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Idées

La fin des catégories professionnelles ?

Idées | Chronique juridique | publié le : 02.12.2013 | Pascal Lokiec

Chacun d’entre nous a pris l’habitude de classer les entreprises selon leur taille (TPE, PME…) et les salariés selon leur appartenance à une catégorie professionnelle (ouvriers, techniciens, employés, agents de maîtrise, cadres…). Ces catégories, sur lesquelles s’est construite notre représentation du social, ont-elles encore un avenir ?

Qui n’a pas buté sur la traduction dans une langue étrangère des mots « cadre », « employé » ou « agent de maîtrise » ? Cette habitude française, consistant à classer les salariés en catégories, avec des différences de traitement substantielles en matière de durée du travail, d’indemnités de licenciement, de congés, de retraite complémentaire ou de prévoyance, se heurte à des obstacles de plus en plus dirimants.

LA CONSTRUCTION DES CATÉGORIES

C’est pour l’essentiel aux conventions collectives que nous devons la construction des catégories professionnelles, généralement définies à partir du degré d’autonomie et de responsabilité du salarié, parfois aussi à partir de l’obtention d’un certain niveau de diplôme et/ou d’expérience professionnelle. On comprend qu’il s’agit d’une pure construction au constat que le droit ne comporte pas de définition uniforme des cadres (même si celle de la convention nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947, à l’origine de l’Agirc, est souvent reprise) et que le contrat peut accorder cette qualité à un salarié alors même que les conditions de l’accord collectif pour en bénéficier ne sont pas réunies (Cass. soc., 21 novembre 2012, n° 11-10.829). Dans de rares cas seulement, le législateur a pris la peine de définir lui-même la catégorie professionnelle. Il en va ainsi de la définition du collège « encadrement » aux élections prud’homales, fondée sur le diplôme et le commandement (art. L. 1441-6 du C. trav.) et de celle de sous-catégories de cadres (cadres dirigeants, autonomes…) pour la mise en œuvre de la législation sur le temps de travail. Le Code du travail accueille même la catégorie des « non-cadres » pour la mesure de l’audience dans les TPE (art. L. 2122-10-4 du C. trav. ; voir aussi l’art. L. 212-15-3 ancien C. trav. relatif aux conventions de forfait).

Les conventions collectives ne sont pas, en effet, seules à tirer des conséquences de l’appartenance à une catégorie professionnelle. Outre les exemples susvisés, la loi réserve aux cadres un collège spécifique aux élections professionnelles lorsque leur effectif est suffisant, et des règles propres de représentativité sont applicables aux syndicats affiliés à une organisation catégorielle nationale interprofessionnelle, avec l’aval du Conseil constitutionnel (Cons. const., décret 2010-42, QPC 7 octobre 2010). Les catégories professionnelles déterminent aussi, depuis la loi du 25 juin 2008, la longueur de la période d’essai, avec des durées préfixes distinctes selon que les salariés sont ouvriers ou employés (deux mois), agents de maîtrise ou techniciens (trois mois) ou cadres (quatre mois). On pourra toujours arguer que la loi fait produire trop d’effets à la différence de catégorie, et qu’il aurait mieux valu se fonder sur la nature de la tâche à accomplir ou, comme c’est le cas pour les périodes d’essai prévues par un accord de branche antérieur au 26 juin 2008, s’en remettre à un contrôle de raisonnabilité (Cass. soc., 24 avril 2013, n° 12-11.825). Elle ne fait cependant qu’entériner des différences catégorielles très ancrées dans les conventions collectives.

LA DÉCONSTRUCTION DES CATÉGORIES

On assiste ces dernières années à une remise en cause des catégories professionnelles, à qui il a souvent été reproché de favoriser la constitution d’un droit « de classe ». La cause la plus visible du déclin est constituée par le principe d’égalité. Curieuse histoire que celle des catégories socioprofessionnelles, créées pour dénoncer les inégalités sociales (le Crépuscule des catégories socioprofessionnelles, E. Pierru, Revue française de science politique, 2008/3, vol. 58) et aujourd’hui attaquées comme un frein à l’égalité ! Il est désormais constant que « la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier […] une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique […], cette différence devant reposer sur des raisons objec­tives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence » (Cass. soc., 20 février 2008, n° 05-45601).

Cette solution, qui vaut tout autant pour les avantages accordés par contrat, usage ou accord collectif, condamne nombre des privilèges accordés à l’une ou l’autre des catégories professionnelles, du remboursement de frais à la voiture de fonction en passant par les titres-restaurants, peut-être aussi les différences dans le calcul des indemnités conventionnelles (à moins de s’appuyer sur le fait que le licenciement entraîne une perte de revenus supérieure pour un cadre que pour un ouvrier, rapport P. Bailly, Semaine sociale Lamy 2010, n° 1439). Sans doute réceptive aux inquiétudes suscitées par sa nouvelle jurisprudence, la Cour de cassation l’a assouplie en validant les différences de traitement « ayant pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d’une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rému­nération » (Cass. soc., 8 juin 2011, n° 10-14.725). C’est sur ce fondement qu’elle a pu valider les avantages catégoriels en matière de prévoyance, jugeant que, en raison des particularités des régimes de prévoyance couvrant les risques maladie, incapacité, invalidité, décès et retraite, l’égalité ne joue qu’entre salariés relevant d’une même catégorie professionnelle (Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-20.490).

Combien de temps nos régimes de prévoyance et de retraite complémentaire, conçus sur un schéma catégoriel, parviendront-ils à résister ? Il reste difficile, en effet, d’admettre qu’un cadre profite, pour une même maladie ou une même invalidité, d’un taux de remplacement supérieur à son collègue non-cadre et soit seul bénéficiaire d’un financement patronal prioritairement destiné à sa couverture décès ! L’accent mis, en droit du travail, sur les droits fondamentaux de la personne heurte plus frontalement encore le principe d’une catégorisation des salariés. Droits de l’homme et catégories professionnelles font mauvais ménage ! Le débat est particulièrement vif du côté de la liberté d’expression, avec, sous-jacente, cette idée que plus le salarié est proche du cercle du pouvoir, plus sa capacité de critique doit être limitée. Pendant longtemps, les entreprises s’en sont sorties par un licenciement pour perte de confiance, dont les cadres constituaient la cible privilégiée. Elles s’appuient désormais sur l’abus dans l’exercice de la liberté d’expression (« Droit de critique et obligation de réserve d’un cadre supérieur », J.-E. Ray, Droit social, 2000. p. 165) même si, logiquement, les juges refusent de soumettre les cadres à un régime plus restrictif que les employés. Comme tout salarié, ceux-ci sont libres de s’exprimer, sous la réserve classique de propos injurieux, diffamatoires et excessifs, que ce soit par un tract syndical (Cass. soc., 3 juillet 2012, n° 11-10.79), par des propos tenus au sein du comité de direction (Cass. soc., 3 mai 2011, n° 10-14.104, Bull. civ. V, n° 104) ou par une lettre adressée aux membres du conseil d’administration et aux dirigeants de la société mère (Cass. soc., 27 mars 2013, n° 11-19.734). La question se pose de la même manière de savoir si la liberté de se vêtir à sa guise, le droit au respect de la vie personnelle ou la liberté d’exercice de l’activité professionnelle (voir les clauses de non-concurrence) doivent être appréciés plus sévèrement pour les cadres. Ce n’est pas dans ces termes que la loi invite à raisonner. L’article L. 1121-1 du Code du travail suggère de prendre en compte non l’appartenance à une catégorie professionnelle, mais la « nature de la tâche à accomplir », autant dire invite à procéder à une analyse circonstanciée, indépendante de la catégorie d’appartenance du salarié.

Le contexte extrajuridique n’est guère plus favorable à un raisonnement en termes de catégories professionnelles, alors que de nouvelles variables (en particulier le diplôme et le revenu) sont en train de les supplanter dans les comparaisons internationales. Le droit « de classe » a peut-être vécu…

FLASH
Les cadres dirigeants

L’employeur qui, par exemple, a omis de payer ses heures supplémentaires à l’un de ses cadres peut être tenté de lui attribuer, a posteriori, la qualité de cadre dirigeant. Sous réserve du respect de l’obligation de sécurité, d’application générale (Cass soc., 30 novembre 2011, n° 09-67.798), l’essentiel du droit du temps de travail est en effet inapplicable à cette catégorie de salariés : la durée légale, les durées maximales, les repos, le travail de nuit et les jours fériés. L’application de ce statut dérogatoire suppose que quatre conditions soient réunies : avoir des responsabilités importantes impliquant une large indépendance dans l’organisation du temps de travail ; être habilité à prendre des décisions de manière largement autonome ; percevoir l’une des rémunérations les plus élevées de l’établissement ; participer à la direction de l’entreprise. Ce dernier critère, récemment affirmé par la Cour de cassation (Cass soc., 31 janvier 2012, n° 10-24.412), réduit le périmètre des cadres dirigeants à ceux qui cumulent mandat social et contrat de travail ou sont membres d’un comité de direction (ou exécutif). Un accord collectif peut seulement aménager ces critères en faveur du salarié, notamment subordonnant l’exclusion de la réglementation du temps de travail à une clause expresse du contrat de travail (Cass soc., 6 avril 2011, n° 07-42.935).

Auteur

  • Pascal Lokiec