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Les seniors jouent les prolongations

Décodages | Emploi | publié le : 31.12.2013 | Adeline Farge

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Les seniors jouent les prolongations

Crédit photo Adeline Farge

Modification des conditions de départ à la retraite, allongement de l’espérance de vie et nécessité financière poussent de nombreux salariés à reculer la date où ils cessent leur activité. Pas simple à gérer pour les employeurs.

Tour à tour coiffeuse, conseillère beauté, attachée clientèle, vendeuse puis secrétaire. Valérie* n’a cessé d’enchaîner depuis une cinquantaine d’années différents boulots, entrecoupés de périodes de chômage. « Si j’étais partie à la retraite à 63 ans, cela aurait été difficile financièrement. J’ai choisi de rester pour bénéficier de la surcote. Ma pension a gonflé de 150 euros par mois », explique-t-elle. Ses motivations ne sont pas seulement d’ordre pécuniaire. Elle envisage cette période d’inactivité avec une légère anxiété. « J’ai un peu peur de m’ennuyer, souffle-t-elle. Travailler me permet de garder un contact avec les autres. La solitude n’est pas évidente. »

Comme Valérie, beaucoup de salariés rechignent aujourd’hui à partir à la retraite. L’an dernier, environ 2 050 salariés d’EDF ont levé le camp, soit 5 % de moins que ne le prévoyait la direction. Même situation, à moindre échelle, chez Maaf Assurances. En dépit des entretiens de seconde partie de carrière systématiquement menés, la direction des ressources humaines a vu ses prévisions faussées. Près de 52 seniors, sur les 150 dont le départ était prévu cette année, ont préféré rester à leur poste. Une première pour cette entreprise où les salariés avaient tendance à partir le plus tôt possible. « Dans les prochaines années, on va assister à une montée en puissance des 60-65 ans », pronostique Véronique Jolly, la DRH du groupe.

Avec des études qui s’allongent, des carrières hachées, des périodes chômées qui s’accumulent et des réformes successives qui augmentent la durée de cotisation nécessaire, les salariés sont contraints de prolonger leur carrière pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Même passé l’âge de 67 ans, qui donne automatiquement droit à une retraite à taux plein, une minorité d’entre eux refusent de partir, séduits par la surcote qui majore leur pension de 5 % par an. Imparable puisque, depuis 2010, les employeurs ne peuvent plus mettre à la retraite d’office leurs salariés avant 70 ans, alors que l’âge couperet était auparavant fixé à 67 ans. « Dans certaines entreprises vieillissantes, un tiers des salariés ont plus de 50 ans. Si l’expérience du senior n’est pas décisive, qu’il y a une usure professionnelle et une moindre motivation, cela pose un problème. Après un certain âge, la fatigue est plus présente et la capacité de récupération décroît », souligne Jean-Christophe Sciberras, DRH France de Solvay et président de l’ANDRH. Ces firmes doivent donc trouver des ­solutions pour rester performantes. « Avec cette loi, elles ont perdu un levier d’action pour gérer les carrières. Il reste les ruptures conventionnelles. Le salarié peut obtenir des indem­nités, donc préférer cette option », poursuit Jean-Christophe Sciberras.

L’état de santé déterminant. Au total, en 2012, 14 % des nouveaux retraités ont bénéficié d’une surcote, selon une étude de la Cnav. Certes, les schémas de vie ne sont plus uniformes et les actifs revendiquent leur liberté à prendre leur retraite quand ils le souhaitent. Mais leurs motivations sont principalement économiques. Ils craignent de subir un décrochage de leur revenu et de celui de leur foyer une fois à la retraite. D’après une enquête de la Cegos, ils sont 94 % à placer l’argent en tête de leurs préoccupations. D’autres facteurs entrent aussi en jeu. « Leurs motivations sont d’ordre financier et liées à ­l’allongement de l’espérance de vie. Les Français font des enfants plus tard. Au moment de leur départ à la retraite, ces derniers sont encore en études ou en contrat précaire. Ils doivent aussi prendre en charge leurs parents, en finançant la maison de retraite. À 65 ans, ils se sentent encore en pleine possession de leurs moyens », analyse Virginie Loye, responsable des formations RH chez Cegos, spécialiste des formations professionnelles.

Bien entendu, toutes les catégories socioprofessionnelles et tous les secteurs d’activité ne sont pas concernés de la même façon par ce phénomène. Chez Areva, par exemple, ce sont sans surprise les ouvriers, et pas les ingénieurs et les techniciens, qui liquident leur carrière dès que possible. Dans des secteurs comme le BTP ou l’agroalimentaire, les salariés restent également moins longtemps qu’ailleurs. « Plus on avance en âge, plus cette situation concerne une minorité. Ce sont principalement des cadres supérieurs qui sont en capacité de rester en emploi. Des seniors reconnus dans leur entreprise, souligne Rodolphe Delacroix, directeur du département gestion du changement au cabinet de conseil en ressources humaines Towers Watson et auteur de l’ouvrage Si senior ! Travailler plus longtemps en entreprise, c’est possible. Cela nécessite d’être en forme physique suffisante. La question se pose différemment pour ceux qui connaissent une usure au travail ou qui ont atteint leurs limites en termes de compétences. »

Anticipation délicate. Bon nombre d’entreprises, qui ont usé et abusé des préretraites et mis les seniors à l’écart, ne voient pas d’un bon œil leurs collaborateurs jouer ainsi les prolongations. Car, comme le rappelle Annie Jolivet, économiste au Centre d’études de l’emploi, si, « à partir de 65 ans, l’employeur peut annuellement solliciter le salarié sur ses intentions lors d’un entretien de fin de carrière, ce dernier n’a pas obligation de se prononcer sur son choix. Les directions des ressources ­humaines n’ont donc pas de vision globale des carrières. Les départs à la retraite sont plus difficiles à gérer et à anticiper car ils ne sont plus prévisibles. Cet allongement réduit également les possibilités d’embauche ».

Pour échapper à ce manque de visibilité et éviter les déconvenues, Axa a établi un dispositif de transition de fin de carrière. À partir de 60 ans, les seniors se voient proposer de remplacer leur temps plein par un temps partiel entre six et trente mois avant le départ à la retraite, à leur convenance. Pour favoriser un glissement progressif et assurer un maintien de la rémunération, l’employeur compense cette baisse de salaire. « Quand on interroge nos collaborateurs, ils ne savent pas quand ils vont quitter l’entreprise, et nous, nous n’avons pas d’informations sur leur nombre de trimestres cotisés. Il faut donc préparer les départs à la retraite. En étant éclairé sur l’avenir, le salarié prend plus facilement sa décision. En contrepartie, Axa connaît la date des départs à la retraite à l’avance. Cette vision prévisionnelle nous aide à organiser le transfert de compétences et à anticiper les recrutements », justifie Didier Aujoux, directeur finances et analyses RH d’Axa France, qui se réjouit du succès de la formule, car 1 000 personnes en ont déjà bénéficié.

* Le prénom a été changé.

Savoir-faire et productivité

Chez Ervor, Laurent Vronski emploie parmi ses 50 salariés nombre de seniors de plus de 60 ans. Quand il recrute, ce patron privilégie le savoir-faire des seniors à l’endurance de la génération Y. « Notre société est centrée sur des métiers manuels. Quand ils ont trente ans d’expérience, les collaborateurs sont opérationnels en quelques heures. Ils ont plus de connaissances et sont plus productifs. On peut leur confier des tâches complexes, juge Laurent Vronski. À 55 ans, c’est leur dernier poste, donc ils s’accrochent. » Ils sont aidés par la dispense de port de charges lourdes et l’éclairage amélioré de leur espace.

Auteur

  • Adeline Farge