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Idées

Que peut-on attendre de la « loi Florange » sur la cession de site ?

Idées | Débat | publié le : 02.11.2013 | <aut/>

Obliger les entreprises de plus de 1 000 salariés à chercher un repreneur pour les établissements qu’elles ferment est-il une piste efficace pour rebooster l’emploi industriel ? Et favoriser l’implication des acteurs de terrain ?

Frédéric Bruggeman Expert en mutations économiques.

La pensée économique qui nous a conduits à la crise de 2007-2008 regarde l’entreprise en termes de droit de propriété. L’actionnaire dispose librement de ce qui lui appartient et la gestion obéit à ses intérêts. Mais l’entreprise est aussi le lieu d’exercice d’un pouvoir (économique) confié à un titulaire (le chef d’entreprise) au nom d’une communauté humaine (la société) avec les représentants de laquelle il doit composer. La « proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle » s’inscrit dans cette perspective : la décision de dispersion des capacités productives (machines, collectif de travail et compétences) d’un établissement viable doit être soumise aux parties prenantes concernées. Elle met donc en place des procédures censées conduire les (grandes) entreprises à tenir compte des différents intérêts en cause dans leurs décisions. La pratique se heurtera à deux difficultés. Le processus français d’information en vue d’une consultation intervient une fois les décisions prises, donc trop tard pour véritablement influer sur elles. Il est très peu probable que la possible saisine du tribunal de commerce en fin de procédure et l’éventualité d’une pénalité financière changent la donne.

Le dialogue social français peine à intégrer pleinement le territoire. L’employeur doit une simple information au « maire de la commune concernée » et l’autorité administrative aux « élus concernés ». Rien n’est prévu pour que les acteurs puissent, ensemble, engager une dynamique de discussion et de négociation. La reprise de la papeterie d’Alizay (Eure) par le groupe thaïlandais Double A résulte pourtant de l’implication du vendeur – le groupe finlandais M-Real –, des IRP de l’entreprise (comité d’entreprise et intersyndicale) et du territoire, ici représenté par le conseil général de l’Eure.

Par ailleurs, les entreprises et les emplois de demain seront, pour partie, issus de start-up pas encore ou à peine créées, engagées dans des processus d’innovation très fortement soutenus par l’action et les fonds publics. Elles sont, en cas de succès, particulièrement fragiles et peu protégées contre des acquisitions dont les objectifs peuvent être leur fermeture ou leur délocalisation. Sur ce point, le texte est muet. C’est donc de la capacité de veille, d’anticipation et de coordination des acteurs de terrain que dépendront les résultats attendus.

Florent Noël Professeur à l’Institut d’administration des entreprises de Paris.

Dans son intitulé, la loi « visant à redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel » ne manque pas d’ambition. Elle implique davantage dans la gestion les actionnaires de long terme par la généralisation du droit de vote double et crée l’obligation de recherche d’un repreneur en cas de fermeture de site, sous le contrôle renforcé des salariés. C’est la continuité dans la gestion qui est favorisée, le législateur posant l’entreprise comme un bien commun à toutes les parties prenantes qui y investissent et s’y investissent durablement.

Au-delà de ce recadrage symbolique, la loi redonnera-t-elle des perspectives à l’emploi industriel ? On imagine mal des entreprises qui oublieraient de remettre sur le marché des actifs dont elles souhaitent se défaire, sauf à considérer que leur valeur ne couvre pas les frais liés à la recherche d’un acquéreur. Si les pénalités prévues sont de nature à prévenir toute forme de négligence, ce n’est pas tant l’obligation de recherche d’un repreneur qui constitue l’intérêt du texte que la possibilité pour le CE de participer à l’évaluation des projets. La cause de l’emploi devrait ainsi être mieux servie. Si négligence il y a, elle précède largement l’imminence d’une fermeture de site. L’expérience montre que les fermetures découlent rarement de décisions soudaines. Lorsqu’elles ne sont pas le résultat de surcapacités touchant souvent l’industrie dans sa globalité, elles concluent des processus lents de déclin lié à l’arrêt plus ou moins programmé des investissements physiques et humains. Ce ne sont pas tant les velléités d’abandon coupable de sites rentables qui sont à décourager que les stratégies qui conduisent en amont à la destruction de leur valeur.

Dans ces conditions, peut-on compter sur d’hypothétiques chevaliers blancs qui viendraient remettre au pot pour un retour sur investissement moindre et plus tardif ? Ce n’est pas impossible. On pense notamment à des acteurs davantage préoccupés par les retombées positives de la production industrielle en termes d’emploi ou de développement local que par la rentabilisation d’investissements financiers. En cela, la loi Florange prépare probablement un terrain favorable à des initiatives de reprise par des collectifs de salariés appuyés par la Banque publique d’investissement.

Jean-Marie Valentin Avocat associé au sein du cabinet Sekri Valentin Zerrouk.

Cette proposition de loi « visant à redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel » confirme l’obligation de rechercher un repreneur en cas de projet de fermeture d’un établissement, introduite par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013. Elle en organise le déroulement, les voies de recours auprès du tribunal de commerce et introduit un régime de sanction sous forme de pénalité financière pouvant atteindre 20 smics mensuels par emploi supprimé. Les récentes fermetures de sites (celui d’ArcelorMittal, à Florange, en tête) ayant toutes été précédées d’une procédure de vente, le législateur ne fait qu’inscrire dans la loi une pratique établie, au risque, cependant, d’enfermer les acteurs dans un mécanisme inadapté. Cette loi innove, en revanche, en impliquant étroitement les salariés par un droit d’information renforcé, par la faculté de déposer une offre et par un droit de recours. Si certains y voient l’occasion de nouvelles chicanes, cette proposition de loi vise surtout à faire émerger entre les partenaires sociaux des solutions innovantes, non plus dans la logique exclusive du droit du travail, mais bien dans celle du droit des affaires. D’où l’intervention du tribunal de commerce. Cela n’est pas sans conséquence : invités à être acteurs de l’opération, les représentants du personnel ne pourront pas se contenter de s’opposer. Ils devront être force de proposition, leur crédibilité étant liée aux solutions défendues. C’est un défi passionnant pour les organisations syndicales qui adopteront rapidement la grammaire des fusions et acquisitions. Cette voie est crédible, nous l’avons expérimentée avec succès dans certains dossiers, mais elle demeure exigeante.

Cette proposition de loi doit cependant être amendée sous peine de créer plus de problèmes qu’il n’entend en résoudre. Un seul exemple : l’employeur, pour refuser une offre de reprise, doit se prévaloir d’un motif légitime. De peur, sans doute, que le tribunal de commerce ne s’égare, le législateur limite ce motif à la « mise en péril de la poursuite de l’ensemble de l’activité de l’entreprise ». Ce faisant, un tel motif ne permet pas d’appréhender la complexité de « l’économie réelle ». Le législateur ne pourrait-il donc pas faire confiance au juge pour apprécier la légitimité des motifs ?

CE QU’IL FAUT RETENIR

// La proposition de loi « visant à redonner des perspectives à l’économie réelle et à l’emploi industriel » répond à une promesse de campagne de François Hollande aux salariés d’ArcelorMittal à Florange.

// Le texte crée une obligation de recherche d’un repreneur pour les groupes de plus de 1 000 salariés souhaitant fermer l’un de leurs établissements. En cas de non-respect, le tribunal de commerce pourra être saisi. Pour les entreprises en redressement judiciaire, l’administrateur sera tenu d’informer les salariés qu’ils peuvent déposer une offre de reprise totale ou partielle de l’entreprise.

// Votée en première lecture le 1er octobre par l’Assemblée nationale dans le cadre d’une procédure accélérée, la proposition de loi socialiste sera examinée par le Sénat le 11 décembre prochain.

REPÈRES

20

smics par emploi supprimé (environ 28 500 euros) : c’est le montant des pénalités prévues en cas de nonrespect de l’obligation de recherche d’un repreneur.

1 000

C’est le nombre de salariés à partir duquel les groupes souhaitant céder l’un de leurs établissements sont soumis à l’obligation de recherche d’un repreneur.

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