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De la GPEC à l’employabilité

Dossier | publié le : 03.02.2014 | Anne-Cécile Geoffroy, Sabine Germain

Depuis que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est devenue obligatoire, les entreprises préfèrent parler d’employabilité. In fine, l’objectif est le même : donner aux salariés la capacité de s’adapter aux évolutions de l’entreprise ou du marché du travail.

Responsable segmentation et performances, chargé d’audience, ingénieur geodata, responsable de produit transactionnel, webmaster MagicBox, ergodesigner, directeur e-selling… Sur la trentaine de métiers identifiés comme « émergents » par Solocal Group (qui emploie 5 000 salariés sous 17 marques : PagesJaunes, Mappy, 123people.com, Embauche.com, etc.), la plupart méritent d’être décrits dans le détail tant ils semblent énigmatiques aux non-initiés. « Nous avons élaboré des fiches métiers ainsi qu’une cartographie des métiers émergents (essentiellement liés au digital) et des métiers en transformation (à dominante plus commerciale), en faisant apparaître les aires de mobilité envisageables pour chaque fonction », explique Patrice Cardinaud, directeur des ressources humaines.Un responsable search peut ainsi évoluer vers quatre types de postes : ceux de directeur marketing, de responsable ou chef de produit et de responsable SEO (search engine optimization, ou référencement) : les compétences communes et/ou à acquérir sont clairement identifiées.« Nous avons une approche très pragmatique de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences », poursuit Patrice Cardinaud, dont la définition de l’employabilité est tout aussi concrète : « C’est la capacité d’un salarié à occuper un poste dans ou hors de l’entreprise et à rebondir à court terme en cas de changement. »

Ce que le Code du travail exprime de ­façon plus coercitive dans son article L. 930-1 : « L’employeur a l’obligation d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. » Les manquements à cette obligation sont désormais sanctionnés par les tribunaux (voir l’encadré ci-dessous). A fortiori depuis que la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 oblige toutes les entreprises de 300 salariés et plus à négocier tous les trois ans sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

Face-à-face stérile. « Malheureusement, le législateur a vidé la GPEC de sa substance en en faisant un sujet de négociation obligatoire », regrette Gilles Verrier, fondateur du cabinet de conseil Identité RH.« La GPEC a été tellement liée aux restructurations et aux plans sociaux qu’elle a été tuée dans l’œuf », ajoute Martin Richer, un consultant indépendant. Résultat : c’est devenu un face-à-face stérile entre des partenaires sociaux davantage préoccupés par la préservation des effectifs que par l’évolution des compétences et des directions qui se contentent de négocier pour négocier au lieu d’ouvrir une véritable réflexion stratégique.

Pour échapper à ces faux-semblants, le groupe Armor Lux a refusé de négocier un accord de GPEC, « malgré les pressions insistantes de la Direccte, commente Véronique Martin, DRH du fabricant textile breton (600 salariés), désormais célèbre pour sa marinière à rayures blanches et bleues, fièrement portée par Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif. Nous en avons toujours fait, mais sans l’écrire. La gestion prévisionnelle des emplois fait même partie de l’engagement de Jean-Guy Le Floch : quand il a repris l’entreprise, en 1993, il a promis de garder tout le monde ». Mais pas forcément au même poste : « En 2004, nous avons remporté le marché de l’habillement des postiers et avons dû créer un centre d’appels. C’est un métier que nous ne connaissions pas. Mais comme nous avions des équipes de production à reclasser, nous avons décidé de nous lancer avec des volontaires. »

A contrario, quand l’entreprise a perdu le marché de l’habillement des fonctionnaires de la police nationale, l’an passé, elle a dû reclasser 35 personnes : « Nous avons reçu chacune d’entre elles individuellement, autant de fois qu’elle le souhaitait, explique Véronique Martin. Il fallait les rassurer sur la pérennité de leur emploi, les aider à faire le deuil de leur poste et à accepter l’idée de changer de métier. » Avec deux règles d’airain : la transparence « avec des partenaires sociaux que nous considérons vraiment comme notre courroie de transmission » et la confiance, « car nous revendiquons le droit à l’échec pour tous. Nous accordons ainsi une période probatoire de six mois pour laisser à chacun le temps de s’approprier ses nouvelles fonctions et la possibilité de revenir en arrière si la mobilité est mal vécue ».

La notion de temps est déterminante à tous les niveaux : dans l’accompagnement des mobilités, mais aussi et surtout en amont, dans l’anticipation des mutations. « L’employabilité est un enjeu de long terme dont les employeurs sont les acteurs essentiels, explique Gilles Verrier. Or la plupart des entreprises sont incapables d’investir à cinq ou dix ans, dans les machines aussi bien que dans les hommes, d’ailleurs ! »

Une usine à gaz inopérante. Quant aux DRH et, plus encore, aux directeurs des relations sociales, ils ont carrément du mal à lever le nez du guidon alors que les négociations abordant les questions d’employabilité se sont multipliées au fil des années : emploi des seniors, contrats de génération, accords de maintien dans l’emploi, formation professionnelle. Du reste, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, retranscrit dans la loi du 14 juin relative à la sécurisation de l’emploi, préconise une meilleure articulation entre GPEC et formation : « Les orientations annuelles du plan de formation » doivent être « établies en cohérence avec le dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences », y est-il prescrit.

Or « la formation est la plupart du temps déconnectée de la stratégie des entreprises, observe le consultant Martin Richer. Et quand on décide de la lier aux évolutions stratégiques à cinq ou dix ans, on aboutit trop souvent à une usine à gaz inopérante ». Mieux vaut donc, à l’instar de Solocal et d’Armor Lux, avoir une approche pragmatique : « Identifier les métiers d’aujourd’hui et de demain, définir si les postes actuels sont menacés, en tension ou peu affectés par les changements à venir, puis établir des plans de mobilité et de formation adaptés. C’est simple, mais ça fonctionne, et surtout cela nourrit le dialogue social. » La mise en place du compte personnel de formation, prévue dans le cadre de l’accord national interprofessionnel du 13 décembre 2013 sur la formation, signé par l’ensemble des syndicats hormis la CGT, pourrait en être l’illustration : « Pourquoi ne pas connecter ce compte personnel avec la GPEC ? suggère Martin Richer. L’employeur pourrait ainsi décider d’abonder le compte des salariés dont les postes sont identifiés comme menacés. »

Relativement simple dans les PME, l’exercice se complique singulièrement à mesure que l’entreprise grandit et que son activité est soumise aux évolutions technologiques. « Dans un groupe tel que Capgemini (125 000 salariés dans 44 pays, dont 20 000 en France), l’évolution des compétences est une nécessité business, explique Marc Veyron, directeur des affaires sociales France. Elle est essentiellement guidée par la demande des clients. » Avec des besoins parfois contradictoires : « Dans tous les métiers, nous devons former nos consultants aux innovations les plus récentes. Tout en préservant des compétences plus anciennes : dans l’aéronautique, par exemple, la maintenance de nombreux appareils requiert la maîtrise du bon vieux langage Cobol. Nous devons donc garder cette compétence, tout en veillant à ce que ceux qui la maîtrisent ne s’enferment pas et restent en prise avec les innovations. »

Il faut croire que l’équilibre est difficile à trouver au sein de la SSII puisque le renouvellement de l’accord de GPEC de 2010, arrivé à échéance le 30 septembre dernier, a échoué : Capgemini et ses partenaires sociaux n’ont, notamment, pas réussi à s’accorder sur la gestion des carrières. Sortie par la porte de la GPEC, la question de l’employabilité est toutefois en train de revenir par la fenêtre de la négociation sur la formation professionnelle, qui devrait être bouclée en 2014 : « Cette nouvelle négociation devrait nous permettre de faire le lien entre l’évolution des métiers à deux ou trois ans et la formation », explique Marc Veyron. Preuve que la notion d’employabilité est infiniment plus porteuse aujourd’hui que celle de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

S.G.

Un risque juridique réel

La responsabilité des entreprises en matière d’employabilité des salariés s’est trouvée renforcée, au fil des années par la jurisprudence. En 2007, l’Union des opticiens (1) a été condamnée par la chambre sociale de la Cour de cassation à verser 2 500 euros de dommages et intérêts à deux salariées, « présentes dans l’entreprise depuis respectivement 24 et 12 ans » et qui « n’avaient bénéficié que d’un stage de formation continue de trois jours en 1999 ».

Ce qui représente « un manquement à l’obligation de l’employeur d’assurer l’adaptation des salariées à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi ».

Rebelote trois ans plus tard : quatre garçons de cuisine travaillant depuis 11, 20, 25 et 28 ans à l’hôtel Concorde La Fayette ont saisi la juridiction prud’homale au motif que, durant toute leur carrière, « aucune formation ne leur a été proposée, notamment pour combattre leur illettrisme du fait de leur origine malienne ».

La Cour a considéré que « la violation par l’employeur de son obligation de veiller au maintien des capacités professionnelles du salarié cause nécessairement un préjudice à celui-ci ».

Moralité : le risque juridique est réel pour les entreprises qui ne respectent pas leur obligation de veiller à l’employabilité de leurs salariés.

(1) Cour de cassation, chambre sociale, 23 octobre 2007.

(2) Cour de cassation, chambre sociale, 2 mars 2010.

10 % des salariés sans diplôme ont bénéficié de la formation continue en France en 2010, contre 34 % des bac + 4.

46 % des salariés français s’estiment bien informés sur les possibilités d’évolution professionnelle, le plus mauvais score parmi 16 pays européens observés par une étude de BPI.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy, Sabine Germain