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Décodages

Encadrer les stages en entreprise, une gageure

Décodages | Insertion | publié le : 01.09.2013 | Éric Béal

Voie d’accès à la vie professionnelle, le stage est devenu un passage obligé pour les étudiants. Or, malgré les mesures adoptées depuis 2006, les entreprises continuent d’abuser de cette main-d’œuvre corvéable. Le gouvernement espère limiter les dérives avec une nouvelle loi.

Assistant marketing. Poste basé à Paris. Entreprise : la régie pub du groupe RTL. Durée et gratification non précisées. Profil recherché : bonnes connaissances d’Excel, Word et PowerPoint. Mission : analyse des données d’audience, réalisation d’argumentaires d’aide à la vente, reporting sur le chiffre d’affaires et réalisation de revues de presse. »

Cette offre de stage figurait début juin sur le site RTL, à la rubrique ressources humaines. Ailleurs, on trouve des postes de commercial, de chargé d’études à l’international, d’ingénieur d’affaires Web ou de « bras droit », proposés en stage de six à douze mois. « Il est clair que certaines entreprises cherchent un stagiaire plutôt que quelqu’un à embaucher en CDI. » De la part d’Anthony Desjardin, ce jugement pèse du plomb. Le jeune homme est un expert ès stages. Ancien recruteur dans un cabinet spécialisé, il a créé stagora.fr en juin 2012. Comme aido­stage.com ou ajstage.com, ce site invite les entreprises à décrire leurs offres de stage et propose aux stagiaires de déposer leur CV. Avec l’arrivée d’une centaine de candidatures par jour au début de l’été, Anthony Desjardin assume son rôle d’entremetteur entre stagiaires et entreprises. « Beaucoup de diplômés arrivent sur un secteur bouché et cherchent un stage pour intégrer une autre filière. Les bac + 4 ou 5 sont notre cœur de cible. Ils cherchent des stages de préembauche pendant lesquels ils sont formés au métier. La plupart sont rémunérés au-dessus du minimum légal de 436 euros mensuels. » L’entrepreneur admet que la situation est plus difficile pour les bac + 1 à 3. « Ils font souvent partie des stagiaires embauchés durant les mois d’été pour remplacer les salariés partis en vacances. »

Un statut mieux contrôlé. Pour autant, les étudiants d’aujourd’hui ne peuvent échapper aux stages, tant ce « complément » à la formation théorique est entré dans les mœurs. Le Conseil économique, social et environnemen­tal (Cese) estimait le nombre de stagiaires à 1,6 million en 2012. Contre 600 000 en 2006. Dans certains secteurs, la formule est devenue un passage obligé pour entrer dans la vie active. Les métiers de la communication et de l’édition, du marketing, du luxe et de la publicité – sans parler du milieu associatif – sont particulièrement friands de stagiaires, dont une partie prend la place de salariés en CDI pour un coût défiant toute concurrence. « Paradoxalement, on voit surtout des abus dans les grosses structures. Les PME ont moins de moyens pour accueillir un stagiaire », explique un inspecteur du travail. À l’entendre, il n’est pas rare de voir un stagiaire responsable de la production de documents commerciaux ou chargé de répondre à un appel d’offres. « Certaines entreprises accueillent des stagiaires à longueur d’année sur un poste. » Malgré la législation en vigueur (voir l’encadré page 40), l’Inspection du travail a du mal à intervenir. Faute de déclaration préalable à l’embauche obligatoire, elle n’est pas avertie de l’arrivée d’un stagiaire. Et le problème des stagiaires exploités n’est pas prioritaire.

Le gouvernement a cependant pris des engagements. Au cours du Comité interministériel de la jeunesse du 21 février 2013, le ministre du Travail a été chargé de préparer un texte « visant à mieux encadrer le recours aux stages et à améliorer le statut des stagiaires ». Geneviève Fioraso, la ministre chargée de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, rappelle que le gouvernement a déjà proposé une définition légale du stage prévoyant une double obligation d’encadrement, de la part de l’établissement et de l’organisme d’accueil, ainsi qu’un volume minimal d’heures de formation. Alors qu’un volet minimaliste sur les stagiaires vient d’être adopté dans le cadre de la loi ESR de juillet (voir l’encadré), la ministre soutient par ailleurs la présence d’un taux maximal de stagiaires dans les effectifs, en tenant compte de la taille de l’entreprise et de son secteur d’activité. Elle verrait aussi d’un bon œil l’intégration des stagiaires dans un registre unique du personnel. Mais, sur ces deux derniers points, la ministre précise que « ces questions sont discutées avec les partenaires sociaux depuis plusieurs mois ». Objectif : aboutir avant la fin de l’année à un accord puis à une loi qui serait, cette fois, sous la houlette du ministre du Travail. Chez les partenaires sociaux, les réactions sont contrastées.

Sylvie Brunet, vice-présidente de l’ANDRH, se demande comment mieux encadrer les stages sans faire fuir les employeurs. « Les étudiants sans réseau personnel ont déjà du mal à trouver un stage, explique-t-elle. Faut-il alourdir les obligations légales, au risque de faire hésiter les entreprises. » Elle convient néanmoins qu’il pourrait être intéressant de limiter la période de stage au dernier trimestre de l’année scolaire et pendant les mois d’été pour mieux les encadrer et éviter les CDD déguisés. Pour sa part, Claire Schnœring, directrice du développement rH de Vinci Construction France, qui accueille « plus de 2 000 stagiaires par an », n’est pas inquiète. « Nous traitons déjà nos stagiaires comme des alternants, avec convention de stage obligatoire et rémunération suivant leur niveau d’études. Mais il serait dommage de limiter le nombre de bénéficiaires. C’est la meilleure façon de découvrir l’entreprise. » Au Medef, on ne voit pas la nécessité d’une nouvelle loi. « La loi cherpion a déjà construit un encadrement légal strict. Mieux vaudrait prendre les décrets d’application manquants que de rajouter un texte, explique un porte-parole. D’autant plus que les avis qui s’expriment depuis deux ans ne sont pas fondés sur des chiffres précis. » Une critique à peine dissimulée contre l’État, qui s’était engagé en 2006 à assurer un suivi statistique. Sans effet à ce jour.

Renforcer la réglementation. À l’inverse, les représentants des étudiants souhaitent un renforcement de la réglementation. En pointe sur le sujet, l’association Génération précaire. « Nous voulons que les stagiaires soient inscrits sur le registre du personnel, indique Lila Djellali, une de ses porte-parole. De manière à pouvoir repérer les effets d’aubaine. » Depuis sa création en 2005, l’association dénonce la multiplication des stages en période de haute activité comme les soldes ou les fêtes de fin d’année. « Dans la distribution, le stagiaire n’est qu’une variable d’ajustement. Les stages cannibalisent les emplois juniors en CDD », précise la représentante. Julien Blanchet, le président de la Fédération des associations générales étudiantes, souhaite que les multiples dérogations à la loi Cherpion (voir l’encadré) soient abrogées. Il insiste aussi sur la nécessité de clarifier le statut de l’année de césure, pendant laquelle certains étudiants arrêtent leurs études pour effectuer un stage pratique en entreprise. « Mais la vraie solution pour diminuer le nombre d’abus, estime-t-il, serait de créer une fonction de “référent stage” dans chaque antenne de l’Inspection du travail afin d’aider les étudiants à porter plainte. »

Côté syndicats, la CGT a adressé en mai un courrier à tous les parlementaires pour réclamer l’introduction d’une définition du statut du stagiaire dans le Code du travail et des droits semblables à ceux des apprentis. Ainsi que des mesures pour empêcher le remplacement de salariés ou d’apprentis par des jeunes en stage. « Il est nécessaire de combler un vide juridique. Le gouvernement doit s’engager dans ce sens », affirme Sophie Binet, chargée de l’emploi et de la jeunesse au bureau confédéral. La CFDT préfère réclamer des mesures plus ciblées. Comme la création d’un registre obligatoire des stagiaires tenu par l’entreprise d’accueil, à disposition de l’Inspection du travail. Ou encore la limitation à deux stagiaires suivis par un même tuteur. « À long terme, nous souhaitons que tout stage de plus de trois mois soit automatiquement re­qua­lifié en contrat en alternance, précise thierry ­Cadart, secrétaire national CFDT. Cela permettrait aux jeunes qui les enchaînent avant d’être embauchés de cotiser pour la retraite. »

Améliorations incertaines. Toutes ces propositions laissent de marbre les représentants de la Conférence des grandes écoles, qui réunit environ 200 établissements du supérieur, comptant quelque 350 000 étudiants. « Nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de légiférer. Nos étudiants sont rarement victimes de dérapage », estime Régis Vallée, président de la commission formation de la CGE. La différence provient sans doute du suivi serré que les grandes écoles maintiennent au cours du déroulement des stages. « Chaque école est vigilante sur la validation du sujet de stage, les rapports et la soutenance. Instruction est donnée aux étudiants de signaler toute situation délicate qu’ils seraient amenés à vivre pour que l’école puisse intervenir », explique-t-il, non sans préciser que les grandes écoles reçoivent de nombreuses propositions auxquelles elles ne donnent pas suite car elles s’apparentent à des emplois bas de gamme.

Une règle que les Baip, les bureaux d’aide à l’insertion professionnelle des universités, ne peuvent pas tous suivre, faute d’un nombre suffisant de propositions. Les rares universités qui ont pris l’initiative de créer un diplôme universitaire « insertion » pour se donner les moyens d’aider leurs élèves sont très critiquées. Génération précaire hurle à l’arnaque, en dénonçant l’obligation pour les étudiants de payer une inscription fictive afin de pouvoir obtenir une convention de stage.

Reste qu’il semble peu probable qu’une nouvelle loi puisse changer radicalement la situation des stagiaires. Nombre d’inspecteurs du travail admettent que les pratiques condamnables existeront toujours si les acteurs, et en particulier les étudiants et les établissements de formation, n’osent pas dénoncer les entreprises indélicates devant les prud’hommes. Et exiger la requalification du stage en contrat de travail.

CHIFFRES

1 600 000

stagiaires en 2012 contre 600 000 en 2006, selon l’estimation du Cese.

436

C’est, en euros, le montant de l’indemnité de stage prévu par la loi, dès lors que celui-ci excède deux mois.

De lois en décrets…

• Dans la foulée de la loi pour l’égalité des chances (31 mars 2006), l’article 9 du décret du 29 août 2006 précise qu’« aucune convention de stage ne peut être conclue pour remplacer un salarié en cas d’absence, de suspension de son contrat de travail ou de licenciement, pour exécuter une tâche régulière […], pour faire face à un accroissement temporaire de l’activité […], pour occuper un emploi saisonnier ».

• L’article 3 du décret présente également 11 clauses à faire figurer dans une convention de stage, dont la définition des activités confiées au stagiaire en lien avec les objectifs de formation, les dates de début et de fin de stage, la durée hebdomadaire maximale de présence ainsi que le montant et les modalités de versement de la gratification versée par l’entreprise.

• Depuis la loi relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (24 novembre 2009), l’entreprise est obligée de verser une indemnité au stagiaire à partir de deux mois consécutifs de présence. Par ailleurs, la Cour de cassation a précisé dans un rapport publié en 2009 que « le conseil de prud’hommes est compétent pour statuer sur une demande de requalification d’une période de stage en contrat de travail ».

• La loi pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels (28 juillet 2011), dite loi Cherpion, précise que « la durée du ou des stages effectués par un même stagiaire dans une même entreprise ne peut excéder six mois par année d’enseignement ». Elle indique aussi que l’employeur doit respecter un délai de carence entre deux stages, correspondant au tiers de la durée du stage précédent. Mais, faute de décret d’application, ce texte n’est pas systématiquement appliqué, selon un rapport d’information datant du 15 février 2012.

• La loi sur l’enseignement supérieur et la recherche de juillet 2013 étend aux collectivités locales et aux hôpitaux l’obligation de rémunérer leurs stagiaires à partir du troisième mois, à hauteur de 436 euros.

Auteur

  • Éric Béal