logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Les petits calculs de l’équité salariale

Décodages | Rémunération | publié le : 31.12.2013 | Anne Fairise

Malgré les restrictions budgétaires et les compressions d’effectifs, les entreprises maintiennent ou créent des enveloppes pour corriger les écarts salariaux entre les femmes et les hommes. Pas simple…

Encore 1,2 million d’euros dédié en 2014 à la promotion des femmes chez BNP Paribas ! La politique d’égalité professionnelle a pris des allures d’îlot protégé lors des négociations salariales, qui se sont conclues fin octobre par un constat de désaccord entre la direction et les syndicats, furieux de l’absence d’augmentations générales. Mieux que préservée, l’enveloppe destinée à ébranler le « plafond de verre » et à soutenir l’évolution des salariées dans les métiers sous-féminisés, dans la banque d’investissement ou l’informatique, augmente de 20 %. Malgré le serrage de boulons. « Sur un sujet aussi compliqué et passionnel, nous ne pouvons nous permettre de stop and go. Il faut agir dans la durée », martèle Didier Legrand, responsable des affaires sociales du groupe, qui a consacré dans l’Hexagone, entre 2007 et 2010, 4 millions d’euros à réduire les écarts salariaux entre les deux sexes.

Chez Air France, qui vit depuis deux ans réduction des coûts et coupes claires dans les effectifs, la restructuration n’a pas infléchi, non plus, la politique menée. La provision créée en 2008 pour corriger les « écarts résiduels significatifs », révisée tous les ans lors des négociations annuelles, a été reconduite dans le cadre du quatrième accord sur l’égalité professionnelle, signé avant Noël. Logique pour Patricia Chambaudrie-Bercy : « Le principe d’égalité salariale entre les femmes et les hommes est désormais bien ancré dans la culture d’entreprise », martèle la responsable diversité du transporteur, où 21,8 % des femmes cadres pouvaient prétendre, en 2013, à une compensation. Mais elle était minime pour les deux tiers, l’écart de salaire leur étant défavorable étant de… 0,5 % maximum comparé au seuil significatif retenu par l’entreprise.

Les « payeurs » minoritaires. Au-delà des sociétés impliquées de longue date dans la voie de l’équité, la pratique semble gagner du terrain. En février prochain, Accenture réalisera pour la première fois une étude sur trois ans des rémunérations moyennes, par organisation, niveau et sexe. Et il a promis de corriger, dans les trois mois, tout écart supérieur à 1 %. Un sacré bond en avant : « Le précédent accord n’était que déclarations d’intention. Cette fois, l’entreprise s’engage sur des indicateurs, définis avec les syndicats, même si certains, sur l’évolution de carrière, sont insuffisants », note Jérôme Chemin, le DSC CFDT, juste sorti d’un entretien avec une consultante au même grade depuis… 2005, année du premier de ses trois congés maternité. Voyez cette entreprise francilienne : lors des négociations annuelles fin 2013, elle a proposé, autre première, 80 000 euros sur trois ans pour combler les inégalités salariales de genres, alors que l’année sera blanche d’augmentations pour ses troupes. Autant de bonnes nouvelles pour ceux qui désespéraient des microscopiques avancées de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, un principe pourtant inscrit dans le Code du travail depuis… 1972. La pression mise par la ministre des Droits des femmes n’y est pas étrangère. La menace d’une pénalité, jusqu’à 1 % de la masse salariale maximum, pour les sociétés d’au moins 50 salariés non couvertes par un accord collectif sur l’égalité professionnelle, ou un plan d’actions, n’est plus virtuelle : quatre employeurs ont été sanctionnés en 2013, après une avalanche de 400 mises en demeure. Surtout, depuis fin 2012, Najat Vallaud-Belkacem a fait du salaire un sujet obligatoire des accords ou des plans d’actions, qui doivent désormais fixer des objectifs de progression et des indicateurs chiffrés ! Pour Cécile Ingremeau, consultante en rémunération chez Altedia, la crise joue aussi : « Quand le budget global est contraint, pour préserver le contrat social avec leurs salariés, les entreprises privilégient la réduction des inégalités par des enveloppes dédiées aux bas salaires ou à l’égalité professionnelle. » « Il y a un symbolisme de l’enveloppe, sur lequel les entreprises communiquent facilement », renchérit François Fatoux, de l’Orse.

« Les enjeux sont dans les petites entreprises, nuance Marion Marchal, consultante senior spécialiste de l’égalité professionnelle chez Towers Watson. Les grandes entreprises ont beaucoup agi après la loi de 2006. » Axa France, HSBC, LCL, EDF, Schnei­der, etc. , ont vite réagi face à l’obligation de combler les écarts salariaux, initialement fixée à décembre 2010, mais abandonnée à un mois de l’échéance par le gouvernement Fillon (le défaut d’accord ou de plan d’actions est désormais passible de sanctions). Difficile, néanmoins, d’avoir une vision d’ensemble, les études étant rares. Selon celle de Marion Rabier, réalisée en 2008 (qui fait encore référence !), sur 389 accords égalité professionnelle, moins de… 4 % proposaient des mesures de rattrapage. Pis, moins de deux entreprises sur trois font un diagnostic, en réalisant le rapport de situation comparée (RSC), pourtant obligatoire depuis 1983, a révélé début 2012 l’Apec. Après enquête auprès de 1 001 employeurs, elle pointait leur posture de déni : « Lorsqu’il s’agit de leur cas, les entreprises déclarent très majoritairement qu’une situation égalitaire domine » pour les non-cadres et les cadres.

Discrimination. On les comprend, au vu de la complexité du chantier qui reflète l’ensemble des inégalités dans l’accès à l’emploi et le déroulement des carrières, et sous-entend la reconnaissance d’une discrimination. Or les entreprises réfutent toute intention délibérée. Pour ne pas prêter le flanc aux recours individuels, les rares qui mettent en place des compensations salariales rechignent à informer les salariées « rattrapées », à motiver leur décision et le niveau de compensation. « Il faut être prudent avec le risque juridique », avoue un DRH du CAC 40. « C’est là où il y a du dialogue social et une connaissance du sujet, via le RSC, que le risque de contentieux est le plus fort », soupire un expert. Chez BNP Paribas, la CFDT réclame plus de transparence. « Lorsqu’une salariée, de retour de congé maternité, obtient une augmentation individuelle, on ne sait pas sur quel budget. Comment s’assurer qu’elle ne se substitue pas à une augmentation individuelle à laquelle la salariée aurait droit ? » plaide le DSC Jean-Marc Milly.

Même Air France, qui a opté pour des mesures collectives plutôt qu’individuelles, peaufine sa communication. « L’attribution de compensation ne prouve pas l’existence de discrimination. Nous comparons le salaire de base annuel moyen d’un groupe de femmes à celui d’un groupe d’hommes comparable (et donc de manière collective) et non des rémunérations individuelles », observe Patricia Chambaudrie-Bercy. Opter pour une enveloppe de rattrapage salarial, c’est s’exposer aux interpellations sur l’importance du budget (présenté en valeur absolue ou en pourcentage de la masse salariale), les modalités d’attribution, la gestion en cas de non-consommation…

Encore faut-il s’entendre sur les outils du diag­nostic. Une autre épine. La complexité tient à la difficulté de comparer des profils identiques (métier, classification, localisation) et de repérer les écarts ne provenant pas de différences de formation, d’expérience, de mobilité, de temps partiel. N’est pas économètre qui veut ! C’est l’argument des cabinets de conseil. « Plus de 70 facteurs variables peuvent expliquer une rémunération effective », martèle le cabinet Arcanta, qui propose un logiciel vérifiant si les écarts découlent d’une variable « légitime ». Il y a autant de pratiques que d’entreprises dans le choix des indicateurs ou du périmètre d’étude. Certains ciblent des populations ou des métiers. « Pour inclure un maximum de salariés dans les comparaisons », Air France met en parallèle les salariés par groupes de cinq, chiffre non représentatif pour la statistique ! Quant au seuil d’écart à partir duquel l’entreprise intervient, il est propre à chacune. Axa France s’est concentré sur les femmes dont le salaire moyen était inférieur de 10 % à la médiane de rémunération des hommes. BNP Paribas s’alerte dès qu’il y a 5 % d’écart sur la rémunération de base. Accenture interviendra à partir de 1 %… Selon l’étude de Marion Rabier, beaucoup se contentaient des indicateurs réglementaires : comparaison des salaires moyens ou médians, par grande catégorie professionnelle, part des femmes dans les dix plus gros salaires et éventail par catégorie.

Compléments salariaux. « Insuffisant », juge Rachel Silvera, économiste spécialiste du sujet (voir l’encadré ci-contre) : « Les comparaisons doivent se faire a minima par métier, par poste, et il faut renseigner les promotions, la durée d’ancienneté dans les grilles, bref le passif. » « La mesure des écarts salariaux est une photographie à un instant t : elle doit être reconduite régulièrement, renchérit Pierre Lamblin, directeur du département études et recherches de l’Apec. Mais, pour dévoiler les discriminations dans le déroulé de carrière, il faut établir un historique sur cinq à dix ans. » Rien d’une promenade de santé !

Au-delà du salaire de base, il y a les compléments de salaire, qui accentuent les inégalités. Peu s’attellent à ce dossier. Contrairement à EDF, qui s’y engage après avoir réussi – une première ! – à combler les écarts sur le salaire de base : 0,2 % en 2012. « C’est le reflet de la politique volontariste menée depuis 2004, et cela montre la mobilisation de la filière RH, des managers et des syndicats », souligne Marianne Laigneau, DRH du groupe, qui a consacré, entre 2004 et 2007, 1,5 % de la masse salariale par an à la résorption des inégalités de genres. Reste à traiter le dossier des rémunérations complémentaires (issues des astreintes, des heures sup, du travail posté) : l’écart moyen atteignait 18 % en 2012 ! « Le sujet n’est pas la discrimination. Les femmes s’engagent moins sur des métiers techniques. À nous de les y aider », précise la DRH groupe. Celle-ci a eu la surprise, à l’été, de voir contestés les résultats d’EDF par une étude de la commission égalité professionnelle du CCE, qui a remis en cause la méthode employée. « Les chiffres sont porteurs d’une norme sociale », écrit le cabinet Émergences. Exemple : si un homme gagne 100 euros et une femme 75, l’écart rapporté au salaire masculin est de 25 % (la baisse en partant du salaire masculin). Rapporté au salaire féminin, il est de 33 % (la hausse en partant du salaire féminin). Pas de quoi rassurer les employeurs !

“Il y a une nouvelle sensibilité à l’égalité”

RACHEL SILVERA

Économiste, maître de conférences à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense.

En 2011, 3 000 accords égalité professionnelle ont été signés. Le mouvement est lancé ?

Le vrai sujet, c’est le contenu des accords ! Beaucoup sont des coquilles vides. Nous avons besoin d’études. Il y en a eu pléthore sur les accords de RTT, pourquoi si peu sur l’égalité ? La dernière étude date de 2008. Sous l’impulsion de la ministre des Droits des femmes, les choses évoluent : les Direccte sont chargées de remonter les accords et même les plans d’actions. En 2013, quatre entreprises ont été sanctionnées, c’est une première. Il y a une nouvelle sensibilisation à l’égalité professionnelle, et du dialogue social. Mais seuls 18 % des accords d’entreprise abordent ce thème.

La crise influe-t-elle sur les politiques de rattrapage ?

Dans les entreprises, surtout des grands groupes, des enveloppes sont dédiées au rattrapage des inégalités salariales. On affiche parfois des sommes élevées, mais elles ne représentent que 0,1 ou 0,2 % de leur masse salariale, contre 1 à 3 % au Québec. En période de crise, ces enveloppes ne sont pas toujours dissociées des augmentations générales (souvent faibles). Il y a un risque de mettre en concurrence les salarié (e) s. Les syn­dicats s’approprient mieux le sujet, mais cette pratique risque d’être mal perçue et de retarder l’égalité réelle.

Pour réaliser l’égalité salariale, vous défendez aussi la valorisation des emplois à prédominance féminine…

La jurisprudence s’est étoffée depuis qu’en 2010 la Cour de cassation a jugé qu’une RRH, membre du comité de direction, ne pouvait être moins payée que ses collègues, directeurs financier et commercial. L’enjeu est de passer du contentieux individuel à la renégociation des classifications de branche, pour basculer dans un traitement collectif. J’attendais beaucoup de la négociation interprofessionnelle sur la qualité de vie au travail. À tort, pour l’heure. Je compte sur les actions de groupe en justice pour relancer les négociations.

Propos recueillis par A. F.

REPÈRES

12 %

C’est l’écart de salaire de base horaire entre les femmes et les hommes en 2009.

21 %

C’est l’écart de salaire horaire moyen entre les femmes cadres et les hommes cadres.

Source : Insee, 2012.

Auteur

  • Anne Fairise