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Décodages

Jacques Richier assure la mue d’Allianz

Décodages | Management | publié le : 02.11.2013 | Anne-Cécile Geoffroy

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PYRAMIDE DES ÂGES DES ADMINISTRATIFS

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

À coups de transformations de l’organisation et des métiers, Jacques Richier réforme à vive allure les ex-AGF, devenues 100 % Allianz il y a six ans. Il lui faut aussi renouveler un collectif vieillissant et compter avec des habitudes de dialogue avec un syndicat ultramajoritaire.

Vous souvenez-vous des AGF ? Et aujourd’hui, connaissez-vous Allianz ? Si, sur le plan mondial, la marque est réputée jusqu’à Munich, où les fans du Bayern ont leur stade, l’Allianz Arena, en France, la mémoire collective a presque fini par oublier son origine : celle des AGF, entreprise nationalisée en 1946, privatisée en 1996, qui fut ensuite méthodiquement absorbée par Allianz, une société européenne. Ce manque de notoriété, l’assureur cherche depuis plusieurs années à le combler à grand renfort de campagnes publicitaires. Après la sévère Charlotte Rampling, c’est désormais Inès de La Fressange, plus souriante, qui incarne l’image d’Allianz en France. L’assureur a également investi YouTube en multipliant les vidéos de présentation de ses métiers et poursuit le sponsoring sportif en associant son nom au nouveau grand stade de Nice.

L’artisan de cette stratégie médiatique est Jacques Richier, un patron inconnu du grand public, sauf à Valdeblore, une petite commune de l’arrière-pays niçois dont il est originaire et conseiller municipal UMP. Depuis qu’il a pris les rênes d’Allianz en 2010, il a fait de la filiale française le deuxième contributeur du groupe européen. En lançant son plan stratégique « Réussir notre croissance » pour la période 2012-2015, cet ingénieur spécialiste de physique des matériaux est en train de finir de dépoussiérer et de profondément transformer une maison fondée au début du xixe siècle qui emploie à présent 11 300 salariés.

1 FAIRE ÉVOLUER L’ORGANISATION

En devenant filiale à 100 % d’Allianz SE en 2007, la structure française a calqué petit à petit son organisation sur l’Allianz operating model. Que vous soyez en Inde, en Allemagne ou en France, les filiales fonctionnent toutes sur le même principe. « Auparavant, l’entreprise fonctionnait par ligne de produits de façon cloisonnée. Désormais, nous sommes organisés par grands métiers, explique Yves Laqueille, DRH d’Allianz France. Concrètement, nos centres en province sont tous spécialisés. Rennes est devenu le lieu d’excellence de l’indemnisation IARD [incendie, accident, risques divers – NDLR]. Toulouse gère l’assurance vie, Marseille est spécialisée dans l’indemnisation automobile. »

Sur le plan RH, cette nouvelle organisation a poussé l’entreprise à reconvertir 2 000 salariés. Dans les faits, 1 000 personnes ont effectivement changé de métier. Quatre établissements ont été fermés. Allianz, qui en compte aujourd’hui dix, en a profité pour toiletter ses activités, qui ont baissé de 54 à 24. « L’entreprise accompagne l’aspect opérationnel de ces transformations en formant les salariés concernés aux nouveaux métiers, note Jean-Michel Vergnes, délégué syndical national CFTC. Mais ce n’est pas toujours le cas, notamment dans les sites parisiens où les salariés qui voient leur activité transférée en province restent sur le carreau en ne retrouvant pas de nouveaux postes en région parisienne. » « Nous voudrions faire monter en puissance nos centres en province pour en faire le cœur de nos activités de gestion. Mais il n’est pas toujours facile pour les salariés d’être mobiles géographiquement », note Jacques Richier. « Seule une centaine a choisi la mobilité géographique pour continuer à exercer son activité », poursuit le DRH.

L’un des derniers transferts d’activité concerne les opérations santé déménagées de Lille à Strasbourg. Un grand jeu de puzzle qui ne semble pas être arrivé à son terme et qui s’accélère. Allianz est ainsi en train de finir d’intégrer les quelque 600 salariés de GAN Eurocourtage, racheté à Groupama avant l’été. Les salariés de la direction internationale et de l’économie sociale devraient aussi sortir d’Allianz France en début d’année pour rejoindre une nouvelle société dédiée à la santé internationale et directement rattachée à Allianz SE en Allemagne.

Des services de téléphonie, la gestion du matériel informatique devraient également, à moyen terme, quitter la France pour l’Allemagne et l’Inde. « Notre problème n’est pas que les changements proposés n’ont pas de sens mais qu’il y en a trop. Lors de certains comités centraux d’entreprise, les élus ont souvent près de 20 points différents à l’ordre du jour avec presque autant d’avis à donner. Nous devons aujourd’hui nous interroger sur le rythme du changement », pointe Jean-Jacques Cette, patron de la CFDT d’Allianz, le syndicat majoritaire.

Pour faire accepter les réorganisations, Jacques Richier s’appuie de plus en plus sur les managers. Des conventions les réunissent régulièrement. Des Webconférences sont organisées trimestriellement. « Des initiatives très nouvelles, qui marquent les managers, souligne l’un d’eux. Ces rendez-vous permettent de rencontrer les membres du comex et de partager avec eux le plan stratégique que nous présentons ensuite aux équipes. » Pour favoriser la transversalité et casser les fonctionnements en silos, Jacques Richier a également poussé pour que des binômes d’un jour composés de ma­nagers et de commerciaux partent ensemble sur le terrain. Une opération qui a touché près de 1 000 managers durant l’été.

2 CONTINUER À TRANSFORMER LES MÉTIERS

Ne dites plus vendeur d’assurances mais conseiller en gestion de patrimoine. Une vraie révolution pour les anciens AGF qui ont plus longtemps parlé d’usagers que de clients et misé sur la masse des contrats signés que sur la qualité du service rendu. Pour effectuer la bascule cultu­relle, l’entreprise investit 4,8 % de la masse salariale en formation, soit 26,7 millions d’euros en 2012. Une sales academy forme les nouveaux commerciaux pendant quatorze semaines avant qu’ils prennent leur poste. « Nous travaillons beaucoup sur les comportements attendus, explique Yves Laqueille. La façon d’obtenir un résultat est aussi importante que le résultat. Il s’agit de mettre l’accent sur la qualité des produits et du service que nous proposons aux clients et pas seulement sur la quantité. » Pour Philippe Galinat, délégué syndical national adjoint CFDT, chargé des commerciaux, « ces derniers doivent désormais renforcer leur performance. Notre rôle est de faire prendre conscience aux collaborateurs qu’ils doivent changer leur façon de travailler et à l’entreprise qu’elle doit leur donner du temps pour s’adapter ».

La nouvelle ambition de Jacques Richier est de faire d’Allianz une entreprise « digitale ». Cet été, le P-DG a débauché Virginie Fauvel, la conceptrice d’Hello Bank ! (la banque en ligne de BNP Paribas), pour orchestrer cette nouvelle transformation. Afin de souligner l’importance de ce choix stratégique, il lui a fait une place au comex. Concrètement, demain, les clients d’Allianz pourront souscrire une assurance vie ou un contrat d’habitation via leur tablette et leur smartphone. Le temps devrait donc encore s’accélérer dans les prochains mois pour les salariés d’Allianz et leur façon de travailler à nouveau changer. « L’inquiétude des salariés va aller croissant, pronostique un cadre qui a connu les AGF nationalisées. Ceux recrutés au milieu des années 1970 ressentent une très forte pression avec l’accélération du traitement des dossiers. »

Pour Yves Gaillard, responsable du Syndicat démocratique des employés mécontents, le Sdem, « l’entreprise cherche des gains de productivité partout et les outils numériques vont l’y aider. Le plan stratégique de Jacques Richier prévoit la suppression de 2 000 postes par le non-remplacement des départs à la retraite. Pour tous les salariés en poste, cela se traduira immanquablement par du surtravail ».

3 MAÎTRISER LES SALAIRES ET LA PYRAMIDE DES ÂGES

Malgré la solidité financière du groupe en France comme à l’échelon européen (9,2 milliards d’euros de bénéfice opérationnel sont attendus en 2013), Allianz n’est pas complètement épargné par la crise. La concurrence est acharnée entre les assurances du secteur privé et les institutions de prévoyance du monde paritaire, et les nouvelles règles fiscales sur les contrats de santé collectifs comme sur les contrats d’assurance vie ne les aident pas. « On a une pression forte sur nos coûts. Si on veut être plus compétitifs, il faut être plus économes », souligne Yves Laqueille, le DRH. Et pour Allianz, les économies passent notamment par la maîtrise des salaires. En 2013, les salariés ont obtenu 1,2 % d’augmentation générale. L’entreprise vient par ailleurs de renégocier à la baisse ses abondements au Perco (de 230 %, l’abondement diminue à 170 %) et au PEE (de 180 % à 150 %) avec les organisations syndicales. « Aujourd’hui, compte tenu du contexte de crise, cet accord est plutôt bon, défend Jean-Jacques Cette, à la CFDT. On ne peut pas avoir comme seule revendication le salaire. La formation, les conditions de travail sont également des éléments importants à prendre en compte. »

Pour faire des économies, Allianz fait aussi maigrir ses troupes par le non-remplacement des départs en retraite. Une décision qui concerne presque exclusivement les salariés « administratifs ». Fin 2012, Allianz comptait 7 047 administratifs en CDI. Les projections réalisées dans le cadre de la négociation de l’accord sur les contrats de génération tablent sur un effectif de 6 086 salariés en 2015. Une diminution de plus de 13 % entre 2012 et 2015. Cette cure vise surtout à rétablir l’équilibre d’une pyramide des âges vieillissante. Chez Allianz, 44,7 % de la population a plus de 50 ans quand 6,5 % a moins de 29 ans. « Dans l’accord sur les contrats de génération, nous nous sommes engagés à recruter une fraction plus importante de jeunes, notamment chez les alternants », indique Yves Laqueille.

Du côté des commerciaux, l’entreprise doit surtout faire face à un turnover de l’ordre de 15 %. En 2012, 317 salariés ont été licenciés, 177 ont démissionné. Une rotation qu’Yves Gaillard, au Sdem, explique par le niveau de salaire. « Allianz garantit le salaire des nouveaux entrants sur les huit premiers mois. Ensuite, tout dépend de leurs résultats. Pour certains, le salaire est proche de 1 200 euros net. » « Désormais les commerciaux négocient avec leur ligne managériale les objectifs qu’ils doivent atteindre, note Philippe Galinat, délégué syndical national adjoint CFDT. L’entreprise demande plus de qualité et plus d’écoute des clients. »

4 PRÉSERVER LE DIALOGUE SOCIAL

Chez Allianz, la CFDT règne sur le dialogue social depuis le milieu des années… 1970. Sur les 16 comités d’établissement d’Allianz France, elle en gère 15. Seul celui de Strasbourg lui échappe. Quant au comité central d’entreprise, sur les 23 sièges d’élus, la CFDT en occupe 20. Lors des dernières élections professionnelles, en 2012, elle a recueilli 53 % des suffrages. La prochaine échéance se situe en janvier 2014. « Le dialogue social chez AGF a toujours été remarquable. Cette tradition nous a donné une légitimité face aux nouveaux interlocuteurs de la direction », explique Jean-Jacques Cette, qui revendique 1 600 adhérents CFDT. Incontournable en France, la CFDT est également associée de près à la stratégie du groupe au niveau mondial. Jean-Jacques Cette siège au conseil de surveillance d’Allianz à Munich. La direction des affaires sociales d’Allianz doit donc composer avec une organisation syndicale très informée sur la stratégie. « Les relations peuvent parfois être tendues, mais nos interlocuteurs ont, comme nous, une vraie conscience de l’intérêt commun de l’entreprise. Le climat social est un élément de performance  », estime le DRH.

Reste que cette domination de la CFDT titille les autres organisations, la CFTC notamment, qui lutte pour conserver sa représentativité. Jean-Michel Vergnes à la CFTC (troisième syndicat représentatif après la CFE-CGC, avec 13,5 % des voix aux dernières élections), se montre très critique. « Le syndicat majoritaire veut imposer sa loi à tous avec la bienveillance d’une DRH aux ordres. Le dialogue syndical s’en trouve détérioré avec des négociations déjà décidées en petits comités. » « Ça ronronne quand même, lâche un salarié basé à La Défense. Quand Allianz a pris la main sur les AGF, nous avons découvert le Sdem qui apporte un peu de fraîcheur et de contestation en interne. » De fait, les derniers accords conclus sont assez peu innovants. Celui sur le télétravail reste une expérimentation qui concernera dans les prochaines semaines uniquement des salariés équipés d’un ordinateur portable et déjà habitués au travail à domicile.

DATES CLÉS

1818

Naissance des Assurances générales.

1996

L’État privatise les AGF.

1997

Les AGF se rapprochent de l’allemand Allianz AG.

2007

AGF devient filiale à 100 % d’Allianz SE.

2009

AGF devient Allianz France.

EN BREF

Le groupe Allianz SE doit dégager cette année 9,2 milliards d’euros de bénéfice opérationnel. En France, l’assureur réalise un chiffre d’affaires de 11 milliards d’euros. Avec 2 600 points de vente, Allianz est le deuxième réseau français d’assurance après Axa. Aux côtés d’Allianz France, dirigé par Jacques Richier, le groupe compte quatre autres sociétés : Allianz Global Corporate & Speciality, qui assure les grands risques industriels, les projets de construction ; Allianz Global Investors pour la gestion d’actifs ; Euler Hermes dans l’assurance crédit ; Mondial Assistance.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy