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Idées

Le coemploi, la nouvelle bombe du droit social

Idées | Chronique juridique | publié le : 03.02.2014 | Pascal Lokiec

Le droit français permet à des salariés, à la recherche d’un débiteur solvable, d’imputer à un autre employeur des obligations que leur propre employeur n’est pas en mesure de prendre en charge. Le mécanisme du coemploi, qui trouve ses principales applications dans les groupes de sociétés, connaît un succès grandissant, non sans susciter de vifs débats dans les prétoires.

Le coemploi défraie régulièrement la chronique avec, ces derniers mois, la condamnation de la société mère allemande du groupe Continental à plusieurs millions d’euros en qualité de coemployeur des salariés de l’usine française de Clairoix (CPH de Compiègne, 30 août 2013, SSL 2013, n° 1600). L’hypothèse de base du coemploi est bien connue : à la recherche d’un débiteur solvable, les salariés d’une filiale en difficulté se tournent vers la société mère qui, dans le pire scénario, a sacrifié celle-ci en la plaçant volontairement en état de cessation de paiements. Une hypothèse qu’il faut étendre aux sociétés mères étrangères puisque les salariés français sont désormais admis à les attraire devant les prud’hommes. Autant dire que le coemploi, qui est en train de devenir, chez ses détracteurs, l’emblème d’un droit du travail hostile à l’investissement étranger, réunit tous les ingrédients d’un cocktail explosif.

I. LE PRINCIPE DE L’EMPLOYEUR UNIQUE

Le coemploi constitue, en droit, une exception. Le principe est en effet qu’un salarié ne peut avoir qu’un employeur unique, sauf, bien sûr, lorsqu’il exerce plusieurs emplois (salarié à temps partiel). Dépourvu de la personnalité juridique, le groupe ne peut constituer cet employeur. Il en va de même de la société mère, qui n’emploie que ses propres salariés. De ce principe découle un certain nombre de conséquences, notamment la nullité de la clause de mobilité ayant pour périmètre le groupe (Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 07-44.200), la validité de principe de la période d’essai au sein d’une filiale alors que le salarié a déjà travaillé dans une autre société du groupe (Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-40.556), ou le principe selon lequel la clause de non-concurrence contenue dans un contrat de travail ne peut concerner que la société avec laquelle le salarié a contracté (Cass. soc., 17 décembre 1997, n° 95-42.862). Suivant cette même logique, il a été jugé, dans l’arrêt Flodor, que si une entreprise qui appartient à un groupe est tenue de solliciter les autres sociétés du groupe en vue de rechercher un reclassement avant tout licenciement économique, cela ne met aucune obligation à la charge desdites sociétés. Autrement dit, ces sociétés ne répondent pas des conséquences de l’insuffisance des mesures de reclassement (Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-15.776).

II. L’EXCEPTION DU COEMPLOI

Le coemploi ne faisait guère de vagues lorsqu’il était fondé sur l’existence d’un lien de subordination, à l’instar du BHV, reconnu coemployeur d’une salariée engagée par une entreprise partenaire en qualité de démonstratrice vendeuse pour être affectée au rayon bijouterie (Cass. soc., 19 janvier 1999, n° 97-45.404). Les juges n’avaient fait que redonner aux relations de travail leur exacte qualification en établissant la preuve d’un lien de subordination avec le coemployeur.

La portée du coemploi s’est sensiblement accrue depuis que la Cour de cassation le caractérise sur la seule base des liens entretenus par les entreprises. Il faut pour cela établir l’existence d’une triple confusion : d’activités, de direction et d’intérêts, qui se rencontre classiquement en cas de perte d’autonomie d’une filiale (contrôle financier, présence de dirigeants de la société mère dans le conseil d’administration de la filiale, absence d’indépendance dans la définition de la stratégie et la fixation des prix…) ou d’une confusion entre les sociétés. Dans toutes ces situations, la société avec laquelle le salarié a signé un contrat de travail ne dispose d’aucune indépendance véritable dans son fonctionnement, l’immixtion de la société mère faisant qu’il n’est plus possible de distinguer chacun des employeurs (P. Bailly, « Entretien », SSL 2013, n° 1600). C’est ce que suggère la Cour de cassation dans l’arrêt Sodimédical, qui fait référence à une « immixtion de la société mère dans la gestion économique et sociale de sa filiale » (Cass. soc., 18 décembre 2013, n° 12-25.686).

De ces nouveaux critères est immédiatement née une inquiétude chez certains employeurs. Le groupe impliquant, par principe, des stratégies communes, une mobilité interne des salariés, des opérations de collaboration, ne doit-on pas désormais considérer que toute société mère a la qualité de coemployeur des salariés de ses filiales ? Si une réponse négative s’impose en l’état actuel de la jurisprudence, la frontière n’en reste pas moins ténue. Elle réside dans le comportement, abusif ou non, de la société mère, qui s’immisce de telle sorte à faire perdre son autonomie à la filiale, notamment en matière de gestion de la main-d’œuvre (P. Bailly, op. cit.). Il en résulte, par exemple, que la seule appartenance à un même groupe, l’existence de clients communs et la proximité des dénominations sociales (Cass. soc., 6 juillet 2011, n° 09-69689), de même qu’une simple culture de groupe assortie de facilités de mobilité entre les différentes filiales (Cass. soc., 22 octobre 2008 n° 07-42.230), ne suffisent pas à caractériser le coemploi.

III. LES CONSÉQUENCES DU COEMPLOI

Les enjeux du coemploi sont tout sauf négligeables. Il permet d’offrir aux salariés un débiteur solvable, afin de lui réclamer l’exécution d’obligations (notamment le paiement du salaire) et, surtout, de lui opposer la législation sur le licenciement pour motif économique. Sur ce terrain, le coemployeur est d’abord solidairement responsable des conséquences du non-respect des règles de procédure, à commencer par celui des dispositions sur le reclassement. Il doit donc, le cas échéant, participer au financement du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) avec, depuis la loi du 14 juin 2013, une nouvelle interrogation. Sera-t-il possible, avec quelque chance de succès, de remettre en cause la validité d’un PSE une fois celui-ci validé ou homologué par l’administration en invoquant l’existence d’un coemployeur ? Inutile pour ce dernier d’arguer qu’il n’était pas au courant de la situation de coemploi au moment de la notification des licenciements, et qu’on ne peut donc lui imputer la charge de licenciements dont il n’est pas à l’initiative ! L’argumentation échoue systématiquement devant les tribunaux (Cass. soc., 22 juin 2011, n° 09-69.021).

Le coemploi produit également des effets sur le motif de licenciement puisqu’il empêche un groupe d’utiliser l’argument de cessation d’activité, normalement admis, pour fermer une filiale et licencier ses salariés. La Cour de cassation estime que lorsque le salarié a pour coemployeur (s) une ou des entités faisant partie d’un même groupe, la cessation d’activité de l’une d’elles ne peut constituer une cause économique de licenciement qu’à la condition d’être justifiée par des difficultés économiques, par une mutation technologique ou par la nécessité de sauvegarder la compétitivité du secteur d’activité du groupe dont elles relèvent (Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 09-69.199). La controverse sur le coemploi n’est pas prête de s’éteindre, d’abord parce que les plaideurs cherchent à en étendre le champ d’application (à propos d’un rappel de participation aux bénéfices, CPH de Montélimar, 18 novembre 2013, n° 12/00057), ensuite parce que plusieurs exemples récents montrent que le droit des sociétés est sur une autre ligne. Très attachée à l’autonomie des personnes morales, la chambre commerciale de la Cour de cassation maintient une approche restrictive de la fictivité et de la confusion de patrimoine, parfaitement illustrée par l’affaire Metaleurop qui a vu les actions en confusion de patrimoine échouer devant les juridictions commerciales (Cass. com., 19 avril 2005, n° 05-10.094) et les actions en coemploi aboutir devant les juridictions sociales (Cass. soc., 28 septembre 2011, n° 10-12.278). L’alignement ne semble donc pas pour demain, et le coemploi devrait continuer à faire parler de lui…

FLASH
Licenciement et cessation d’activité

La cessation d’activité de l’entreprise constitue, depuis une dizaine d’années, un motif économique de licenciement (Cass. soc., 16 janvier 2001, n° 98-44.647). Elle recouvre l’arrêt total et définitif de l’activité, si bien que la fermeture partielle ou temporaire de l’entreprise, par exemple pour des travaux de rénovation, ne permet pas d’en licencier les salariés. Il faut, pour ce faire, établir l’existence de difficultés économiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité. Les juges se refusant en principe à contrôler la cause de la cessation d’activité (Cass. soc., 9 mars 2004, n° 01-46.780), ce motif couvre des situations aussi diverses que la dissolution d’une association ou la fermeture de l’entreprise du fait de la retraite, de la maladie ou du décès de l’employeur. Même si la cessation d’activité est établie, elle ne jouera pas dans deux cas. La faute ou la légèreté blâmable de l’employeur, tout d’abord, qui consiste par exemple à embaucher alors qu’on sait la cessation d’activité imminente ou à sacrifier une filiale afin de rationaliser l’activité (Cass. soc., 1er février 2011, n° 10-30.046). Le coemploi, lorsque l’entreprise fait partie d’un groupe, constitue l’autre exception (Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 09-69.199).

Auteur

  • Pascal Lokiec