, « nuit au développement d’une offre de transport sur réservation » et « porte atteinte à la liberté d’entreprendre ». Attention, il s’agit d’une décision en référé : le Conseil d’État devrait se prononcer sur le fond d’ici à la fin de l’année. En attendant, malgré la nomination d’un médiateur, le député PS Thomas Thévenoud, les taxis ont appelé à une nouvelle journée d’action le 13 mars et ­demandent au gouvernement de légiférer.

À Paris, la pénurie de véhicules est réelle. Même les taxis en conviennent. On ne peut, en revanche, que s’interroger sur le modèle économique et social des VTC, « qui les pousse à enfreindre la loi, tempête Abdel Ghalfi, secrétaire général CFDT des Taxis parisiens. Pour une activité de services, un autoentrepreneur ne peut déclarer plus de 32 100 euros de revenus annuels. Revenus dont sont déduits la location ou l’amortissement du véhicule, le carburant et les 20 % de commission versés au système de réservation. Pour gagner sa vie, un chauffeur de VTC est obligé de sortir des clous, de charger en aéroport pour ne pas rentrer à vide ou de faire de la maraude. Dans le 8e arrondissement de Paris, la moitié des stations de taxis sont squattées par des VTC ».

Un statut peu enviable

Le statut des chauffeurs de taxi n’est, certes, guère plus enviable : sur les 18 000 chauffeurs parisiens, seul un millier sont salariés pour 15 euros par jour et 30 % des recettes compteur. Les 8 000 locataires (notamment dans les grandes compagnies, G7 et Alpha Taxis) sont encore moins bien lotis : ils doivent réaliser au moins 150 euros de recette par jour (130 euros pour la location du véhicule et de la licence et 20 euros de carburant) avant de gagner le moindre centime, « ce qui les amène à travailler dix à douze heures par jour, sept jours sur sept », estime Abdel Ghalfi. Quant aux 9 000 artisans, ils triment 70 heures par semaine pour 1 200 à 1 500 euros net par mois.

D’où leur dépit quand le marché de la « conduite de grande remise » a été libéralisé en janvier 2010, ouvrant de facto la voie aux opérateurs de VTC. « Il a ensuite fallu légiférer pour réguler un peu le marché », admet Yanis Kiansky, qui reconnaît à demi-mot que les premiers temps de concurrence furent sauvages. Le décret du 30 juillet 2013 oblige les chauffeurs de VTC à suivre une formation de trois mois avant d’entrer dans la profession. « Certaines revendications des taxis étaient légitimes, expliquait alors Yan Hascoët, cofondateur de Chauffeur-Privé. Nous avons été heureux de contribuer à l’évolution du cadre réglementaire. » La guerre est pourtant loin d’être terminée. Et pas qu’à Paris. Aux États-Unis, une quinzaine de villes ont interdit les VTC ; à Houston, le tarif minimal de chaque course a été fixé à 70 dollars ; à Las Vegas, la prise en charge n’est autorisée qu’au moins une heure après la réservation. De quoi faire rêver les taxis parisiens…

VTC

EFFECTIF

12 400 chauffeurs de VTC étaient recensés mi-2013.

STATUT

95 % des chauffeurs de VTC exercent en tant qu’auto-entrepreneurs.

INVESTISSEMENT

100 € pour obtenir une licence auprès d’Atout France.

Taxis

EFFECTIF

55 000 taxis en France, dont 18 000 à Paris.

STATUT

9 000 chauffeurs, parmi les Parisiens, sont artisans, 8 000 locataires et un millier salariés.

INVESTISSEMENT

230 000 € prix de la « plaque » à Paris ; 100 000 à Lyon ; de 0 à 30 000 dans les villes moyennes. Plus 2 500 euros d’équipements obligatoires.

Auteur

  • Sabine Germain