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Décodages

La CGPME montre ses (petits) muscles

Décodages | Patronat | publié le : 05.03.2014 | Stéphane Béchaux

L’organisation de Jean-François Roubaud cherche à s’émanciper du Medef. Une ambition légitime à l’heure de la réforme de la représentativité patronale. Mais irréaliste compte tenu de ses faibles moyens et de son mode de fonctionnement.

Il y a des ruptures qui font du bien. Qui libèrent. Pour la Confédération générale des petites et moyennes entreprises et du patronat réel, la non-signature du texte relatif à la formation fait partie de celles-là. À presque 70 ans, l’organisation ose enfin s’affranchir de son imposant grand frère. Une décision prise à la quasi-unanimité du comité directeur, le 18 décembre. « C’est une excellente chose. Enfin, notre parole mérite qu’on l’écoute. On restait jusque-là dans le suivisme d’un Medef triomphant, alors qu’on réclame depuis quinze ans notre indépendance d’esprit », approuve Philippe Moreau, président de la CGPME des Pays de la Loire. « Il y en a marre de la loi du plus costaud qui fait que le 1 % de grandes entreprises impose ses décisions aux autres 99 %. On prend nos distances, et sur de bonnes raisons », abonde Michel Bergeret, son homologue de Franche-Comté.

Cette fronde n’allait pourtant pas de soi. Toujours prompte à exiger la baisse massive des charges et de la fiscalité, l’organisation a cette fois-ci bataillé contre la disparition d’une taxe assise sur la masse salariale. Le fameux « 0,9 % », que les entreprises devaient consacrer jusque-là à leur plan de formation. Un combat qui en a surpris plus d’un. « Il est très curieux qu’une organisation patronale qui se bat pour alléger les charges réclame le maintien d’une obligation de dépenses. C’est contradictoire et conservateur », observe un haut fonctionnaire de la DGEFP. « Il s’agit d’une baisse en trompe l’œil car l’obligation de former, elle, demeure. Mais sans l’instrument ­financier permettant de mutualiser les fonds », rétorque Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales à la CGPME. « L’accord va conduire à un effondrement des budgets de formation. Cette réforme, c’est celle du CAC 40, avec les banques et les assurances à la manœuvre », renchérit Jean-Michel Pottier, le spécialiste des questions de formation.

Guéguerre des mandats

Derrière ces débats se cachent, aussi, des histoires de pouvoir et de gros sous. Car la future loi va réformer en profondeur les modes de financement des organisations patronales. Des structures pour l’instant largement dépendantes des prélèvements opérés sur les fonds de la formation. Une manne indispensable à la bonne marche de la Confédération de Jean-François Roubaud : sur ses 9 millions d’euros de recettes, plus de 5 millions en provenaient en 2012. Des sommes qu’elle a bien du mal à dépenser conformément à leur objet. Sans compter les subsides reversés aux structures départementales et régionales par Agefos PME, le plus gros collecteur hexagonal, créé et contrôlé par la maison. « La CGPME a tout fait pour torpiller les discussions. Elle misait sur un échec, en espérant que le gouvernement ne touche pas au 0,9 % », décrypte un négociateur étiqueté Medef. Une façon de préserver son Opca, qui joue un rôle clé dans son rayonnement. « On a des centaines d’administrateurs sur les territoires. Quand ils rencontrent des chefs d’entreprise, ils le font au nom d’Agefos et de la CGPME. C’est pour nous un apport considérable, moins en argent qu’en notoriété », admet un président régional.

Jusqu’au début des années 2000, Medef et CGPME cohabitaient dans les départements au sein d’unions patronales. Une époque révolue. Désormais séparées, les deux boutiques se font la guerre pour attirer les petits patrons. Bien que puissante dans certains territoires, en particulier en Rhône-Alpes, la CGPME peine à faire vivre ses antennes locales. « Si vous ne comptez que les adhérents directs, à jour de cotisation, la CGPME rassemble probablement aux alentours de 20 000 PME, pas davantage », assure le politiste Michel Offerlé, auteur des Patrons des patrons : histoire du Medef (éditions Odile Jacob, 2013). Pour appâter les dirigeants, rien de mieux que des mandats à offrir, dans les caisses de Sécurité sociale, les Urssaf, les instances régionales de Pôle emploi ou les plus lucratifs conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux. Des sièges dont le Medef est plus largement doté. Sauf en matière de formation professionnelle…

Moyens limités

Fière de son tout récent éclat, la CGPME ne compte pas pour autant jouer les électrons libres au sein du patronat. « Cet épisode laissera des traces car on s’est opposés sur le fond. Mais ni le Medef ni nous ne souhaitons rester durablement à couteaux tirés », insiste Geneviève Roy, sa négociatrice en chef. La maison, dirigée par un ancien du Medef francilien, le très aguerri Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, n’en a d’ailleurs pas les moyens. Avec sa trentaine de salariés et son siège décati, à l’extrémité de la dalle de la Défense, la confédération des petits patrons ne peut rivaliser avec les 200 collaborateurs de son puissant rival de l’Avenue Bosquet, où s’écrivent les projets d’accord et se tiennent les négociations. « D’un point de vue protocolaire, la CGPME est reçue avec les mêmes égards que le Medef. Elle a une sensibilité PME plus marquée, qui rend utile de la sonder. Mais le cœur des affaires ne se traite pas avec elle », convient un ex-collaborateur direct des précédents ministres du Travail. « Dans une négo, les rapports de force internes au patronat sont déterminants. Si on peut déminer un sujet avec la CGPME, on ne se gêne pas. Mais au niveau inter­professionnel, elle ne sert pas à grand-chose. Elle fait très peu de propositions innovantes, mais énormément de croche-pieds », confie un vieux routier cédétiste.

Dans les réunions préparatoires, les troupes de Pierre Gattaz prennent soin d’associer celles de Jean-François Roubaud à l’élaboration des textes. Mais davantage pour discuter des détails que de l’architecture. « Le Medef est clairement hégémonique. Mais, à la marge, il tient compte des remarques de l’UPA et de la CGPME. On essaie de faire en sorte que tout le monde s’y retrouve », explique une habituée des « patronales ». Ce qui vaut parfois des discussions nourries, voire tendues. Fin 2012, lors des débats sur la sécurisation de l’emploi, la centrale de la Défense s’est battue pour ajouter sa patte à un texte très orienté « grandes entreprises ». Elle a, notamment, fait un forcing d’enfer pour obtenir l’expérimentation du travail intermittent dans les PME. Et tenté jusqu’au bout d’empêcher la surtaxation des CDD. Des combats menés, dans l’ombre, par Georges Tissié, son inamovible directeur des affaires sociales, recruté au début des années 1980. « Un conservateur caractériel, inemployable dans toute autre structure. Mais doté d’une mémoire ahurissante et d’une très grande technicité », dixit le délégué général d’une grosse fédé. Quand la maison n’obtient pas gain de cause, elle s’essaie au lobbying. Elle peut compter pour cela sur son « amicale parlementaire », active dans les deux chambres. Et quelques élus très attentifs, tel Lionel Tardy, député UMP de Haute-Savoie et ex-président de la CGPME départementale.

Les aspirations autonomistes de Jean-François Roubaud doivent aussi s’accommoder de la cuisine patronale. La CGPME peut d’autant moins faire bande à part que nombre de ses adhérents sont aussi… au Medef ! Et pas les moindres. Les fédérations de la métallurgie, du bâtiment, des travaux publics, de la plasturgie, de l’hospitalisation privée, de la propreté, de l’hôtellerie, de l’agroalimentaire et du travail temporaire s’acquittent ainsi d’une double cotisation. Statutairement, rien n’interdit d’ailleurs à Jean-François Roubaud, issu du BTP, de briguer la présidence du Medef. Ni au métallo Pierre Gattaz de tenter de conquérir celle de la CGPME. Un joyeux bazar qui permet aux uns et aux autres de revendiquer la défense des mêmes entreprises. Et de se prévaloir d’une représentativité gonflée. Officiellement, la CGPME affiche ainsi 600 000 membres. Des adhérents indirects, pour l’essentiel, affiliés à l’une de ses 230 branches professionnelles. Un chiffre très flatteur, si l’on en croit Michel Offerlé, qui comptabilise, au mieux, « 300 000 adhérents d’adhérents, dont 40 000 environ sont uniquement CGPME ». De quoi justifier l’intense lobbying de la maison pour influer sur les modalités de calcul de la représentativité patronale.

Cabinet fantôme

Dans les équilibres internes, deux fédérations pèsent lourd : le bâtiment et la métallurgie. Longtemps, la seconde y a fait la pluie et le beau temps. « On s’y est beaucoup impliqués pour contrer les mouvements patronaux poujadistes. Mais aujourd’hui, on s’interroge sur la nécessité d’y rester. Les partisans du maintien font valoir que la CGPME demeure un moindre mal comparé aux petits patrons incontrôlables type Bonnets rouges », confie un dirigeant de l’UIMM. Les hésitations de cette fédération coïncident avec son retour en grâce au Medef : sous l’ère Parisot, elle trouvait bien utile de disposer d’un canal dérivatif pour faire valoir ses positions. Aujourd’hui, c’est au tour de la FFB de mener la danse chez les petits patrons. « Sans son soutien, Jean-François Roubaud ne serait jamais allé au clash sur l’accord formation. Le bâtiment mise sur la CGPME pour défendre ses intérêts, quitte à se friter avec le Medef », décrypte le directeur des affaires sociales d’une grosse fédération membre des deux structures.

Cette prédominance des branches agace les représentants de terrain. « Dans les territoires, on a une vision transversale et non pas corporatiste. On sera modernes le jour où on rééquilibrera les deux démarches », assène Michaël Zenèvre, président de la CGPME Lorraine. De fait, le règlement intérieur bride l’influence des structures locales dont les voix, plafonnées, ne pèsent qu’un petit tiers lors des assemblées générales. L’influence des fédérations, elle, dépend de leurs contributions. Le trio de tête Le bâtiment, suivi de la métallurgie puis de l’agroalimentaire. Parmi les donateurs figurent aussi… EDF et La Poste, en qualité de « membres associés ». Hors de la grand-messe annuelle, les orientations se prennent, en théorie, en comité directeur. Une instance qui réunit, le troisième mercredi du mois, les représentants des territoires et des branches. Sauf que cette assemblée a tout d’une chambre d’enregistrement. Les vrais débats se tiennent la veille, en comité exécutif. Une sorte de cabinet fantôme – non prévu par les statuts – d’une trentaine de membres, désignés par le président.

Succession taboue

Élu en 2002 à l’issue d’une violente campagne interne, Jean-François Roubaud a su pacifier l’organisation et contribuer à redorer l’image des petites entreprises dans l’opinion. À son actif, Planète PME, une grande manifestation organisée en juin porte Maillot, qui voit défiler ministres et parlementaires. Apprécié de ses troupes, le patron des petits patrons n’est pas pressé d’organiser sa succession, alors que son troisième mandat se termine en janvier 2015. Normal. En plus d’être excitant, son poste est rémunérateur : en tant que gérant de la Sodep, la filiale qui édite le journal interne, il touche près de 140 000 euros brut par an, qui s’ajoutent aux indemnités du Conseil économique, social et environnemental.

Pour l’instant taboue, la question de la succession de notre homme trotte néanmoins dans toutes les têtes. Car il va fêter en octobre ses 70 ans. « Les uns et les autres ne veulent pas aborder le sujet, de peur de devoir regarder leur propre âge. Pourtant, la CGPME doit accepter d’être remise en cause par la jeune génération, qui ne demande qu’à s’exprimer », observe Philippe Moreau, 68 ans, qui s’apprête à rendre sa casquette de leader régional. Le problème n’est pas nouveau, ni réservé à l’état-major de la Confédération : la maison ne compte plus les structures tenues par des retraités, presque exclusivement de sexe masculin. « En matière de rajeunissement, on a quand même progressé. Il y a quelques années, les assemblées faisaient très Politburo », plaisante Geneviève Roy, l’une des deux femmes en responsabilité au sommet.

Dans la maison, un nom circule déjà comme ­possible futur leader, celui de François Asselin. Âgé de 49 ans, ce patron d’une société des Deux-Sèvres spécialisée dans la restauration de monuments historiques possède le parfait pedigree. À savoir militer tout à la fois à la FFB et diriger la CGPME de Poitou-Charentes. De quoi, peut-être, contenter les représentants des territoires et de la première branche professionnelle.

REPÈRES

9 MILLIONS D’EUROS

C’est le budget de la CGPME en 2012.

72 % proviennent de subventions et seulement 25 % des cotisations.

Source : CGPME.

“Nous ne serons jamais aussi forts que le Medef”

JEAN-FRANÇOIS ROUBAUD Président de la CGPME

Vous êtes à la tête de la CGPME depuis 2002. De quoi êtes-vous le plus fier ?

D’avoir fait évoluer notre discours et les mentalités. Quand on fait du syndicalisme patronal, on a un rôle sociétal à jouer. À la CGPME, on se retrouve tous aujourd’hui autour de valeurs comme le partage, l’effort, l’initiative, le respect des autres. En tant que chefs d’entreprises patrimoniales, on doit s’exprimer. Mais intelligemment. Il y a douze ans, nous étions un peu poujadistes.

Faut-il s’habituer à voir la CGPME se désolidariser du Medef ?

On ne cherche pas à se singulariser mais à défendre nos idées. Dans la négociation sur la formation, on demandait 0,2 % de plus sur la mutualisation des fonds pour signer. Or le Medef n’a pas voulu faire évoluer son texte d’un iota. Ce n’est pas la première fois qu’on se dispute, mais jusqu’à maintenant on avait toujours trouvé des terrains d’entente.

Avez-vous l’ambition de rivaliser avec Pierre Gattaz et ses troupes ?

Mon but n’est pas de passer devant le Medef. Il est plus puissant que nous et nous ne serons jamais aussi forts. Pierre Gattaz bénéficie, lui, de l’appui de la banque et des assurances, qui ne peuvent venir chez nous et dont nous ne voulons pas. Mais la réforme de la représentativité patronale ne nous menace pas. Je me réjouis au contraire qu’elle permette de faire la vérité sur les chiffres. Le seul danger, à mes yeux, serait que le Medef représente plus de 50 % à lui tout seul.

La puissante UIMM menace régulièrement de quitter la CGPME. Cela vous inquiète-t-il ?

À l’intérieur de l’UIMM, toutes les branches ne seraient probablement pas d’accord pour partir. Sur un plan stratégique, il est bien évident qu’un tel départ m’ennuierait. Mais sur un plan financier, non. La CGPME peut vivre sans les 150 000 euros de cotisations de l’UIMM.

Comptez-vous vous représenter à la présidence en janvier 2015 ?

Ma décision n’est pas arrêtée. Je la prendrai au mois d’août, pendant mes vacances.

Propos recueillis par Stéphane Béchaux

Auteur

  • Stéphane Béchaux