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Décodages

Jean-Philippe Demaël joue plus collectif chez Somfy

Décodages | Management | publié le : 04.10.2013 | Nicolas Lagrange

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ÉVOLUTION DU CHIFFRE D’AFFAIRES

Crédit photo Nicolas Lagrange

Cap sur les pays émergents et la domotique. Le champion de l’automatisation des ouvrants a engagé une profonde mutation qui touche les compétences, l’organisation, le management… Pour y réussir, son P-DG cherche à fédérer les salariés.

C’est une entreprise comme Arnaud Montebourg les aime, un leader mondial dans son secteur, les moteurs de stores et de volets roulants, qui affiche de très bons résultats malgré la crise et qui cultive son identité savoyarde… Installé dans la vallée de l’Arve, au pied du Mont-Blanc, Somfy exhibe fièrement son logo « jaune solaire » sur ses sites de Cluses et Bonneville. Née en 1969, la Société d’outillage et de mécanique du Faucigny (Somfy) a connu une expansion prodigieuse pour devenir, avec 1 700 salariés, le premier employeur de Haute-Savoie. Propriété de la famille Despature (également actionnaire principale de Damart), la PME a construit des usines en Italie, en Tunisie, en Chine, au Brésil et bientôt en Pologne, racheté plusieurs concurrents et conquis 60 % de parts de marché au niveau mondial. Cette entreprise de taille intermédiaire de plus de 7 000 salariés (70 % travaillent hors de France) mise sur les pays émergents et sur de nouveaux segments tels que la domotique (gestion à distance des installations motorisées de la maison).

L’artisan de ce tournant stratégique est Jean-Philippe Demaël, 46 ans, X-Mines, DG de Somfy Activités depuis 2008, passé par la Drire Rhône-Alpes et la direction des stratégies industrielles à Bercy, puis par la sidérurgie, chez ArcelorMittal. « Il y a cinq ans, nos marchés historiques arrivaient à saturation, explique-t-il. Nous avions un double enjeu : partir sur de nouveaux marchés et bâtir un projet collectif pour fédérer les salariés. » D’où la naissance de Let’s (Living environment transformation by Somfy), qui vise le doublement du chiffre d’affaires d’ici à 2016. Développement des compétences, nouvelle organisation, RSE, professionnalisation des relations sociales…, de multiples chantiers RH ont été ouverts simultanément. Ce qui implique de profondes mutations pour les salariés qui travaillent à « la Somfy », comme on dit encore dans la vallée de l’Arve.

1 DÉVELOPPER LES COMPÉTENCES

Avec ses 14 000 mètres carrés, une hauteur sous plafond digne d’une cathédrale, des machines par centaines et les drapeaux des 60 pays d’implantation, l’usine de Cluses a de quoi impressionner. C’est là qu’est fabriqué le moteur de volet roulant le plus vendu au monde, le LT 50 (50 millimètres de diamètre). Près de 200 ouvriers (des femmes pour la plupart) assemblent, dans le bruit, les pièces détachées, de 5 à 13 heures ou de 13 à 21 heures. Autrefois majoritaires, les ouvriers ne représentent plus que 22 % des salariés français. Car le groupe a investi dans la domotique, qui nécessite de nouvelles compétences. « Nous travaillons beaucoup sur les évolutions de carrière, en prenant appui sur un observatoire des métiers, explique Annie Bouvier, la DRH groupe. Je ne crois pas à la mobilité forcée, mais pour favoriser les passerelles, il faut beaucoup anticiper. » Un comité mobilité examine chaque création de poste, et chaque recrutement externe doit être validé par le directeur général. Selon le bilan social, 25 % des postes étaient pourvus en interne en 2011 et 2012. « C’est plus de 50 % depuis début 2013 », assure la direction.

Autre initiative, le programme Horizon pour aider les salariés volontaires à construire un parcours professionnel. Une dizaine de personnes ont déjà pu bénéficier d’une série d’entretiens avec des interlocuteurs RH, puis avec des opérationnels (en interne ou dans des entreprises du bassin d’emploi). « Les premiers retours sont positifs, commente Annie Bouvier. Les salariés sont satisfaits que l’on se donne les moyens de s’occuper d’eux. » En 2014, l’équipe RH estime pouvoir traiter une centaine de demandes. Sont prioritaires les salariés qui ont un métier en forte évolution ou qui n’ont pas changé de poste depuis longtemps. Au total, Somfy consacre 4,3 % de sa masse salariale à la formation, avec un gros accent mis sur le développement des compétences et la sécurité, pour réduire le nombre de petits accidents du travail, en hausse sensible ces dernières années.

La direction a également soumis un projet d’accord de GPEC aux trois syndicats représentatifs (dans l’ordre : FO, CFDT, CGT), méfiants de prime abord. « Le précédent accord de GPEC n’a jamais été appliqué, déplore le cédétiste Michel Mancera, DS CFDT. Cette fois, le projet prévoit un suivi annuel, mais on manque de visibilité sur l’avenir. » Pour son homologue CGT, Évelyne Franco-Beltran,« il y a un gros risque de tomber dans des mobilités forcées et d’aboutir à un plan social déguisé si l’on décline les dispositions de la loi dite de ­sécurisation de l’emploi. À terme, avec les ouvertures d’usines à l’étranger, les salariés craignent de voir la production délocalisée ». Une crainte réfutée par le patron de Somfy, chantre d’une France industrielle forte.

2 FAIRE ÉVOLUER L’ORGANISATION ET LES MANAGERS

Depuis le 1er février, fini, le découpage par métiers, place à une organisation par lignes de produits. « Pour gagner en efficacité, toutes les fonctions liées à un type de produit ont été placées sous une même autorité hiérarchique et bénéficient d’objectifs partagés », explique Dominique Sebille, directeur technique de l’activité home and building. Les métiers transversaux sont là en support. Objectif : favoriser les coopérations et réduire le nombre de strates managériales. Illustration au centre de recherche et développement de Cluses (« Méca 2 » dans le jargon Somfy), où tous les métiers ont été réunis sur un même plateau avec des demi-cloisons entre les bureaux. « Cela facilite les échanges, on passe moins par les mails et on a des salles dédiées à certains projets », commente un ingénieur de la plate-forme.

Mais cette transformation rogne quelques prérogatives managériales et heurte parfois des baronnies. De leur côté, les syndicats déplorent la persistance de comportements de « chefaillons ». « Nous devons passer d’un management assez centralisateur, en silos, marqué parfois par une certaine brutalité dans les rapports sociaux, à une logique de coopération, reconnaît Jean-­Philippe Demaël, le DG. L’enjeu, c’est d’obliger les managers à donner plus d’autonomie à leurs équipes, à savoir lâcher prise, à admettre le droit à l’erreur. » Un droit d’ailleurs inscrit dans la charte de qualité de l’entreprise. « On doit encou­rager les expérimentations et tolérer les échecs professionnels, mais pas de mansuétude pour les erreurs de comportement », ajoute le patron de Somfy.

« Nous avons créé cette année un nouveau cursus de formation pour les 200 managers du groupe, avec trois modules d’une semaine, qui mettent davantage l’accent sur les compétences com­portementales, détaille la DRH groupe, Annie Bouvier. Nous programmons aussi des activités entre les séances : des déjeuners par promotion, des groupes de codéveloppement sur une problématique, des séances de ressources virtuelles… « On ne voit pas beaucoup de changements, estime le cédétiste Michel Mancera. Mais il est trop tôt pour juger. »

3 FAIRE DE LA RSE UN LEVIERDE L’ENGAGEMENT

Pour rallier les salariés à ces évolutions, le patron de Somfy compte aussi beaucoup sur le développement d’un sentiment d’appartenance à l’entreprise. « Fierté de porter les couleurs du maillot » : l’expression revient souvent dans la bouche de ce passionné de sport. « Pour réussir Let’s, tous les salariés doivent partager une ­épopée commune, explique Jean-Philippe Demaël. Le sens de notre projet, c’est l’amélioration du cadre de vie : plus de confort, d’économies d’énergie, de sécurité. Mais nous voulons aussi être bienfaiteurs par nos actions RSE, notamment dans le domaine où on est le plus légitimes, l’habitat. » En 2010, la direction a organisé un premier brainstorming sur la nouvelle stratégie. Le top 200, dans un premier temps, et l’ensemble des salariés ensuite, par petites équipes, planchent sur le rôle de chacun et de chaque équipe. « Résultat, un taux d’adhésion de 80 % qui s’est maintenu fin 2012 malgré les soubresauts de la crise, lors de la dernière enquête (Somfyscope) », se réjouit le directeur général.

Pour fédérer les salariés, le groupe développe aussi des initiatives environnementales, des événements sportifs et des actions dans le domaine du logement. « La fondation Somfy, Mieux ­habiter ensemble, que préside Jean-Philippe ­Demaël, conduit 25 projets avec une quinzaine d’associations », relève Jean-Michel Jaud, di­recteur de la communication. Dispositif le plus emblématique, « Un temps pour les autres » a permis en 2012 à 120 salariés volontaires de prêter main-forte à des associations comme ­Emmaüs, durant une journée, sur leur temps de travail. Les associations partenaires reçoivent aussi des aides financières importantes. « Ces actions sont appréciées par le personnel, indique le représentant CFDT, mais il ne faut pas délaisser les préoccupations internes, comme les salaires ou le stress, apparues dans le Somfyscope. » « La Fondation a beaucoup de moyens, mais nous, nous avons peu de reconnaissance pour notre travail », renchérissent des opératrices d’une chaîne de montage à Cluses.

Le salaire moyen chez les ouvrières avoisine 1 800 euros brut par mois, malgré une ancienneté moyenne proche de quinze ans et un âge moyen supérieur à 45 ans. « Les revendications salariales sont d’autant plus fortes, précise la déléguée CGT, que la vie est chère dans la vallée de l’Arve, à proximité des stations de sports d’hiver et de Genève. » « Nous sommes attentifs aux bas salaires, répond la DRH. La NAO 2013 a d’ailleurs été signée à l’unanimité et le cumul de l’intéressement et de la participation équivaut en moyenne à deux mois de salaire. » Toutefois, l’enquête d’engagement a mis en lumière un sentiment d’iniquité salariale qu’Annie Bouvier, la DRH, entend bien traiter, notamment par les évolutions de carrière.

4 PROFESSIONNALISER LES RELATIONS SOCIALES

Malgré les désaccords entre direction et syn­dicats, le dialogue social s’améliore. « Nous ne sommes plus cantonnés à la NAO, souligne ­Annie Bouvier. Après l’accord sur l’égalité professionnelle, nous avons un agenda très fourni, avec la GPEC, les RPS, le temps de travail et le handicap. » Sous l’égide du directeur des relations sociales (DRS), recruté il y a un an, les négociations sont préparées par des commissions paritaires, auxquelles parti­cipent des managers et des salariés choisis par la direction et les délégués syndicaux. « C’est une bonne formule, les salariés peuvent parler de leur quotidien et voient comment se passent les discussions avec la direction », note la représentante CGT. Tout en déplorant la « faiblesse des moyens de communication » dont bénéficient les IRP. « Trop de managers ignorent nos missions et connaissent mal les accords, regrette son homologue CFDT. C’est à la direction de les informer, ce n’est pas à nous de devoir justifier nos absences. » Des lacunes qui pourraient être comblées par les négociations en cours sur le dialogue social, facilitées par la formation assurée par Jean Kaspar, l’ancien leader de la CFDT. « Le projet d’accord prévoit des formations réunissant IRP et direction sur certains thèmes de l’agenda social, la sensibilisation des managers aux relations sociales, un accompagnement professionnel des représentants du personnel après deux mandats, une communication commune auprès du personnel sur certains accords », énumère le DRS.

Une revalorisation des IRP est nécessaire pour ­susciter des vocations. Car les élus sont nombreux dans le collège ouvriers, moins chez les employés et techniciens et rares chez les cadres. D’où des revendications souvent centrées sur les ouvriers. Les délégués syndicaux, tous ouvriers, en sont conscients. Quant à la DRH, elle martèle son credo : multiplier les initiatives pour professionnaliser les IRP et les managers, vecteurs clés pour transformer et donner du sens, tout en travaillant sur les parcours des salariés.

N. L.

EN CHIFFRES

1969

Naissance de Somfy à Cluses (Haute-Savoie).

1984

Rachat par la famille Despature (groupe Damart).

2002

Cotation à la Bourse de Paris.

ÉVOLUTION DU CHIFFRE D’AFFAIRES
EN BREF

Avec près de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires et plus de 7 000 salariés (dont 2 300 en Chine), Somfy est le leader mondial des stores et volets roulants, numéro 4 européen des portails et portes de garage automatisés. Le groupe réunit huit marques : Somfy, Simu, Asa, Mingardi, LianDa, BFT, Pujol et Dooya. Il a déposé 36 brevets en 2012 et réalisé 83 millions d’euros de résultat net.

Auteur

  • Nicolas Lagrange