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Piégés par le ras-le-bol

À la une | publié le : 03.02.2014 | Emmanuelle Souffi

Salariés désemparés, chefs d’entreprise vent debout contre l’État. Face à la grogne, dirigeants syndicaux et patronaux sont à la peine. Alors que les sirènes extrémistes séduisent plus d’un mécontent.

À quelques semaines des élections municipales, ça tangue dans les états-majors syndicaux et patronaux. De Montreuil à Belleville en passant par l’Avenue Bosquet, on ne sait plus à quel saint se vouer pour calmer la colère sourde qui anime les ouailles. La base bouillonne et les corps intermédiaires redoutent par-dessus tous les débordements.

Dans la rue, comme cet hiver avec les Bonnets rouges.Et dans les urnes : 42 % des Français n’excluent pas de voter FN en mars, selon un sondage paru en novembre. Et même 24 % aux européennes, plaçant le parti de Marine Le Pen en tête du scrutin de mai (Ifop, octobre). Un scénario qui effraie des syndicats aussi discrédités que la classe politique.C’est en ordre dispersé que la CFDT, l’Unsa et la CGT qui s’est alliée à Solidaires et à la FSU pour organiser son action anti-FN du 29 janvier – luttent contre la montée du discours frontiste.

Du côté patronal, difficile de contrer les accès populistes quand la CGPME et ses « moutons » ou l’UPA et ses « sacrifiés » sont les premières à dénoncer le racket fiscal. En soufflant le chaud et le froid, le Medef peine à contenir la radicalité des patrons sur le terrain. Il fait brandir des cartons jaunes contre un gouvernement conspué par le terrain pour saluer ensuite le Pacte de responsabilité qu’il entend négocier avec lui. « Dans ce discours anti-État, on retrouve beaucoup de la période 1981-1983 quand François Mitterrand était président. Quantité de mouvements et de clubs dénonçaient la marxisation de l’État, se souvient Jean-Yves Camus, chercheur à l’Institut de relations inter­nationales et stratégiques. Depuis, il y a un déni de légitimité et une crainte viscérale de la gauche au pouvoir. »

Le tournant social-démocrate de François Hollande, approuvé par une partie du patronat, ne règle pas tout, loin s’en faut. Et il déçoit les salariés désemparés par les suppressions d’emplois de La Redoute, Mory Ducros, FagorBrandt… et une courbe du chômage bloquée à la hausse. Du coup, les syndicats rament. Ils ont beau signer des accords interprofessionnels, rien n’y fait. « Les luttes sociales ne débouchent plus sur une victoire.C’est échec sur échec », constate Jérôme Fourquet, directeur du département opinion à l’Ifop. Plutôt que de défiler sous une banderole syndicale dont les mots d’ordre sentent le réchauffé, autant donc se rassembler sous des bannières indépendantes, unis le temps de dire « stop » (travail du dimanche, hausse de la TVA, des charges sociales…). Et c’est à celui qui criera le plus fort pour faire plier le gouvernement. À ce petit jeu, tout le monde ne gagne pas.

DÉFENSEUR DU PETIT SALARIAT. En embuscade, le FN, qui s’est érigé en dé­fenseur du petit salariat, grignote du terrain. Il écoute quand d’autres défendent leur pré carré.Le ralliement d’Édouard Martin, le délégué CFDT d’ArcelorMittal, tête de liste socialiste aux européennes, a été vécu comme une trahison. « Il a choisi ceux qui nous ont tués », lance Marie Di Giovanni-Da Silva, militante FO et membre du Rassemblement Bleu Marine en Moselle. Le FN se rapproche des syndicalistes et des patrons qui se sentent dénigrés par leurs chefs parisiens et qui cherchent à s’émanciper du dogmatisme imposé. La chasse aux frontistes renforce aussi son capital sympathie. Pour le Front, c’est tout bon. Car il récupère des éléments compétents, qui constitueront peut-être demain son élite locale. Un vrai casse-tête pour les organisations traditionnelles.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi