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Une usine à gaz pour les caisses de retraite

Dossier | publié le : 02.12.2013 | C. A.

Nouveauté de la réforme : censé être opérationnel début 2015, le compte personnel de prévention de la pénibilité va mobiliser beaucoup de temps et d’énergie au sein des caisses d’assurance retraite et de santé au travail, chargées de sa gestion.

Le directeur de la Sécurité sociale au ministère de la Santé n’y va pas par quatre chemins : avec 3,3 millions de salariés du privé concernés dès la mise en place du dispositif en 2015, selon les prévisions gouvernementales, le compte personnel de prévention de la pénibilité s’annonce comme « un chantier très lourd, quasiment un nouveau risque », analyse Thomas Fatome. Si la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) se réjouit d’en avoir obtenu la gestion aux dépens de la Caisse des dépôts et consignations, tout lui reste à faire. Et dans un temps très court. Pour tenir le pari, « il sera nécessaire que les décrets d’application soient très rapides », prévient d’emblée Madeleine Medolago, directrice de l’assurance retraite à la Carsat Rhône-Alpes. Et Dieu sait qu’il y en a ! D’ailleurs, la CGT ne serait « pas contre un délai supplémentaire d’un an », afin de « ne pas faire n’importe quoi et d’éviter le contentieux », argue Mijo Isabey, conseillère confédérale sur la retraite et membre du conseil d’administration de la Cnav. « Il sera techniquement impossible d’être prêts en 2015 », renchérit Geneviève Roy, vice-présidente de la CGPME chargée des affaires sociales.

Car, si l’on comprend la philosophie du dispositif, qui vise tout à la fois à compenser et prévenir la pénibilité, les modalités concrètes de sa réalisation demeurent plus que floues. « Faudra-t-il créer un nouvel environnement au sein des Carsat ? » s’interroge ainsi le directeur des risques professionnels de la Cnamts, Dominique Martin. Et si oui, qui sera à la manœuvre ? Les personnels relevant de la branche vieillesse ou ceux de la branche accidents du travail-maladies professionnelles, dont la vocation est justement de prévenir les expositions aux risques professionnels ?

Nouvelles missions. Quoi qu’il en soit, la mise en œuvre du dispositif nécessitera des « moyens dédiés au pilotage du déploiement de ce compte », peut-on lire dans l’étude d’impact du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraite. Et pour cause, tant les nouvelles missions que devront assurer les Carsat pour faire vivre ces comptes sont nombreuses.

Il s’agit tout d’abord de gérer les nouvelles obligations déclaratives des employeurs : ceux-ci devront transmettre chaque année à la Carsat la fiche individuelle de prévention des expositions pour chacun de leurs salariés effectivement exposés à l’un des 10 facteurs de pénibilité prévus par la loi. Cette fiche, créée par la réforme des retraites de 2010 et obligatoire pour toutes les entreprises depuis début 2012, voit son rôle renforcé : l’employeur devra désormais y consigner les expositions dépassant des seuils qu’un décret fixera pour chaque facteur de pénibilité et non plus en fonction de sa seule appréciation. Ce sont ces renseignements, transmis à la Carsat, qui serviront de base à l’ouverture d’un compte pénibilité et à son alimentation en points : un point par trimestre d’exposition à un facteur (deux points en cas d’exposition plurifactorielle), le tout dans la limite de 100 points, soit vingt-cinq ans d’exposition. En attendant la mise en place de la déclaration sociale nominative sur une base mensuelle, la fiche sera transmise à la Carsat « via la déclaration annuelle des données sociales que nous récupérons déjà auprès des employeurs », observe Madeleine Medolago : « On sait faire. »

Tout ce qui relève du précontentieux, du contentieux et du contrôle s’annonce en revanche beaucoup plus compliqué. « Il ne faudra pas s’interdire de travailler avec l’ensemble des forces vives de la Sécu », anticipe-t-on à la direction de la Cnav. Le texte prévoit « un mécanisme de précontentieux obligatoire et technique dédié qui devrait très fortement limiter la saisine des Tass », mentionne l’étude d’impact du projet de loi. Un optimisme que ne partagent pas nombre d’observateurs.

Contentieux. En cas de litige entre le salarié et l’employeur concernant le contenu de la fiche de prévention des expositions, le salarié pourra saisir sa Carsat, non sans avoir apporté la preuve de l’échec d’une résolution amiable au sein de l’entreprise. Son cas sera alors étudié par « une commission ad hoc », dont la composition sera fixée par décret. Indépendamment de toute réclamation, le texte confère aux caisses un pouvoir de contrôle de la réalité des expositions et de l’exhaustivité des données déclarées. En cas de désaccord, les Carsat auront trois ans pour intervenir et mettre en demeure l’employeur de rectifier les données enregistrées.

Sur décision du directeur de la caisse, l’employeur pourra faire l’objet d’une pénalité financière ne pouvant excéder la moitié du plafond mensuel de la Sécu (1 543 euros en 2013) pour chaque salarié victime de déclaration inexacte. Une disposition censée inciter les employeurs à prévenir la pénibilité, tout comme le mode de financement du compte pénibilité : une cotisation de solidarité interprofessionnelle acquittée par tous les employeurs et une cotisation additionnelle versée par les seuls employeurs exposant leurs salariés. Mais quand on sait le mal qu’ont les entreprises à absorber les nouvelles obligations réglementaires en la matière, l’effectivité du contrôle pose de manière aiguë la question des moyens. « Si, dès qu’ils reconnaissent des conditions de travail pénibles », les employeurs « paient une surcotisation, ils ne les reconnaîtront pas », pronostique Alain Carré, du syndicat CGT des médecins du travail des industries électriques et gazières. Or « les Carsat n’ont déjà pas les moyens de faire leur travail », ce dispositif ne sera donc « jamais appliqué », craint-il.

Nécessaires partenaires. Sur pièce ou sur place, le contrôle devra « forcément » passer par « des partenariats », notamment avec les services de la DGT, juge Madeleine Medolago. « Je ne vois pas comment les caisses de base pourraient être chargées de ce contrôle », confie-t-elle. Mais dès 2014, la mise en œuvre du compte pénibilité « va nécessiter de lourds investissements informatiques et l’embauche de compétences pointues », pointe le président FO de la Cnav, Gérard Rivière. Au moment même où les pouvoirs publics mettent les conventions d’objectifs et de gestion sous pression. « Les réductions d’effectifs » concernent « l’ensemble des organismes sociaux », rappelle Dominique Martin. Dans un second temps, l’utilisation des points accumulés – qui devrait concerner 300 000 personnes par an au bout de vingt ans – posera d’autres défis aux Carsat, qui n’appréhendent pas de la même manière les trois modalités d’utilisation des points prévues par le texte. « Le plus simple pour nous sera la majoration de la durée d’assurance vieillesse car nous la pratiquons déjà, pour charge d’enfant par exemple », considère Madeleine Medolago. En revanche, la conversion des points en heures de formation ou en complément de rémunération pour un passage à temps partiel sans perte de salaire est une activité inconnue au bataillon : « Aujourd’hui, les organismes de formation ne sont pas nos partenaires, il faudra donc impulser des partenariats », analyse Madeleine Medolago.

Le coût du compte personnel de prévention de la pénibilité est évalué à

500 millions d’euros en 2020, et à

2,5 milliards d’euros en 2040.

Auteur

  • C. A.