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Idées

Faut-il rendre dégressives les allocations chômage ?

Idées | Débat | publié le : 04.10.2013 |

En période de chômage élevé, faut-il durcir ou non les règles d’indemnisation pour contenir l’aggravation des comptes du régime d’assurance chômage ? Tel est le dilemme qui se pose aux partenaires sociaux dans la renégociation de la convention Unedic.

Jean-Pierre Revoil Ancien directeur général de l’Unedic.

Voilà cinq ans que la crise économique perdure. Chaque année, une nouvelle couche de demandeurs d’emploi s’empile, la sortie du chômage ne fonctionnant pas sur le modèle d’une file d’attente, premier arrivé premier sorti. Le risque de s’enfoncer dans l’inactivité est donc réel. Pôle emploi dénombre désormais 2 millions de chômeurs de plus d’un an d’ancienneté dont la moitié d’entre eux sont inscrits depuis plus de deux ans. On sait que l’enfermement dans le chômage engendre des difficultés, voire des privations financières, provoque la perte d’estime de soi et favorise l’apparition de pathologies et même parfois d’addictions. Face à ce constat, réinstaurer une dégressivité des allocations chômage serait une ineptie, car cela aggraverait la situation déclinante des personnes visées.

Il faut plutôt s’employer à accompagner intensivement les personnes au chômage depuis plus de quatre ou six mois par des entretiens systématiques et obligatoires, tous les quinze jours, en renforçant les propositions de plans actifs de retour à l’emploi via la mise à niveau, la formation, l’orientation vers des métiers en tension, la reconversion. On dénombre actuellement 300 000 offres d’emploi non satisfaites. On recense, auprès des entreprises, des besoins évalués à 1,6 million d’emplois. Il faut savoir répondre aux demandes des employeurs, c’est-à-dire de l’activité économique. On sait que le surcoût du développement de ces « dépenses actives » peut rapidement être compensé par l’amélioration de la fluidité du marché du travail, une réduction des durées de chômage et donc une économie sur les dépenses d’indemnisation. En effet, une réduction de dix jours de la durée de chômage, actuellement supérieure à trois cents jours, dégagerait 1 milliard d’euros d’économies, de quoi financer 15 000 agents supplémentaires à Pôle emploi. Dès lors, en cohérence avec la notion de « droits et devoirs », seule la non­acceptation ou l’abandon par le chômeur d’une proposition d’orientation vers l’emploi réputée convenable - en niveau de salaire, en qualification et en distance entre le travail et le domicile - doit aussitôt entraîner un processus irréversible de réduction de son indemnisation. En quelque sorte, une non-dégressivité conditionnelle des allocations dans le cadre d’un accompagnement efficace des chômeurs.

Catherine Spieser Chercheuse en sociologie et sciences politiques et sociales à Sciences po et au Centre d’études de l’emploi.

Les débats sur le devenir de l’assurance chômage voient régulièrement ressurgir le spectre du chômeur volontaire. On dénonce le coût du système en renvoyant à l’image d’un demandeur d’emploi « fainéant » qui resterait dans cette situation de son propre chef aux frais de la collectivité : il faudrait donc l’inciter à s’activer pour retrouver un emploi au plus vite. La tentation est grande de proposer une diminution progressive de l’indemnisation au cours du temps. Ce raisonnement repose sur une croyance qui ne reflète pas le comportement de la majorité des demandeurs d’emploi et sur un présupposé fondamental souvent omis : l’existence d’emplois adéquats à pourvoir auxquels les demandeurs refuseraient de s’intéresser. Or, en temps de récession, ce sont en premier lieu les emplois qui font défaut. Les demandeurs sont d’ores et déjà incités à rechercher activement - et à accepter - un emploi par la menace de la radiation de Pôle emploi. Pis, de telles incitations peuvent avoir un effet contre-productif en conduisant à une dégradation des conditions d’emploi. Les politiques contraignant les chômeurs au retour à l’emploi ont montré leurs limites : en Allemagne, elles ont conduit à une expansion sans précédent de la précarité, à la multiplication des travailleurs pauvres occupant des « minijobs » de faible qualité et sous-rémunérés les laissant incapables de subvenir à leurs besoins. Au point que l’introduction d’un salaire minimum est aujourd’hui envisagée.

Il faut garder à l’esprit qu’en France l’amortisseur premier de la crise reste l’indemnisation du chômage. L’industrie française a eu beaucoup plus recours aux licenciements que l’industrie allemande, qui a pu opérer des ajustements du temps de travail. Des pratiques de négociation collective bien ancrées et des dispositifs plus efficaces ont contribué à des formes de flexibilité à même de préserver l’emploi. En France, c’est surtout l’assurance chômage qui a amorti le choc depuis 2008. Faut-il réduire l’amortisseur le plus efficace dont nous disposons ? Les difficultés d’accès à l’emploi se concentrent sur des personnes peu ou pas indemnisées : les jeunes et les seniors, dont les durées de chômage tendent à s’allonger au-delà des durées d’indemnisation en période de récession. Il ne faut donc pas attendre de miracle de cette mesure.

Hervé Boulhol Chef du bureau France au département des affaires économiques de l’OCDE.

Des allocations chômage généreuses assurent un revenu de remplacement correct et permettent d’amortir les chocs économiques. Mais, théoriquement, lorsqu’il est difficile de bien contrôler les efforts de recherche d’emploi, elles diminuent les incitations à reprendre un travail et accroissent ainsi la durée et le niveau du chômage. De plus, leur financement renchérit le coût du travail, ce qui réduit les offres d’emploi. En revanche, des allocations trop faibles ou trop courtes pourraient conduire les chômeurs à accepter des emplois mal adaptés, ce qui augmenterait l’instabilité de l’emploi et pèserait sur la productivité. Les études empiriques confirment que des allocations élevées réduisent les efforts de recherche d’emploi et augmentent la durée et l’ampleur du chômage. Leur impact positif sur la qualité des emplois retrouvés n’est en revanche pas établi. En France, le système d’indemnisation est généreux. Les conditions d’accès aux prestations sont parmi les moins strictes des pays de l’OCDE ; le niveau d’allocation est dans la moyenne (mais au-dessus pour les hauts revenus) ; la durée d’indemnisation de deux ans (trois ans pour les plus de 50 ans) est la plus longue, hormis en Belgique. Pour contrecarrer l’impact négatif sur les incitations au travail, de strictes conditions d’éligibilité (recherche d’emploi, formations, sanctions, etc.) sont nécessaires. Or elles sont beaucoup moins rigoureuses qu’ailleurs.

Il faut penser la réforme du système en prenant en compte l’intégralité du filet social, les contraintes pesant sur les finances publiques et la situation conjoncturelle marquée par un chômage cyclique important. Une fois la reprise bien ancrée, il sera souhaitable, sans que ce soit la panacée, de durcir les conditions d’indemnisation. Compte tenu de la générosité de l’ensemble, il est aussi crucial d’améliorer l’activation des chômeurs, ce qui n’est pas nécessairement coûteux pour les comptes de l’État. Une dégressivité graduelle complexifierait la gestion du système, mais un palier à six ou douze mois avec une baisse en escalier des allocations, voire la réduction de la durée d’indemnisation à un an comme en Allemagne, serait la meilleure option. La baisse du chômage serait d’autant plus forte que ces mesures s’accompagneraient d’une modération du salaire minimum, notamment dans les régions très touchées par le chômage.

CE QU’IL FAUT RETENIR

L’actuelle convention d’assurance chômage expire le 31 décembre 2013. Mais les partenaires sociaux, gestionnaires de l’Unedic, ont fait savoir qu’ils n’entameraient pas sa renégociation avant décembre 2013, voire janvier 2014.

Une dégressivité des allocations a été instaurée en France en 1992, puis abandonnée en 2001, dans un contexte de forte réduction du chômage, en échange de la mise en place d’un dispositif d’accompagnement renforcé des chômeurs.

En septembre, Michel Sapin, le ministre du Travail, a exclu une baisse des allocations chômage, fermant la voie à une dégressivité régulièrement prônée par le Medef. Pour sa part, la Cour des comptes préconise un taux de remplacement décroissant pour les niveaux d’indemnisation les plus élevés.

REPÈRES

18,5 milliards d’euros. C’est le déficit que devrait atteindre l’Unedic à la fin de l’année.

50 % des demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi ne perçoivent aucune indemnité.

1 108 euros. C’est le montant brut moyen de l’allocation mensuelle versée par l’Unedic.