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Outre-Rhin, la parentalité est très tendance

Dossier | publié le : 31.12.2013 | T. S.

Crèches, centres de santé, aménagements du temps de travail… Pour se prémunir des pénuries de main-d’œuvre, assouplir leur organisation, prévenir le stress, les entreprises multiplient les initiatives. Et soignent leur image d’employeurs.

Début novembre, Margret Suckale et Robert Oswald rayonnent. La directrice du personnel de BASF, numéro un mondial de la chimie, et le président du comité central d’entreprise inaugurent le LuMit, une grande bâtisse blanche, installée près du gigantesque site de l’usine mère de la multinationale, à Ludwigs­hafen. Le LuMit – pour Ludwigshafen, et Mitarbeiter (« collaborateur »), mitmachen (« participer ») et miteinander (« ensemble ») – est la plus grande structure en Allemagne dédiée au work life management (« management de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée »). « Ce centre augmente l’attractivité de BASF en tant qu’employeur. Il montre aussi que la constitution d’une famille n’est pas incompatible avec l’engagement professionnel. Mais il est également dédié aux salariés qui, grâce à une politique de prévention de la santé et un service de conseil psychosocial, peuvent ainsi poursuivre plus longtemps leur activité, parce qu’ils le veulent ou le doivent », explique le secrétaire d’État aux Affaires sociales du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, David Langner, qui a fait le déplacement pour l’occasion.

Lignes modernes, couleurs apaisantes, puits de lumière : BASF n’a pas lésiné sur les moyens. Le LuMit abrite un nouveau jardin d’enfants (LuKids) qui offre 250 places (21 000 places en tout en Allemagne), un service pour la famille (offres de vacances pour enfants et parents, aide psychologique, conférences à destination des jeunes parents, etc.), un centre de santé (LuFit : club de fitness pour 2 000 membres et actions de prévention médicale) et enfin un service de conseil social (LuCare : équipe de psychologues et de travailleurs sociaux, intervenants, conseils pour toute situation de crise dans et hors de l’entreprise). « En tant qu’entreprise, il nous tient à cœur de ne pas laisser nos salariés seuls face à ces différents défis », précise Margret Suckale, en assurant qu’une politique des ressources humaines ancrée sur le long terme « est toujours payante ».

Bien sûr, toutes les entreprises allemandes n’ont pas les moyens financiers de BASF. Mais la construction du LuMit est tout de même symbolique des progrès accomplis par l’Allemagne, tant de la part des pouvoirs publics que de celle des entreprises. En 2008, lors d’un congrès organisé par la Confédération des syndicats allemands (DGB), celle-ci rappelait que seulement 10 % des entreprises avaient signé avec leur comité d’entreprise un accord en faveur d’une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Le rapport 2013 du ministère fédéral de la Famille sur le développement des pratiques de work life balance dans les entreprises relève que près de 81 % d’entre elles placent désormais ce sujet au centre de leurs préoccupations RH et ont commencé à mettre en œuvre des mesures très concrètes, principalement par le biais de l’aménagement du temps de travail.

Temps de travail à la carte. Chez Trumpf, une grosse PME du Bade-Wurtemberg, leader mondial dans la découpe du métal au laser, les salariés se sont ainsi vu proposer un temps de travail à la carte. Tous les deux ans, ils peuvent déterminer leur temps de travail, entre quinze et quarante heures par semaine, en fonction de leur situation personnelle. S’ils souhaitent, par exemple, avoir plus de temps pour s’occuper d’enfants en bas âge, aider une personne dépendante, ou pouvoir faire face à l’achat d’une maison en gagnant plus. Résultat : « 90 % des salariés ont demandé à travailler plus et 10 % à réduire leurs horaires », explique-t-on chez Trumpf, qui a ainsi pu combler une partie de ses besoins de main-d’œuvre tout en améliorant la satisfaction de ses salariés.

Chez Siemens, premier employeur privé d’Allemagne, la direction a favorisé la création d’un réseau d’anciens collaborateurs à la retraite qui, sur les grands sites comme ceux de Munich ou d’Erlangen, apportent des aides diverses, comme garder des enfants ou faire des courses, aux salariés actifs. Par ailleurs, pour faciliter le retour des femmes au travail, le groupe a introduit une prime au retour à l’emploi pour les jeunes mères : 100 euros par mois et par enfant jusqu’à l’entrée à l’école primaire. Siemens propose aussi un service d’aide à la recherche de places de crèche.

Les efforts des entreprises allemandes pour créer un environnement permettant de mieux concilier famille et travail sont liés à la recherche d’une organisation du travail plus souple, plus réactive et moins coûteuse. Mais aussi à la prise de conscience que le vieillissement de la population risque tôt ou tard de conduire à une pénurie de main-d’œuvre. Les démographes et les experts du marché de l’emploi estiment en effet que 6,5 millions de travailleurs pourraient manquer au pays à l’horizon 2025. Les entreprises sont également poussées par le besoin de lutter contre le stress au travail, par la nécessité de préparer le passage à la retraite à 67 ans, ou encore de prendre en compte les désirs d’émancipation et de carrière des salariés. L’approche transversale du work life balance, à laquelle elles se sont donc converties, au moins sur le principe, leur permet aussi d’améliorer leur image d’employeurs.

Crèches et salaire parental. Cette évolution a été fortement soutenue par les trois derniers gouvernements allemands. Soucieux de stimuler le travail des femmes, considéré comme l’une des réponses à la pénurie annoncée, les dirigeants allemands, quelle que soit leur couleur politique, ont massivement augmenté les capacités d’accueil des crèches et des écoles. Le gouvernement de Gerhard Schröder a ouvert le feu en lançant un vaste plan de passage à l’école primaire à plein temps. Angela Merkel lui a emboîté le pas en soutenant massivement la création de 250 000 places de crèche. Parallèlement, un salaire parental destiné aux pères autant qu’aux mères a été créé. Enfin, la Fondation privée Hertie et le ministère de la Famille ont lancé l’initiative « Profession et famille ».

En concertation avec les agences régionales instaurées par les Länder pour aider les PME à faire face au vieillissement démographique, cette initiative mène des actions de sensibilisation dans les entreprises qui n’ont pas le temps, la culture ou les moyens de gérer ce défi en interne. Un audit détaillé a été mené pour permettre aux entreprises d’établir un bilan démographique de leurs effectifs et de mettre en place une stratégie globale. La mise en œuvre réussie des recommandations de l’audit débouche sur l’attribution d’un label, prestigieux pour l’entreprise qui le reçoit. Enfin, chaque année, « Profession et famille » décerne un prix pour les meilleures pratiques.

En dépit des progrès enregistrés, la ministre allemande de la Famille, Kristina Schröder, exhorte les employeurs à poursuivre leurs efforts. Car, selon elle, beaucoup d’entre eux privilégient la culture de la présence et font au moins autant attention au temps passé au travail qu’à la réalisation des objectifs. Dans le programme de gouvernement de « grande coalition » présenté par les conservateurs et les sociaux-démocrates fin novembre, une mesure annoncée mérite attention. Les partenaires veulent introduire un droit au temps partiel, assorti d’une garantie de retour au plein-temps à l’issue de la période de temps partiel, pour les salariés qui ont des enfants en bas âge ou qui doivent s’occuper de personnes âgées dépendantes. Si elle voit le jour, cette mesure pourrait donner un nouveau coup d’accélérateur à la conciliation famille-travail.

44,37 %

des Allemandes ayant des enfants de moins de 5 ans travaillent, contre 61,7 % des Françaises.

1,2 million

d’Allemandes ne travaillant pas ont un niveau de qualification recherché par les employeurs.

Sources : Fondation Bertelsmann, ministère fédéral de l’Emploi et des Affaires sociales.

Auteur

  • T. S.