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Décodages

Le Maroc tricote sa couverture sociale

Décodages | international | publié le : 31.12.2013 | Isabelle Arbona

Encore embryonnaire, le système de protection sociale est en train d’évoluer sur l’assurance maladie et l’indemnisation du chômage. Reste la question de la réforme des régimes de retraite, confrontée au poids de l’activité informelle.

Si je perds mon travail, est-ce que je pourrai toucher pendant quelques mois une partie de mon salaire ? » Assistante dans une entreprise de transport de ­Casablanca, Selma n’en finit pas de poser des questions sur la toute nouvelle indemnité pour perte d’emploi (IPE) à son amie Wafa. Les deux jeunes femmes sont âgées de 28 ans et 34 ans. Elles ont fait des études et se félicitent d’avoir du travail. Mais, comme beaucoup de jeunes au Maroc (30 % des moins de 15-29 ans sont sans emploi, selon les données de la Banque mondiale), elles ont déjà connu le chômage. « Heureusement qu’il y a la famille car, quand vous perdez votre emploi, vous vous retrouvez sans rien », explique Selma.

L’indemnité pour perte d’emploi, qui doit voir le jour d’ici à la fin du premier trimestre 2014, va changer la donne. Vu de France, le dispositif paraît certes modeste. Pendant six mois, il prévoit le versement d’une indemnité dont le montant est équivalent à 70 % de la moyenne des salaires perçus pendant les trente-six derniers mois sans dépasser le smic, soit à peine 200 euros par mois. Amplement relayé par la presse marocaine, le sujet n’en fait pas moins l’effet d’une petite révolution dans un pays où le système de protection sociale reste embryonnaire. Faut-il y voir là l’une des conséquences positives du « printemps arabe » qui, en 2011, a poussé des milliers de gens dans la rue et provoqué une vague de protestation au sein des entreprises ? « Non », répond catégoriquement Jamal Belahrach, le président de la commission emploi et relations sociales de la CGEM, le patronat marocain. Et de rappeler volontiers que, dès 2009, patronat et syndicats ont conclu un pacte social qui prévoit d’ouvrir des négociations sur un certain nombre de dossiers sensibles, telles la réglementation du droit de grève ou l’indemnisation des salariés en cas de perte d’emploi. Pour autant, « il est urgent de construire un modèle social dont la protection sociale doit être l’un des socles », reconnaît Jamal Belahrach.

Avancées sur la santé. Car, que ce soit en matière de santé ou de retraite, le taux de couverture de la population reste faible. « Le pays tente de rattraper son retard par rapport à ses voisins maghrébins. Mais au Maroc la notion d’assistance obligatoire n’existe pas », résume sans détour Jean-Marc Dupuis, professeur d’économie à l’université de Caen et auteur d’un article publié en 2011 dans la revue Économie et statistique sur l’impact des systèmes de retraite sur le niveau de vie des personnes âgées au Maghreb. À cet égard, les statistiques parlent d’elles-mêmes : moins de 20 % des plus de 60 ans touchent une pension au Maroc, contre 35 % en Algérie et 38 % en Tunisie.Les taux des actifs cotisant vont du simple au triple : de 26 % au Maroc à 57,4 % en Algérie et jusqu’à 77,6 % en Tunisie.

Hérités de la colonisation, les systèmes de retraite au Maghreb sont tous contributifs, de type bismarckien, c’est-à-dire qu’il faut travailler pour s’ouvrir des droits. Mais le Maroc se caractérise par l’absence d’un régime de retraite destiné à ceux qui travaillent pour leur propre compte et surtout par l’importance de l’agriculture, qui emploie 40 % de la population, et par le poids des « activités informelles ». Selon les derniers chiffres du Haut Commissariat au Plan, elles concerneraient près de 2,5 millions de personnes. C’est le cas de Leïla, 71 ans, qui ne peut compter que sur l’aide de ses deux filles et de son fils installé dans le sud de l’Espagne pour subvenir à ses besoins. Habitante des faubourgs de Casablanca, cette personne âgée, usée par des années de travaux agricoles, ne perçoit strictement rien.

En matière de santé, la situation est en passe d’évoluer avec la généralisation du régime d’assistance médicale pour les économiquement démunis (Ramed) depuis mars 2012. Instauré en 2005, le régime d’assurance maladie obligatoire (AMO) ne concernait en 2012 que 2,9 millions de fonctionnaires et 4,7 millions de salariés du privé, soit 23,3 % de la population globale. Avec le Ramed, la couverture maladie va désormais au-delà et doit permettre d’assurer 28 % de la population non éligible au régime de l’assurance maladie obligatoire, soit 8,5 millions de Marocains. Il confère la gratuité des soins – les soins couverts sont identiques à ceux couverts par l’AMO – à la population en situation d’extrême pauvreté, soit 4 millions de personnes. Quant à ceux dont le revenu annuel oscille entre 334 et 502 euros – ils sont 4,5 millions –, ils doivent s’acquitter d’une cotisation annuelle de 10 euros pour accéder au dispositif.

Anticiper le déséquilibre. « Il s’agit d’un premier pas encourageant vers un système d’assistance obligatoire. Cependant, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour assister une population de plus en plus âgée », s’alarme Ilham Dkhissi, professeur de sciences économiques à l’université internationale de Rabat. La proportion des personnes âgées ne cesse d’augmenter. Selon les projections du Haut Commissariat au Plan, la proportion des personnes âgées de 60 ans et plus va passer de 8,7 % en 2011 à 14,1 % à l’horizon 2025. Une évolution qui va inévitablement provoquer un déséquilibre des régimes de retraite. D’autant plus qu’il existe quatre caisses principales malgré un nombre limité de cotisants. « Cette situation réduit les possibilités de faire jouer le principe de solidarité entre les générations sur lequel repose le système de retraite par répartition en vigueur au Maroc », expliquait Lahcen Achy, enseignant-chercheur en économie, dans une tribune publiée en février dernier dans le quotidien les Échos.

Pour toutes ces raisons, la question de la réforme des retraites devient donc urgente. Le sujet n’est pourtant pas nouveau. Dès 2004, un comité national chargé de la réforme des régimes de retraite a été créé et placé directement sous l’autorité du chef du gouvernement de l’époque. Mais les résultats de ses travaux sont toujours attendus. Plus récemment, la Cour des comptes a réalisé une évaluation de la situation des régimes de retraite au Maroc et avance un certain nombre de préconisations. Alors que les régimes seront déficitaires dès 2014 et que la Caisse marocaine des retraites, l’un des deux régimes dédiés aux fonctionnaires, épuiserait toutes ses réserves financières à l’horizon 2021, la juridiction financière préconise, dans un premier temps, une réforme paramétrique et, dans une seconde étape, d’opérer un remaniement global du système, à la française, avec la création d’un régime de base unique et des régimes complémentaires obligatoires. « Nous savons ce qu’il faut faire mais il faut accélérer le rythme de nos réformes », s’impatiente Jamal Belahrach. Sous peine de faire porter une lourde menace à la paix sociale du pays…

REPÈRES

32,5 MILLIONS

C’est la population totale du Maroc.

73 ANS

C’est l’espérance de vie de la population.

60 ANS

C’est l’âge légal de départ à la retraite.

– DE 20 %

C’est le pourcentage des personnes âgées de plus de 60 ans qui ­touchent une pension de retraite au Maroc.

Sources : HCP, CNSS, Cnops.

Auteur

  • Isabelle Arbona