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Décodages

Obama lance la croisade du smic

Décodages | International | publié le : 05.03.2014 | Caroline Crosdale

Le salaire minimum aux États-Unis n’a pas augmenté depuis cinq ans. Un immobilisme qui convient au patronat mais que le président remet en cause, suivant en cela de nombreux économistes. Et de plus en plus d’Américains.

Say yes, give America a raise ! » : « Dites oui, donnez une augmentation de salaire à l’Amérique ! » C’est ce qu’a déclaré, fin janvier, dans son discours de l’Union le président Barack Obama pour défendre la hausse du salaire minimum. C’est ce qu’espèrent les ­petites mains de la restauration, réunies autour de l’association Restaurant Opportunities Centers (ROC) United. C’est également le sujet sur lequel travaillent les juristes du National Employment Law Project et l’un des thèmes de campagne des syndicalistes de l’AFL CIO, de plus en plus populaire. Car le smic américain est décidément tombé très bas. La norme fédérale se maintient depuis cinq ans à 7,25 dollars l’heure (5,34 euros). Et si l’on se concentre sur les seuls employés de la restauration, le minimum se réduit à 2,13 dollars l’heure (1,57 euro), le législateur ayant décidé que les pourboires compenseraient la différence.

De vieux amis de la cause sociale, le sénateur de gauche Tom Harkin et l’élu démocrate de la Chambre des représentants George Miller, ont donc proposé l’an dernier de dépoussiérer la loi en faisant passer progressivement le minimum horaire à 10,10 dollars (7,44 euros) en 2015 et en l’indexant sur l’inflation. En décembre dernier, le président Barack Obama a jeté son poids dans la bataille pour lutter contre la montée des inégalités. « Les tendances combinées de l’inégalité croissante et d’une moindre mobilité représentent une menace fondamentale contre le rêve américain », a-t-il déclaré, en imposant lui aussi le minimum à 10,10 dollars dans les en­treprises travaillant pour l’État fédéral… Et plusieurs initiatives locales dans une douzaine d’États tentent de faire progresser le dossier à l’intérieur de leurs frontières.

« C’est difficile d’obtenir de ce Congrès qu’il vote des lois », reconnaît Tsedeye Gebreselassie, l’avocat du National Employment Law Project, les élus républicains et démocrates de Washington neutralisant sans cesse les projets du parti adverse. Les démocrates veulent gonfler le salaire minimum, leurs collègues républicains s’y opposent fermement, convaincus qu’une hausse du smic américain dissuadera les patrons d’embaucher. « Quand vous augmentez le prix de l’emploi, devinez ce qui arrive ? Vous en obtenez moins ! » a prévenu John Boehner, l’orateur républicain de la Chambre des représentants.

Élus locaux mobilisés

Washington résiste. Mais les élus locaux des États et des grandes villes se mobilisent, avec un certain succès. En 2013, la Californie, le Connecticut, New York et le New Jersey ont voté la hausse de leur minimum. Et Washington DC aura un salaire plancher de 11,50 dollars (8,47 euros) en 2017. Plusieurs campagnes sont en cours cette année dans le Maryland, le Minnesota, Hawaï, la Floride… « Nous sommes dans un État right to work, hostile aux syndicats, rappelle Jean Souffrant, le représentant de ROC United à Miami. Il n’y a même pas de ministère du Travail ici, c’est encore plus dur. » Il n’empêche, deux élus proposent cette année au Congrès de Floride le minimum à 10,10 dollars l’heure. Et les personnels des hôtels et restaurants saisissent l’occasion pour « éduquer le grand public sur notre sort », poursuit Jean Souffrant.

De l’autre côté de la barrière, les patrons freinent des quatre fers. Stephen Caldeira, président de l’International Franchise Association (IFA), assure qu’une forte hausse « mettrait en danger les personnels que la mesure est censée aider ». Pour l’IFA, un smic plus important entraînera moins d’emplois, une réduction du nombre d’heures travaillées, une hausse du prix des produits et, en bout de course, plus d’automatisation. Histoire de remplacer par des machines les petites mains devenues trop chères. Dans la foulée, l’IFA et la Chambre de commerce produisent un sondage réalisé dans les entreprises de 40 à 500 salariés. Pour 72 % d’entre elles, un minimum à 15 dollars (11 euros) l’heure implique « des décisions négatives pour l’emploi ».

Un argument qui ne convainc guère les économistes. Laura D’Andrea Tyson, ancienne conseillère du président Bill Clinton et professeure à l’université de Californie, à Berkeley, a ainsi plaidé la cause d’une hausse raisonnable dans le quotidien The New York Times. Lorsque Bill Clinton a signé l’augmentation du salaire minimum, se souvient-elle, l’emploi a crû de 1996 à 2000 et les salaires se sont améliorés, malgré les prédictions pes­simistes de la United States Chamber of ­Commerce. Dans leur livre Myth and Measurement : The New Economics of the Minimum Wage (Princeton University Press, 1997), David Card et Alan Krueger, examinant eux aussi les statistiques américaines, concluaient : les « vieux slogans » promettant une destruction de l’emploi n’ont aucune raison d’être. Le salaire minimum n’a pas d’effet ou très peu sur l’emploi.

Il y a corrélation, en revanche, entre le niveau du salaire minimum et les dépenses publiques. Le Centre du travail de l’université de Californie a publié en octobre dernier une étude sur les petits salaires de la restauration rapide. Les temps partiels travaillant onze heures par semaine et même les employés à temps plein ne gagnent pas assez pour satisfaire les besoins élémentaires de leur famille. Le minimum annuel d’environ 15 000 dollars (11 000 euros) est si infime que 52 % des intéressés sollicitent les programmes d’aide des pouvoirs publics. Ils utilisent Medicaid, l’assurance santé des pauvres, les crédits d’impôt, les bons d’alimentation… pour un coût de près de 7 milliards de dollars (5 milliards d’euros) par an. « Finalement, le contribuable américain subventionne les McDonald’s et autres entreprises qui ne paient pas assez leurs employés », résume David Bolotsky, le P-DG d’UncommonGoods, l’un de ces rares patrons en faveur d’une hausse « raisonnable ».

Bon pour la société

Son entreprise new-yorkaise de vente de cadeaux en ligne emploie à l’année dans ses entrepôts 120 personnes. Et même les saisonniers les moins bien payés gagnent 12 dollars (8,80 euros) l’heure. Le patron, membre de l’organisation Business for a Fair Minimum Wage (Entreprises en faveur d’un juste salaire minimum), milite aux côtés de ses pairs des vêtements Patagonia, des magasins Eileen Fisher, des grandes surfaces Costco… pour améliorer les fiches de paie des moins bien lotis. David Bolotsky n’est pas un doux rêveur. « Un dollar de hausse, calcule-t-il, c’est 10 % de nos profits en moins. Mes considérations philosophiques me coûtent cher. » Mais d’ajouter, « voilà pourtant la bonne approche. L’augmentation du minimum est bonne pour la société. C’est ce que je pense en tant que citoyen d’abord, et homme d’affaires ensuite ». Et de conclure : « Le problème n’est pas démocrate ou républicain. Nous avons simplement une mauvaise politique fiscale. »

Les économistes favorables à la hausse du salaire minimum ajoutent que des salariés mieux payés auront une meilleure productivité et seront plus fidèles à leur employeur. Ils dépenseront aussi plus, ce qui participera à la relance de l’économie. Ces différents arguments convainquent, semble-t-il, de plus en plus de monde. Un sondage réalisé en janvier par l’université Quinnipiac auprès de 1 487 personnes montre que 71 % d’entre elles approuvent la hausse du salaire minimum. Et 52 % de ceux qui se disent républicains sont en faveur de l’augmentation. Mais alors qu’attend Washington ?

REPÈRES

40 %

C’est la hausse du salaire minimum que le président Obama entend appliquer à court terme aux employés de l’État fédéral, le faisant passer de 7,25 dollars à 10,10 dollars l’heure.

Auteur

  • Caroline Crosdale