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Jean-Louis Beffa

Actu | Entretien | publié le : 02.12.2013 | Anne Fairise

Saluant la réforme du marché du travail, l’ex-patron de Saint-Gobain juge que François Hollande doit aller plus loin dans la baisse des charges sociales.

Dans votre livre, vous appelez François Hollande à assumer son réformisme. Quelle est, pour vous, la priorité ?

Je laisserai le président annoncer ses réformes, et l’agenda de court terme. Les salariés, les syndicats, les chefs d’entreprise ont besoin de perspectives pour accepter les efforts. François Hollande n’a plus le choix. Ce n’est pas tant la question de son impopularité. Il a atteint les limites de son action de retour précipité aux équilibres budgétaires. Il a augmenté trop fort, trop vite la fiscalité, au risque d’étouffer la reprise. Cette politique n’est plus acceptée des Français. Certes, il est lié par l’accord de septembre 2012 avec Angela Merkel sur l’objectif de retour à 3 % de déficit qui a permis le lancement par Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, pour sauver l’euro, d’un plan de rachat sans limite des dettes publiques. Mais pour atteindre les 3 % de déficit public, François Hollande devait se fixer comme échéance la fin du quinquennat et opter pour un allégement sur le long terme des dépenses, et non seulement des hausses d’impôts.

Comment ?

En osant, par exemple, une vraie réforme des retraites et non un énième colmatage que personne ne croit durable, en révisant le système de santé ou en s’attaquant, enfin, au mille-feuille territorial, dont le volume d’emplois ne cesse d’augmenter. Je ne lui jette pas la pierre. Ces réformes de structure sont difficiles, et son prédécesseur n’a pas fait mieux. Mais comment, aujourd’hui, baisser les dépenses sans augmenter les impôts ? Il est condamné à réformer, et à assumer pleinement sa mue sociale-démocrate. S’il cède à la tentation électoraliste, tergiverse ou recule, il ne fera rien pour aider la France à se redresser et à restaurer sa compétitivité. Comme Nicolas Sarkozy avant lui.

Vous saluez néanmoins la réforme du marché du travail…

C’est la mesure clé de la première année du quinquennat. La loi de flexibilité et de sécurisation de l’emploi va transformer les relations sociales françaises. Je constate, avec intérêt, qu’une part non négligeable des syndicats d’entreprise signe les accords de maintien dans l’emploi, même ceux dont les centrales n’ont pas signé l’accord national interprofessionnel, que la loi retranscrit. Je pense à FO chez Renault, chez Air France. Cela prouve bien que les parties dans l’entreprise s’accordent sur la perte de compétitivité et le partage de l’effort, et qu’il est judicieux de placer ce débat au niveau de l’entreprise. Mais la réforme reste, pour moi, inaboutie. Il nous faut plus d’outils de flexibilité que l’adaptation des coûts salariaux aux fluctuations d’activité. Je suis partisan d’un CDI flexible.

Louis Gallois estime que « l’horizon s’éclaircit » pour une partie de l’industrie. Vous partagez son diagnostic ?

Louis Gallois s’exprime en tant que commissaire général à l’investissement, un an après la création du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice), que son rapport a inspiré. Il met l’accent sur le « positif », les investissements d’avenir, les 34 plans de la nouvelle France industrielle, le plan pour l’innovation, et il a raison. Je partage son analyse selon laquelle il faut mettre l’accent sur la compétitivité hors coût, qui repose sur la capacité d’innovation, essentielle dans la concurrence mondiale. Il manque encore en France un écosystème favorable. Mais je ne considère pas que le débat sur la baisse du coût du travail a été clos avec la création du Cice, qui doit se traduire par un allégement de 20 milliards d’euros d’ici à 2015 pour les entreprises. Il faut encore baisser les charges sociales sur les salaires qui sont une anomalie en Europe.

L’effort est insuffisant ?

Oui, l’État doit aller plus loin pour aider les entreprises dans la concurrence de proximité avec les pays de l’Union européenne, où l’avantage compétitif porte sur le coût du travail. Regardez l’Espagne : les compressions salariales y favorisent des réimplantations dans l’auto­mobile. Les salaires français, en comparaison, sont trop élevés. Et le Cice n’aide pas le secteur industriel exportateur, car il est mal adapté à sa structure de coûts. Il favorise les entreprises abritées de la concurrence mondiale, aux salaires peu élevés et aux besoins importants en main-d’œuvre. La Poste est l’entreprise qui bénéficie le plus du Cice. Plus qu’une mesure de soutien à la compétitivité, c’est un dispositif d’aide à l’emploi. Ces deux sujets sont confondus par les politiques, pour des raisons électoralistes, mais il faut les distinguer. Soyons clairs : les difficultés en matière d’emploi sont faiblement liées aux problèmes de compétitivité et appellent des solutions différentes. Pour restaurer la compétitivité, il faut une autre politique énergétique et relancer l’industrie exportatrice. L’emploi est l’affaire des services, portés majoritairement par des PME sur le territoire.

Les mesures de soutien à l’industrie sont sans effet sur l’emploi ?

Restaurer la place de l’industrie française dans la compétition mondiale n’aura pas de conséquence directe pour l’emploi. Au mieux, on conservera la base actuelle d’emplois industriels ou on l’augmentera légèrement. Les entreprises industrielles compétitives, ou exposées à la concurrence mondiale,sont des viviers limités d’emplois. Comme le coût salarial ne doit pas être un facteur déterminant du prix de revient, elles misent sur l’automatisation, entre autres.

Vous dépeignez un président de la République à l’écoute des entreprises. Or jamais le fossé n’a semblé aussi grand…

Il y a eu une rupture essentielle dans le discours de François Hollande, il lui faut maintenant l’incarner dans sa politique. Depuis l’automne 2012, il accorde une place plus centrale à l’entreprise, alors qu’avant il composait avec le programme du PS rédigé sous Martine Aubry. L’inflexion sociale-démocrate a été manifeste dans les arbitrages pris lors de la création du Cice. Une partie est financée par des hausses de TVA : priorité a été donnée au producteur plutôt qu’au consommateur. Mais François Hollande doit continuer à mettre au centre les entreprises. Prenez la politique de l’emploi : le gouvernement a donné au secteur marchand un rôle périphérique dans les emplois d’avenir. Il est aberrant que le gouvernement préfère insérer les jeunes dans les milieux associatifs, les collectivités territoriales plutôt que dans les entreprises.

Dans la crise, elles embauchent peu…

Certaines auraient pu recruter. Au moins, le gouvernement aurait pu subventionner les emplois d’avenir au même niveau dans les secteurs non marchand et marchand. Malgré la crise, on minimise encore en France le rôle joué par les entreprises, grandes et petites. Le gouvernement concentre son attention sur les PME, dont il espère un sursaut dans l’emploi. Mais elles ne sont pas décisives pour le commerce extérieur. Il est urgent de cibler les efforts sur les grandes entreprises à métiers mondiaux et de renouer un dialogue avec celles, plus abritées de la concurrence, qui se sont donné une dimension internationale. Ce dialogue s’est effiloché depuis trop longtemps. L’Association française des entreprises privées sera un interlocuteur plus constructif que le Medef, au discours extrême.

La décision de Schneider de « délocaliser » une partie de ses dirigeants en Asie marque-t-elle une rupture ?

Elle révèle un risque de rupture. Pour les sociétés présentes dans des métiers régionaux, comme Schneider, Air liquide, Lafarge, la France ne représente plus qu’un marché parmi d’autres. Quand je suis entré chez Saint-Gobain, le groupe était dans 18 pays et la France représentait 40 % de la partie industrielle. Celle-ci ne pèse plus que 12 % dans le groupe implanté dans 64 pays. Pour que ces entreprises parient sur la France et y investissent, il faudra des contreparties.

La loi sur la cession des sites rentables est un mauvais signal aux entreprises ?

À cinq mois des municipales, François Hollande tient une promesse de campagne. Heureusement, cette loi a été vidée de son contenu le plus nocif : l’obligation initiale de cession. Elle va contraindre les entreprises fermant des sites sans justification à payer une somme importante. Sur le principe, cela ne me choque pas. J’ai vécu chez Saint-Gobain sous la règle de l’arrêt Everite de la Cour de cassation de 1995, qui introduit la notion de proportionnalité du plan social aux moyens du groupe. Et cette loi me paraît de faible portée, comparée aux avancées de la loi de flexibilité et de sécurisation de l’emploi qui soustrait les entreprises aux aléas judiciaires. L’accord est soumis au contrôle de l’Inspection du travail, et non plus aux juges, qui méconnaissent les réalités économiques. Je salue ce retour à un contrôle par des professionnels compétents. Les entreprises avaient beaucoup perdu avec la fin de l’autorisation administrative de licenciement.

AUJOURD’HUI PRÉSIDENT D’HONNEUR DE SAINT-GOBAIN, QU’IL A DIRIGÉ DE 1986 A 2007, JEAN-LOUIS BEFFA, 72 ANS, COPRÉSIDE LE CENTRE COURNOT POUR LA RECHERCHE EN ÉCONOMIE. DEPUIS L’ÉLECTION DE FRANÇOIS HOLLANDE, CE PARTISAN D’UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE FORTE À ÉTÉ L’ARTISAN DE RENCONTRES ENTRE LE PRÉSIDENT SOCIALISTE ET PLUSIEURS CAPITAINES D’INDUSTRIE, ET IL EST L’UN DES « VISITEURS DU SOIR » D’ARNAUD MONTEBOURG. IL VIENT DE PUBLIER LA FRANCE DOIT AGIR, AU SEUIL.

Auteur

  • Anne Fairise