logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

Faut-il réformer le financement du paritarisme ?

Idées | Débat | publié le : 02.12.2013 |

Les dysfonctionnements du financement du paritarisme incitent à davantage de transparence et de contrôle. Un problème intimement lié aux questions de la représentativité des organisations syndicales et du taux de syndicalisation.

Nicolas Perruchot Conseiller régional de la région Centre, ancien député

Alors que de nombreux pays ont compris qu’on ne pouvait avoir un dialogue social efficace qu’avec un système de financement transparent, la France a cultivé au fil du temps l’opacité dans ce domaine. à telle enseigne que le sujet du financement des syndicats de salariés et des organisations patronales est tabou. La Cour des comptes, l’Igas, l’Assemblée nationale, le Sénat qui ont tenté à un moment d’alerter sur la nécessité de réformer ces dispositifs se sont heurtés à un mur ou à des sanctions. Pourtant, il y a urgence. Car le problème du financement se double d’une crise de la représentativité. Depuis les années 1950 on a divisé par quatre le nombre de salariés syndiqués alors qu’on a multiplié par vingt les moyens octroyés aux syndicats. Le dialogue social à la française est à bout de souffle.

Que faut-il faire pour sortir de cette impasse ? Tout d’abord mettre un terme aux détournements de fonds de la formation professionnelle, qui, via notamment le Fongefor, assure une partie importante du financement des partenaires sociaux. Ensuite doter la DGEFP d’un corps de contrôle permettant de vérifier le bon emploi de l’argent de la formation par les Opca. Certains ont des frais de gestion qui peuvent dépasser les 10 % des sommes collectées (près de 6 milliards d’euros chaque année) ! En contrepartie, l’État devrait mettre en place un mode de financement transparent. Chacune des organisations syndicales pourrait recevoir une subvention proportionnelle à son poids, maintenant qu’il existe tous les quatre ans une élection de représentativité. Ces sommes serviraient à financer les missions de service public assurées par les partenaires sociaux. Le choix d’un financement public inscrit au budget de l’État serait une garantie supplémentaire de transparence car il permettrait un contrôle parlementaire.

Il faut également obtenir de la part des partenaires sociaux et de l’État la publication dans les comptes annuels du nombre de fonctionnaires mis à disposition ou détachés à plein temps. Car, là encore, c’est le flou qui est la règle. Il faut, enfin, encadrer les comptes des comités d’entreprise. Notamment des plus importants d’entre eux. Trop d’affaires récentes démontrent que quand l’État ne veut pas regarder ce qui se passe, c’est la justice qui tranche et qui condamne.

Marc Ferracci Professeur à l’université de Nantes, membre du Crest-Ensae et du Liepp-Sciences Po

Les dysfonctionnements dans le financement du paritarisme ralentissent, voire entravent les réformes, dans des domaines cruciaux pour la sécurisation des parcours de millions de salariés. En témoignent les difficultés de la négociation sur la formation professionnelle, dont une partie des fonds contribue aux ressources des partenaires sociaux, de façon transparente ou plus voilée. La nécessaire réforme du financement doit donner aux représentants des salariés et des employeurs plus d’indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics, mais elle doit aussi permettre d’accroître leur représentativité. Il y a assez peu d’intérêt à adhérer pour les salariés français, alors que les expériences étrangères montrent que des leviers puissants existent pour accroître la syndicalisation. En Suède, où le taux de syndicalisation approche les 80 %, l’adhésion est nécessaire pour bénéficier de l’assurance chômage, mais aussi pour être couvert par les accords signés au niveau de l’entreprise ou de la branche. Les contreparties de l’adhésion, plus tangibles qu’en France, sont à l’origine d’un taux de syndicalisation bien plus élevé. Une étude finlandaise a mis en évidence ce lien de causalité entre service rendu et syndicalisation. L’adhésion a diminué de manière significative à partir de 1992 quand a été créé un fonds d’assurance chômage ne réclamant aucune cotisation syndicale à l’entrée, ce qui a mené les actifs à se détourner de l’adhésion, faute d’une contrepartie suffisante.

En France, imposer un tel système pour l’assurance chômage ou revenir sur les clauses d’extension automatique des accords collectifs serait souhaitable mais difficile à mettre en œuvre. Une alternative consisterait à développer des mécanismes de chèques syndicaux. Abondés par les employeurs et/ou les pouvoirs publics, ils seraient distribués par les salariés à l’organisation de leur choix. Cela contribuerait à banaliser le fait syndical et à améliorer les conditions du dialogue social. Après avoir été préalablement expérimenté et correctement calibré, ce dispositif pourrait permettre un développement du droit conventionnel en incitant représentants des salariés et des employeurs à conclure des accords ambitieux. Une réflexion approfondie sur les critères de représentativité des organisations patronales en est un préalable nécessaire.

Eudoxe Denis Directeur des études de l’Institut de l’entreprise

Pour les organisations syndicales, cette réforme doit être l’occasion de clarifier ce qui relève de la défense des intérêts des salariés dans l’entreprise, et des missions d’« intérêt général ». Cette clarification doit se traduire par des sources de financement spécifiques et la création d’organismes disposant d’une personnalité juridique et d’une comptabilité distinctes. C’est le cas ailleurs en Europe. En ce qui concerne la défense des intérêts des salariés, l’objectif est celui de l’autonomie financière des organisations syndicales, qui implique que les cotisations redeviennent prépondérantes dans leurs ressources – ce qui est loin d’être le cas. Au besoin, ces dernières pourront être complétées par des mécanismes de type « chèque syndical » : sur la base d’une enveloppe prédéfinie par l’entreprise, chaque salarié se verrait remettre un « chèque » qu’il pourrait attribuer librement à l’organisation syndicale qui recueille ses faveurs. Un tel mécanisme existe dans certaines entreprises, comme Axa. Son extension, toutefois, n’est envisageable que sur la base d’un engagement volontaire de la part des entreprises, conscientes de l’importance d’un dialogue social de qualité pour leur propre compétitivité.

Par ailleurs, la pratique des mises à disposition de personnel, qui constitue une ressource significative dans les administrations et certaines entreprises, mériterait d’être davantage encadrée, à l’image de la situation qui prévaut en Grande-Bretagne, en Suède ou en Allemagne, où les employeurs sont contraints d’accorder des crédits d’heures « raisonnables », compte tenu des nécessités de l’activité syndicale, d’une part, et de l’entreprise, d’autre part, où il n’existe pas de mises à disposition des salariés auprès des structures locales ou nationales des syndicats.

Quant aux missions d’« intérêt général », elles peuvent justifier d’un soutien public – sous condition que ce dernier reste limité afin de préserver l’indépendance des partenaires sociaux et qu’il soit transparent. L’objectif est de privilégier un paritarisme d’orientation plutôt qu’un paritarisme de gestion : la formation professionnelle doit être confiée à des opérateurs dûment mis en concurrence et évalués sur des critères de résultat. Une telle logique permettrait de limiter le montant des subventions destinées à financer les indemnités ou jetons de présence associées aux mandats des organismes paritaires.

CE QU’IL FAUT RETENIR

// Michel Sapin, le ministre du Travail, s’est engagé à clarifier le financement des missions confiées aux partenaires sociaux en matière de formation professionnelle.

// Cette réforme du financement du paritarisme sera intégrée au projet de loi portant sur la formation professionnelle et la démocratie sociale, qui devrait être présenté en début d’année prochaine.

// La loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale oblige les organisations syndicales et patronales à publier leurs comptes annuels.

// Le rapport sur les finances des organisations syndicales et patronales, rédigé en 2011 par Nicolas Perruchot, ancien député du Nouveau Centre, n’a pas été adopté par la commission d’enquête parlementaire et n’a pas été officiellement publié.

REPÈRES

3 à 4 %

C’est, selon le rapport Perruchot, la part de leurs budgets que les organisations patronales et syndicales tirent des cotisations alors que le pourcentage d’autofinancement atteint 80 % en Europe.

44,30 EUROS

C’est le montant du « chèque » que les salariés d’Axa (52,80 euros pour les cadres) peuvent attribuer au syndicat de leur choix (2012).