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Idées

Que penser des accords de maintien de l’emploi ?

Idées | Chronique juridique | publié le : 01.09.2013 | Jean-Emmanuel Ray

Proposés début 2012 par Nicolas Sarkozy, les « accords compétitivité-emploi » étaient passés à la trappe avec la campagne présidentielle, les partenaires sociaux arrêtant leur négociation pour en attendre les résultats. Issu de l’ANI du 11 janvier et transposé par la loi du 14 juin, l’accord de maintien de l’emploi repose sur le deal flexibilité des avantages contre sécurisation de l’emploi.

Pourquoi un tel accord ? Grâce à cet abaissement provisoire de ses coûts, l’entreprise pourra passer une période difficile en préservant la collectivité de travail et donc les compétences et les savoir-faire, si importants lorsque la reprise sera là. C’est ce but que doivent toujours avoir en tête administration du travail, juges de tous niveaux, voire universitaires : il s’agit ici d’éviter un dépôt de bilan. Alors, bien sûr, on peut démontrer son exceptionnelle vélocité juridique en démontant non sans délectation ces accords, avec une connaissance incomparable du moindre article des conventions de l’OIT ou du comité Tartanmuche, parfois savamment surinterprétés : au Royaume des aveugles… Mais ces nouveaux inspecteurs Javert ont-ils réfléchi aux conséquences ? Qui sortira victorieux d’un contentieux aboutissant à l’annulation d’un accord de maintien de l’emploi ? Summum jus, summa injuria. Mais pour le législateur de 2013 , ces « accords de maintien de l’emploi » souffraient d’une paternité honteuse et ne devaient surtout pas ressembler aux « accords de compétitivité-emploi » du régime précédent : les très strictes conditions légales laissent aujourd’hui penser qu’il n’y en aura guère.

TROIS SÉVÈRES CONDITIONS DE VALIDITÉ

1. L’accord de maintien de l’emploi n’est possible qu’en cas de « graves difficultés économiques conjoncturelles dans l’entreprise ». L’idée est de passer un cap difficile, par des mesures d’une durée maximale de deux ans : une conjoncture qui dure. C’est l’avenir de l’entreprise qui est en cause, mais les difficultés structurelles en sont exclues. Or, à supposer que cette opposition soit opérationnelle (on le verra lors du « diagnostic préalable ­analysé avec les syndicats »), c’est moins la crise que la mue de notre appareil productif qui pose aujourd’hui problème : il faudra alors passer par des accords à l’ancienne, paradoxalement guère plus contraignants juridiquement.

2. L’accord doit être signé « par une ou plusieurs organisations syndicales ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés » (L. 5125-4-I). Au-delà de l’impossibilité d’exercice du droit d’opposition, pourquoi avoir placé la barre si haut ? Car la collectivité du personnel doit être très majoritairement partante pour une telle aventure visant justement à son maintien, dès le début de la négociation : d’où la nécessité d’un diagnostic commun, aidé le cas échéant par un expert-comptable nommé par le comité d’entreprise. Car signer est une chose, faire appliquer dans la vraie vie un accord aussi sensible en est une autre : « Plus un accord est difficile, plus il doit avoir une superficie syndicale suffisante. » (Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH.) Or, en France, pays de défiance réciproque, nous ne sommes pas – mais c’est à long terme le but de la loi Sapin – dans un partenariat social comme en Allemagne ou au Danemark. Ce seuil ici vraiment majoritaire risque donc d’être bien difficile à atteindre s’agissant de mesures individuellement moins favorables que l’existant. À moins que le dépôt de bilan ne soit pour le mois suivant : mais sera-t-il encore temps de négocier, de signer puis de mettre en œuvre un accord de « maintien de l’emploi » ? Dans la pratique, cette signature majoritaire est souvent précédée d’un référendum conjointement organisé, avec un score minimal nécessairement soviétique : 75 %, voire 85 % des suffrages exprimés.

3. Ce nouvel accord d’entreprise peut enfin se trouver en contradiction avec d’autres : convention de branche, autres accords d’entreprise. Or de ces accords il ne peut être fait table rase : si la loi du 4 mai 2004 autorise par exemple un accord d’entreprise à déroger à une convention de branche, c’est à condition de ne pas toucher aux salaires minima. S’agissant des accords d’entreprise préexistants, une solution est celle retenue par l’accord de compétitivité du groupe Renault du 13 mars 2013 : « Considérées comme globalement plus favorables à l’ensemble des salariés, les dispositions du présent accord prévaudront sur celles, contraires ou différentes, des accords d’entreprise et d’établissement conclus précédemment. »

Saisi par la CGT, le TGI de Nanterre doit se prononcer sur ce délicat problème ; si les tribunaux devaient censurer cette clause, ce serait l’arrêt de mort des accords de maintien de l’emploi dans les grandes entreprises au riche tissu conventionnel. Car commencer par devoir dénoncer tous les accords pour signer ensuite un accord de maintien de l’emploi limité aux graves difficultés conjoncturelles…

LA CONTREPARTIE EMPLOI

Elle constitue le fondement moral et juridique de tout ce dispositif. Pendant la durée fixée, « l’employeur ne peut procéder à aucune rupture du contrat de travail pour motif économique des salariés auxquels l’accord s’applique ». Ces trois derniers mots semblent signifier que l’accord peut segmenter le personnel : ce qui est socialement mais aussi juridiquement dangereux, car l’idée même de la loi est de maintenir la collectivité de travail : on voit donc mal un accord exonérer certains services ou divisions de l’effort collectif.

Et s’il y a violation de l’accord ? il doit contenir une clause pénale en cas d’inexécution, à commencer évidemment par le maintien de l’emploi. Chaque salarié (en CDI) lésé obtiendra donc des dommages-intérêts dont le montant et les modalités d’exécution y seront fixés : forfaitaires et donc indépendants du profil du salarié concerné, mais assez élevés pour ne pas constituer une incitation à la violation (exemple : six mois de salaire minimum car, en l’espèce, il y aura cause réelle et sérieuse).

MISE EN œUVRE INDIVIDUELLE

Proposition new-look. C’est d’abord à l’accord collectif de déterminer « le délai et les modalités de l’acceptation ou du refus par le salarié de l’application des stipulations de l’accord à son contrat ». En l’absence de précisions, L. 1222-6 s’applique : qui ne dit mot consent au bout d’un mois. Mise en œuvre ? Un scoop : « Pour les salariés qui l’acceptent, les stipulations de l’accord sont applicables au contrat de travail. » Donc ne surtout pas signer 354 avenants, les clauses contraires à l’accord étant « suspendues pendant la durée d’application de celui-ci ». Avec sans doute à l’échéance un atterrissage un peu chaud, les clauses contractuelles redevenant applicables du jour au lendemain.

Sort des refuzniks ? « Lorsqu’un ou plusieurs salariés refusent l’application de l’accord, leur licenciement repose sur un motif économique, est prononcé selon les modalités d’un licenciement individuel pour motif économique et ouvre droit aux mesures d’accompagnement que doit prévoir l’accord. » En droit, donc, et c’est le but, quel que soit le nombre de refuzniks (même beaucoup plus de 10 sur trente jours), ils n’ont pas à attendre le montage d’un PSE ou le gros chèque départ d’un PDV : procédure de licenciement économique individuel, avec les mesures d’accompagnement spécifiques « que doit prévoir l’accord »… qui ne doivent pas être attractives.

Mais dans les faits, si les refus sont massifs (prouvant que, même majoritaires, les signataires n’étaient guère représentatifs, d’où l’utilité d’un référendum), on souhaite bien du courage mais aussi un grand sens des médias au DRH voulant procéder, hors tout PSE, à 142 licenciements économiques individuels dans une entreprise connaissant par définition de « graves difficultés économiques conjoncturelles ».

Mais, contrairement aux refuzniks des accords de mobilité, la motivation des licenciements semble facile, l’entreprise étant ici hélas au-delà des simples « difficultés économiques » constitutives d’une cause réelle et sérieuse. Sachant que le périmètre retenu pour l’accord de maintien de l’emploi est l’entreprise, si elle appartient à un groupe de sociétés, la chambre sociale va-t-elle appliquer ici sa jurisprudence évoquant la situation du « secteur d’activité du groupe » ?

FLASH
Les salariés, seuls intéressés aux pertes ?

En droit maritime, lorsque, « pour le salut commun de l’expédition », le capitaine a dû passer par-dessus bord une partie de la cargaison, peu importe à l’arrivée à qui elle appartenait : ces sacrifices sont d’autorité répartis entre les propriétaires du navire et de la cargaison. À l’instar de cette pratique immémoriale des « avaries communes », un tel accord ne peut se limiter aux seuls salariés. Équité minimale : « L’accord prévoit les conditions dans lesquelles fournissent des efforts proportionnés à ceux demandés aux autres salariés :

– les dirigeants salariés exerçant dans le périmètre de l’accord ;

– les mandataires sociaux et les actionnaires, dans le respect des compétences des organes d’administration et de surveillance. »

Pour les dirigeants salariés, c’est le smic de la solidarité et le moins qu’ils puissent faire. S’agissant des mandataires sociaux ou des actionnaires, le droit des sociétés n’est pas aussi simple que veut bien le dire l’article L. 5125-1-II, et on voit mal un accord collectif de travail imposer de telles contraintes. Mais ce sera « dans le respect des compétences des organes d’administration et de surveillance » : le législateur est resté très prudent.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray