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Irène Gosset met le groupe Pochet au parfum

Décodages | Management | publié le : 31.12.2013 | Emmanuelle Souffi

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Irène Gosset met le groupe Pochet au parfum

Crédit photo Emmanuelle Souffi

Il était une fois l’un des leaders du packaging du luxe… Pochet, groupe discret vieux de quatre cents ans, sort de l’ombre. Emmené par une des filles de la famille, il maintient ses savoir-faire traditionnels tout en défendant sa compétitivité et en réformant son organisation RH.

Au bord du canal Saint-Martin, à Paris, au 121, on peignait jadis des fioles vendues dans les pharmacies. Cent cinquante ans plus tard, le verre a remplacé la porcelaine et les parfums les médicaments d’autrefois. Il n’y a guère que les photos en noir et blanc des pères fondateurs pour rappeler l’histoire de l’atelier Deroche, racheté en 1830 par la famille Pochet. Dans le bureau d’Irène Gosset, présidente du directoire, les bouteilles de Kenzo, Dior, Saint Laurent fabriquées par le groupe côtoient le flacon de Guerlain créé pour l’impératrice Eugénie en 1858. Qui sait que ces écrins sont conçus en France, dans la vallée normando-picarde de la Bresle ?

La famille Colonna de Giovellina, propriétaire de ce leader français du packaging de luxe, cultive la discrétion. Ces Corses originaires d’un petit village près de Corte règnent depuis 1623 sur les Verreries Pochet du Courval. Nommée en 2009, Irène Gosset a repris le flambeau de son frère,Gabriel. Qui lui-même avait succédé à son père et à son oncle. De quoi rassurer les salariés. « Ça fait du bien de voir un Colonna dans les ateliers, ça signifie que la tradition perdure », souligne Laurent Lenglet, secrétaire du comité central d’entreprise des Verreries Pochet du Courval, fondées par le grand-père et que tout le monde continue ici d’appeler « le Courval ».

Depuis quatre ans, « la fille Colonna » amorce un virage technologique et humain. La concurrence s’active, les Italiens, les Allemands, sans parler des Chinois, taillent des croupières aux plus anciens, tels Pochet ou Saint-Gobain. Plus chers, moins réactifs…, avec leurs 10 usines françaises, les Pochet doivent se réinventer. En se diversifiant dans le plastique pour concevoir des produits de A jusqu’à Z. Et en rachetant des entités à l’étranger pour attaquer des marchés en plein essor, tels le Brésil, les États-Unis et l’Asie. Sans négliger leur histoire et leur savoir-faire.

1 PRÉSERVER LA COMPÉTITIVITÉ

Au Courval, les charrettes ne font pas partie de l’histoire. En 1971, le grand-père Colonna avait investi un an de chiffre d’affaires sur le site historique de Guimerville, dans la vallée de la Bresle, en Seine-Maritime, pour automatiser la production. Les « gens d’en haut », qui travaillaient dans l’ancienne fabrique située à 1 kilomètre, sont descendus en contrebas. Les cueilleurs – qui coupent le verre chaud – et les moulistes découvrent alors de nouvelles conditions de travail. Quarante ans plus tard, les mêmes partent en congé de fin de carrière. En 2008, l’usine avait connu des périodes de chômage partiel mais avait réussi à surmonter la tempête. « Aujourd’hui, on n’est plus une ou deux entreprises à répondre à un appel d’offres, mais trois ou quatre, résume Michel Carpentier, directeur de l’unité verre chaud. Il fallait diminuer nos coûts de revient en misant sur la performance industrielle et produire mieux avec moins de personnel. »

Un plan de reconquête de la compétitivité est mis en œuvre et 163 postes sont supprimés cet été ; 154 salariés quitteront finalement l’entreprise sur la base du volontariat. La famille Colonna promet qu’il n’y aura aucun licenciement sec. La direction joue la franchise. Productivité des concurrents, coûts salariaux, évolution du marché… Les chiffres sont dévoilés. Près d’une trentaine de réunions sont organisées dans les ateliers à toute heure du jour et de la nuit, le site fonctionnant en continu. « Le plan de départs vo­lontaires mettait à mal le sacro-saint principe : "T’inquiète, au Courval, rien ne peut arriver", observe Christine Pourteau, responsable des relations sociales à Guimerville. Pour eux, il n’était pas possible qu’on perde de l’argent et que les Allemands soient meilleurs. »

Dans la foulée, les salaires sont gelés. Objectif ? Économiser 11,5 millions d’euros. Ici, entre le travail de nuit et celui du week-end, on gagne en moyenne 2 000 euros net sur treize mois. Quatre jours de RTT passent à la trappe. La direction tablait sur six et une réduction des temps de pause de dix minutes. Un casus belli pour les syndicats. Après 11 week-ends de grève, chacun finit par s’y résigner. « Il vaut mieux accepter un petit peu pour préserver le reste, confie Brigitte, 35 ans, de l’atelier verre chaud. Aujourd’hui, il faut être irréprochable pour rester dans la course. » Par référendum, les ouvriers choisissent leurs nouvelles « tournantes » avec des jours de congé planifiés pour offrir des sas réguliers de respiration.

Mais à la production, les coupes laissent des traces. « Il y a un an nous étions 300, et aujour­d’hui 222 pour la même charge de travail. On doit faire appel à des intérimaires », déplore Ludovic Depoilly, délégué syndical FO à l’usine de Gamaches. Le stress fait son apparition. « Il est hors de question que le plan de départs volontaires dégrade les conditions de travail », prévient Laurent Lenglet, secrétaire CFTC du CCE. En parallèle, 13 millions d’euros sont investis dans de nouvelles machines pour accroître la production. Une stratégie pas toujours comprise du personnel, qui se demande pourquoi on a supprimé des postes si on peut investir autant…

2 INSUFFLER UNE CULTURE DE GROUPE

D’un côté, le verre, activité historique. De l’autre, le plastique, gisement d’avenir. Qualimetal en Chine, Ipel au Brésil, Lisi Cosmetics et Solev en France… Entre 2008 et 2011, Pochet a eu un appétit d’ogre. Il se constitue en SAS en 2009 et se dote d’une organisation RH digne de ce nom. Car, sur le terrain, on ignore ce que fait le collègue d’Aurillac ou de Saint-Saturnin. « Avant, les entités n’avaient que deux choses en commun : les clients et les actionnaires ! Chacun vivait sa vie. Il fallait casser les silos et créer des synergies », analyse Alain Mauriès, le DRH du groupe, poste qui n’existait pas jusqu’en… 2009 ! Tous les sites ont à présent un RRH qui rapporte au directeur d’usine. Le changement de discours est flagrant. Le DRH, ancien de Coca-Cola, crée un comité de groupe réclamé par les syndicats. Instance d’information, il n’a pas vocation à négocier des accords pour tout le monde. Le recrutement de cadres est désormais centralisé, du moins au niveau de la filiale, mais le dialogue social reste sur le terrain. « Nous sommes implantés dans des bassins d’emploi très différents, avec des conventions collectives et des matériaux très divers », poursuit Alain Mauriès.

Pour comprendre ces subtilités culturelles et réussir à mieux faire passer les messages, le DRH lance deux études, ethnologique et sociologique. En2012, durant trois mois, des scientifiques s’installent sur les lignes de production du Courval, échangent avec les ouvriers. Avec un four à l’arrêt, le climat est tellement tendu que certains pensent que ceux qui répondent seront licenciés ! Le monde du verre est fermé sur lui-même. On y travaille de père en fils et de mère en fille. Quand le chef cherche un mouliste, on lui donne le CV du neveu, du cousin ou de l’oncle. « L’appartenance à l’entreprise se confond avec celle au territoire, c’est là que les familles se constituent, se retrouvent », s’étonne Christine Pourteau, qui peut gérer le même patronyme sur une quinzaine de postes différents !

Mais aujourd’hui, des séminaires de management réunissent les cadres du plastique et du verre. Un entretien annuel d’évaluation commun est créé. Près de 200 managers sont formés aux nouveaux critères. En lieu et place des 19 assureurs pour neuf entités juridiques, un seul gère les 4,5 millions d’euros de cotisations. « Plusieurs entités étaient déficitaires. En mutualisant, on peut mieux contrôler nos dépenses », explique Alain Mauriès. Sur le terrain, ça râle à coups de débrayages, surtout chez Auriplast, dans le Cantal. Le plan de départs volontaires a rebattu les cartes. La mobilité intersites se fait plus facilement. À condition de ne pas être irréversible…

3 PARTAGER LES SAVOIR-FAIRE

À tous les niveaux, on préserve ses secrets de ­fabrication chez Pochet. « Le métier du verre ­s’apprend sur le terrain, en regardant ce que fait l’autre. On se forme de père en fils. Mais pas question d’ouvrir son savoir par peur de perdre son job », raconte Alain Mauriès. En arrivant à l’atelier parachèvement (qui décore les flacons), Mathieu Croize découvre des petits carnets où chacun notait les bons réglages sans les partager avec les autres. « Chacun savait comment ça fonctionnait dans sa tête, mais rien n’était écrit. Aujourd’hui, vu le durcissement du marché, ils comprennent l’importance de passer le relais », souligne ce jeune ingénieur de production.

Compositeur, fumiste, mireur, choisisseur… Aucune école ne prépare à ces métiers. Et à moins d’anticiper la relève, ils risquent de disparaître. Christian est coloriste et partira dans deux ans à la retraite. « Je veux être sûr que quand je ne serai plus là, ça marchera pareil ou même mieux ! » Il faut vingt-quatre heures pour fabriquer du verre, une heure pour l’amener jusqu’aux machines et huit secondes pour produire un flacon. « Le verre, ça n’est pas de la magie, mais une matière vivante, décrit ce sexagénaire. En fonction du taux d’oxygénation, la coloration n’est pas la même. On fait de la chimie, mais aussi de la physique. » Comme beaucoup, il va former son successeur en interne. Faute d’en trouver sur le marché, Pochet a développé un partenariat avec d’autres verriers de La Glass Vallée afin de créer une formation sur mesure en lycée professionnel au métier de machiniste.

4 PROTÉGER LA SANTÉ DES SALARIÉS

Une verrerie industrielle n’a rien d’artisanal. Les fours émettent de la chaleur et font du bruit. Au parachèvement, les produits pour nettoyer ou sérigraphier les bouteilles dégagent une odeur prenante. Les rythmes de travail en 3 x 8 ou en 4 x 8 sont éprouvants. Jadis, les opérateurs avaient tendance à cumuler les jours de congé et de récupération, mais finissaient sur les genoux avant de s’arrêter. C’est pour leur permettre d’avoir des soupapes à mi-parcours que la direction a revu les plannings. Certains y ont perçu une ­atteinte à leur liberté. « Ce sont eux qui gèrent désormais nos journées ! pointe un membre de la CGT. On est des matricules. »

Surtout, la chasse aux accidents du travail – écrasement, fracture, entorse, coupure – a été déclarée. « Avant, quand il y avait un accident, on évitait de le dire pour ne pas avoir de problèmes », reconnaît un ouvrier. Désormais, des audits de sécurité ont lieu tous les mois. Chaussures, bouchons d’oreille, gants…, les équipements individuels sont devenus obligatoires. « Oui à la sécurité, à condition de respecter le confort des salariés », prévient un membre de la CGT. Dans le cadre des négociations qui vont s’ouvrir sur l’intéressement, une partie devrait être liée aux résultats en matière de sécurité au travail. En l’espace d’un an et demi, le taux de fréquence a chuté de 40 à 16,5. Dans la division plastique, c’est surtout la montée des maladies professionnelles, notamment des TMS, qui inquiète les syndicats. « L’absentéisme augmente depuis trois ans. Des gestes répétitifs ont été supprimés, mais d’autres ont été ajoutés. Et puis la population vieillit, le mal fait il y a quelques années, on le paie aujourd’hui », constate Michel Reyt, délégué syndical central FO chez Qualicosmetics. L’avenir se dessine aussi avec des salariés en bonne santé.

EN BREF

Verrier depuis 1623, le groupe Pochet estun des leaders français du packaging de luxe avec Saint-Gobain. C’est l’un des rares abricants français à capitaux familiaux. Détenu par la famille Colonna de Giovellina, il compte 15 usines dont 10 en France. Depuis 2008, il a multiplié les acquisitions à l’étranger (Chine, Brésil, États-Unis) et en France (Qualicosmetics, Solev). La verrerie historique du Courval produit plus de 1 million de flacons par jour pour les plus grands parfumeurs (Dior, Guerlain, Saint-Laurent, Lolita Lempicka). Chaque lancement, comme le fameux nectar de la chanteuse Nicki Minaj ou de Justin Timberlake, nécessite de développer des process de production particuliers.

EN CHIFFRES

En 2002, le groupe Pochet a réalisé 486 millions d’euros de chiffre d’affaires total et comptait 5 541 salariés :

Auteur

  • Emmanuelle Souffi