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Idées

Faute du salarié : encore trop de zones d’ombre

Idées | Chronique juridique | publié le : 04.10.2013 | Pascal Lokiec

La reconnaissance au profit de l’employeur d’un pouvoir disciplinaire constitue l’une des principales originalités du droit du travail. Si l’employeur est restreint dans sa faculté d’engager la responsabilité civile de son salarié, il dispose en effet du pouvoir de le sanctionner sans recours préalable au juge. Ce pouvoir exorbitant du droit commun suppose que soit établie l’existence d’une faute disciplinaire.

Comment caractériser la faute disciplinaire ? Bien qu’essentielle en pratique, l’opération est délicate, comme l’ont illustré des affaires emblématiques. On se souvient de la faute grave de l’entraîneur de l’équipe de France de football, Raymond Domenech, à qui il était reproché, entre autres, d’avoir refusé de serrer la main de l’entraîneur adverse. Que penser de la faute lourde retenue à l’encontre de Jérôme Kerviel, congédié pour avoir outrepassé son mandat de trader et causé des milliards de pertes à la Société générale ?

UNE DÉFINITION EXTENSIVE

De liste des fautes disciplinaires, il n’existe pas en droit français. On est loin du droit pénal qui ne punit que les faits constitutifs d’infractions définies par la loi. La formule de l’article L. 1331-1 du Code du travail est obscure qui se réfère à des « agissements du salarié considérés [par l’employeur] comme fautifs », et l’obligation pour le règlement intérieur de prévoir « les règles générales et permanentes relatives à la discipline » n’inclut pas, en toute logique, une liste exhaustive des fautes. L’éventail des fautes est large, en effet, puisqu’il comprend aussi bien la violation des règles de discipline, celle des dispositions du Code du travail (relatives à la sécurité notamment) ou le non-respect des obligations découlant du contrat de travail. Parmi ces dernières, celle de loyauté figure désormais en bonne place. Comme les autres branches du droit, le droit du travail cède progressivement aux attraits de la loyauté, belle idée qui, pourtant, devient totalement évanescente lorsqu’on cherche à lui donner des contours précis.

Fort heureusement, la Cour de cassation est parvenue, dans certains cas, à tracer une ligne plus claire. D’abord, certains faits ne peuvent, par principe, constituer des fautes, à l’instar de la violation d’un ordre illicite, de l’exercice légitime du droit de retrait ou d’un fait de la vie personnelle, y compris lorsque celui-ci est constitutif d’une infraction pénale. L’acte commis au cours de la vie personnelle ne peut en effet fonder une sanction disciplinaire, à moins de constituer en même temps un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail (voir ici encore l’obligation de loyauté). Un manquement que ne caractérise pas la suspension ou le retrait du permis de conduire en dehors du temps de travail, y compris lorsque le salarié occupe des fonctions qui impliquent la conduite d’un véhicule (Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464). À défaut de pouvoir invoquer la faute, l’employeur peut se déplacer sur le terrain non disciplinaire et se prévaloir d’un éventuel trouble objectif causé à l’entreprise. Inversement, il est des faits qui, s’ils sont avérés, constituent nécessairement une faute, de surcroît une faute grave. Tel est le cas de l’utilisation par le salarié de la messagerie de l’entreprise pour commettre un acte illicite susceptible d’engager la responsabilité de son employeur (Cass. soc., 2 juin 2004, n° 03-45.269, concernant des propos antisémites), ou du harcèlement sexuel (Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-46.517). Pour le harcèlement moral, la position est plus nuancée (Cass. soc., 29 janvier 2013, n° 11-23.944).

LA HIÉRARCHIE DES FAUTES

Une fois la faute identifiée (laquelle se prescrit sous deux mois), comment la classer Hiérarchiser les fautes est toujours, en droit, une opération délicate (voir aussi la notion de faute inexcusable). Le droit du travail n’y fait pas exception, distinguant non sans mal quatre degrés de fautes : les fautes légères (insuffisantes pour justifier un licenciement), simples (ou sérieuses), graves et lourdes. Un certain nombre d’éléments permettent de départager les deux premières, en particulier les circonstances de la rupture, le niveau de formation du salarié, son ancienneté, la nature de ses fonctions et le fait que l’employeur ait toléré par le passé un comportement qu’il décide brusquement de punir.

Contrairement aux deux précédentes, les fautes graves et lourdes font l’objet d’une définition. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il n’est plus exigé que ce maintien soit impossible pendant le préavis, afin de ne pas pénaliser l’employeur qui aurait versé une indemnité de préavis. Cet assouplissement ne va pas jusqu’à lui permettre d’invoquer une telle faute tout en faisant travailler son salarié pendant le préavis ou d’attendre trop longtemps (la mise à pied conservatoire n’est pas une condition sine qua non) entre les faits et l’engagement de la procédure de licenciement. La faute lourde, caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, est réservée aux cas les plus sérieux, à l’image du salarié qui utilise un pseudonyme pour détourner des clients au profit de l’entreprise de son épouse.

LES ENJEUX

Du classement de la faute découle un certain nombre de conséquences. En cas de licenciement pour faute grave, les indemnités de préavis et de licenciement ne sont pas dues, et l’indemnité compensatrice de congés payés ne l’est pas si le licenciement a été prononcé en raison de la faute lourde du salarié. Surtout, seule la faute lourde permet d’engager la responsabilité civile du salarié, à moins que ce dernier ait détourné, à son profit, des sommes encaissées pour le compte de son employeur. Dans ce cas, on considérera qu’il ne s’agit pas à proprement parler de responsabilité civile mais de l’exécution d’une obligation contractuelle, celle de restituer les fonds reçus des clients (Cass. soc., 19 novembre 2002, n° 00-46.108). Contrairement à une idée reçue, le licenciement pour faute grave ou lourde ne prive pas, en revanche, du droit aux allocations chômage, car on est en présence d’une rupture involontaire du contrat de travail.

Bien que restrictives dans leur définition, les fautes graves et, dans une moindre mesure, lourdes sont plus souvent invoquées que de raison, pour des considérations qui dépassent la stricte sphère juridique : méconnaissance des règles applicables en la matière, volonté de frapper fort, voire de montrer l’exemple, stratégie pour mieux se placer dans la perspective de négocier une transaction, volonté de limiter le coût de la rupture… Il faut dire que le risque est limité en cas de qualification erronée de la faute. Le licenciement prononcé pour faute grave conservera sa cause réelle et sérieuse si les juges estiment que le salarié a commis une faute sérieuse, ceux-ci n’étant pas liés par la qualification donnée à la faute par l’employeur. S’ils peuvent pardonner une erreur dans la qualification de la faute, il en ira autrement si l’employeur qualifie son licenciement de disciplinaire alors que les faits sont constitutifs d’une insuffisance professionnelle, et vice versa. L’insuffisance professionnelle ne constitue pas, en effet, une faute, sauf mauvaise volonté délibérée du salarié. Mieux vaut donc, pour l’employeur, réfléchir à deux fois avant d’opter pour l’un ou l’autre de ces motifs, et bien distinguer le salarié incompétent de celui qui a été malveillant dans l’exécution de son travail. La remarque vaut d’autant plus en matière de CDD que seule la faute grave, au contraire de l’insuffisance professionnelle, permet de le rompre de manière anticipée. De même, l’employeur qui n’a pas respecté la procédure disciplinaire peut être tenté de soutenir, rétrospectivement, que sa mesure n’avait pas de finalité disciplinaire, c’est-à-dire, pour reprendre les termes du Code du travail, que cet agissement n’était pas « considéré par lui comme fautif ». Verra-t-on ce type d’argument prospérer alors qu’une entreprise de transports urbains, qui avait omis de saisir le conseil de discipline, a soutenu avec succès devant la Cour de cassation que l’affectation de l’un de ses conducteurs de tramway à la conduite des bus, après qu’il a roulé à contresens et brûlé un feu rouge, avait pour finalité non de le sanctionner, mais d’assurer la sécurité des usagers (Cass., ass. plén., 6 janvier 2012, n° 10-14688) Une distinction ô combien délicate qui ne va pas contribuer à réduire les zones d’ombre entourant la notion de faute disciplinaire !

FLASH
La modification disciplinaire

L’employeur peut-il, à titre de sanction, rétrograder son salarié ou le muter en dehors de son secteur géographique Au contraire du simple changement des conditions de travail, la modification du contrat ne peut pas être imposée, même à titre disciplinaire. L’employeur doit recueillir l’accord exprès du salarié, après l’avoir informé de son droit de la refuser. En cas de refus, une autre sanction peut être prononcée, jusqu’au licenciement si la faute du salarié est sérieuse. Il faut dans ce cas convoquer à nouveau le salarié à un entretien préalable, au plus tard deux mois à compter du refus (Cass. soc., 15 janvier 2013, n° 11-28109). Une baisse de salaire ne peut en aucun cas constituer la sanction, du fait de la prohibition des sanctions pécuniaires. Elle n’est admise que si elle est la conséquence de la rétrogradation, ce qui implique, en toute logique, que le nouveau salaire corresponde à la nouvelle qualification du salarié. Que peut faire le salarié qui se voit imposer une modification disciplinaire Il peut prendre acte de la rupture du contrat de travail ou en demander la résiliation judiciaire. Le simple défaut d’information, lorsque la sanction n’a pas été exécutée, ne suffit pas (Cass. soc., 23 mai 2013, n° 12-15539). Ou bien il peut exiger le maintien de ses conditions de travail initiales (Cass. soc., 29 mai 2013, n° 12-13437).

Auteur

  • Pascal Lokiec