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Décodages

Dans les coulisses de la CGT Spectacle

Décodages | Syndicat | publié le : 01.09.2013 | Stéphane Béchaux

Elle sort de l’ombre tous les trois ans pour défendre le régime d’assurance chômage des intermittents. Pourtant, la Fédération CGT du spectacle pèse beaucoup dans le milieu culturel et cogère l’ensemble de ses institutions. Une organisation incontournable mais décriée.

Un rez-de-chaussée aux allures de vaste préfabriqué au pied d’une barre d’immeubles grisâtre du xixe arrondissement parisien… De l’extérieur, le siège de la Fédération nationale des syndicats du spectacle, de l’audiovisuel et de l’action culturelle (FNSAC) ne paie pas de mine. Et pourtant, ces locaux défraîchis, acquis au début des années 1980, cachent une organisation très influente. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. « Au sortir des mouvements de résistance, dans le cadre du pacte gaullo-communiste, la CGT a hérité d’un monopole syndical dans les ports et le livre. Mais aussi, plus officieusement, dans le secteur de la culture », rappelle un vieux militant. Des années Malraux, marquées par la création des maisons de la Culture, aux années Lang, qui voient doubler les budgets consacrés au secteur, le syndicat place ses pions.

Un homme sur le départ – il rend son tablier à la fin du mois lors du 36e congrès fédéral (voir l’encadré) – incarne la prise de pouvoir de la génération Lang : Jean Voirin. À l’origine étalonneur de films dans les laboratoires Éclair, il dirige la CGT Spectacle depuis… le printemps 1989 ! Administrateur du Festival de Cannes, le leader syndical est incontournable. Il préside, en alternance avec le patronat, l’Afdas, l’Opca qui gère les 213 millions d’euros de fonds de la formation professionnelle de la culture, de la communication et les loisirs. Mais aussi le groupe de protection sociale Audiens. Homme de réseaux, il a ses entrées partout, en particulier au ministère de la Culture. Aucune réunion du Conseil national des professions du spectacle n’y est d’ailleurs programmée sans vérifier au préalable son agenda. Un privilège qu’il partage avec le seul Jacques Peskine, président de la Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (Fesac). Puissant, l’homme n’est pas pour autant causant. Il a refusé de répondre à nos questions et invité ses adjoints à en faire de même.

Tradition d’empoignades. En interne, la maison n’a pourtant rien d’une organisation monolithique pratiquant le culte du chef. Au contraire. Ses 7 215 adhérents – chiffre officiel de Montreuil – se répartissent dans une dizaine de syndicats nationaux, corporatistes, défendant des professions aux intérêts parfois contradictoires : les artistes-interprètes (SFA), les musiciens (Snam), les réalisateurs (SFR), les professionnels du théâtre et des activités culturelles (Synptac)… « Dans les années 1960 et 1970, le SFA, qui a eu gérard philipe pour président, jouait le rôle de porte-étendard. Plus maintenant. La CGT Spectacle s’est transformée en syndicat de techniciens », décrypte un haut fonctionnaire de la Rue de Valois. Hormis pour défendre ­l’exception culturelle ou réclamer la hausse des budgets culturels, les structures peinent à porter des revendications communes. Et à réfléchir à l’évolution des métiers, bouleversés par la révolution numérique. La tradition d’empoignades, elle, reste bien vivace.

Au fil des ans, certains ont d’ailleurs fait sécession : les techniciens de la production ciné­ma­tographique se sont fait la malle en 1981, les musiciens de Paris vingt ans plus tard. Très fortement touchée par le papy-boom, l’organisation a mené des travaux exploratoires avec la Fédération du livre, le Syndicat des journalistes ou les agents du ministère de la Culture pour bâtir une grande fédération. Mais seules les discussions avec la presse ont avancé. Et pour cause. À Montreuil colle à la CGT Spectacle une image d’organisation de grandes gueules ingérables, peu impliquées dans la vie de la centrale. Lors des deux derniers congrès, son candidat à la commission exécutive a d’ailleurs été recalé. « En comité confédéral, Jean Voirin a tendance à prendre la parole sans qu’on la lui donne. Il aime la polémique, faire du brouhaha au fond de la salle », note un membre de l’instance.

Lors des négociations Unedic, en revanche, la fédération sait prendre toute sa place dans la délégation CGT qui planche sur la convention d’assurance chômage et ses fameuses annexes 8 et 10. « Jean Voirin connaît très bien la réglementation, il n’est pas sur des positions dogmatiques. Ses revendications sont parfaitement en phase avec la ligne confédérale », assure Maurad Rabhi, l’ex-Monsieur Emploi de Montreuil. À la CFDT comme dans les milieux patronaux, on reproche à l’inverse le double discours de l’organisation et son incapacité à résister à la pression des coordinations. « Dans le huis clos d’une réunion, Jean Voirin peut tenir des propos très raisonnables et faire des propositions crédibles. Puis prendre des positions opposées dès qu’il met le nez dehors », déplore un négociateur patronal. Dans la perspective des prochaines discussions, la CGT spectacle a d’ailleurs fait passer ses messages. Farouchement opposée à une remise à plat du régime, elle consent à des ajustements, notamment pour plafonner le cumul mensuel entre salaire et indemnités.

Dans les négos de branche, les syndicats CGT du spectacle montrent un tout autre visage. Ils partagent tous une valeur commune : le pragmatisme. « Au-delà des discours et des effets de manche, le paritarisme est très actif dans nos métiers. En matière de protection sociale, de formation ou de médecine du travail, on signe des accords très innovants », souligne Jacques Peskine, président de la Fesac. L’organisation a paraphé la plupart des conventions collectives et bon nombre d’accords interbranches. « Techniquement, on fait souvent le boulot avec la CFDT. Mais politiquement, ce sont les mecs de la CGT qui comptent. Quand ils ne veulent pas signer, on passe des “deals”. On s’assure qu’ils crieront très fort, mais sans faire tout capoter », confie un négociateur patronal.

Les « deals » prennent parfois de curieux contours. Notamment dans le spectacle vivant subventionné, où le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles s’allie souvent avec la CGT pour pétitionner ou manifester. « C’est un syndicat de directeurs de théâtre : des cadres salariés, pas des patrons. En négo, les camarades sont des deux côtés de la table », raille un dirigeant de la Fesac. Une fédération patronale non affiliée au Medef, signe des spécificités du secteur. « On n’est pas dans une économie de marché. Les uns ne défendent pas leurs sous et les autres leurs emplois. Tous se battent pour faire vivre la politique culturelle », explique Georges-François Hirsch, ex-directeur général de la création artistique et ancien président du Syndicat national des entrepreneurs de spectacles.

Nerf de la guerre. Dada de la CGT lors des négos conventionnelles, le financement du paritarisme. « Au cours des vingt dernières années, Jean Voirin a mené une vaste opération de légalisation des aides, autrefois opaques. En essayant de flécher les subventions vers sa fédération plutôt que vers les syndicats », explique un fin connaisseur de la maison. Le nerf de la guerre pour tenir les troupes. Et subsister : sur les 740 000 euros de ressources en 2011, moins du tiers provenait des cotisations. Autre cheval de bataille, la mutualisation des œuvres sociales. Depuis 1973, la CGT a la mainmise sur le Fonds national d’action sociale (Fnas). Un super comité d’entreprise qui, dans le champ du spectacle vivant subventionné, reçoit plus de 7 millions d’euros par an. Des sommes qui servent, certes, à payer colonies de vacances et tickets cinéma. Mais aussi, via d’exorbitants frais de gestion et des dépenses annexes, à rémunérer une vingtaine de salariés et à réunir des militants lors de journées dites « d’étude » pendant le Festival d’Avignon. Dans le spectacle vivant, un organisme du même type, le Casc-SVP, doit voir le jour. « C’était le prix à payer pour faire aboutir les négos sur la convention collective. Au départ, la CGT voulait que les sommes soient gérées par le Fnas. On a catégoriquement refusé », confie un négociateur patronal.

Autre place forte de la CGT Spectacle, la formation professionnelle. En 1972, la fédération est la première de la maison à s’investir dans un fonds d’assurance formation, celui du spectacle vivant. En quarante ans, l’Afdas a beaucoup grossi, intégrant les secteurs de la publicité, des loisirs ou de la presse. Mais elle y tient toujours la première place. Détentrice de cinq postes d’administrateurs, elle joue notamment un rôle clé dans les sections paritaires du spectacle vivant et des intermittents, où aucune décision ne se prend sans son aval. Au risque, parfois, de friser le conflit d’intérêts. Premier bénéficiaire des fonds, le Centre de formation professionnelle aux techniques du spectacle (CFPTS). Un organisme dirigé par l’ancien secrétaire général du Synptac CGT. « Le CFPTS a très bonne répu­tation. Et ses formateurs ne sont pas tous cé­gétistes. Mais avoir sa carte ne gâche rien », explique une militante cédétiste. Le centre sait aussi renvoyer la balle. En achetant, par exemple, de pleines pages de pub dans Spectacle, le bimestriel de la fédération.

Cogestion. Hors des organismes paritaires, la Fédération du spectacle occupe aussi des postes clés. Des représentants de la maison siègent ainsi aux conseils d’administration du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz, de l’Association pour le soutien du théâtre privé ou du Fonds pour la création musicale. « Siéger dans de telles structures procure un pouvoir relationnel monstrueux auprès des directeurs de théâtre, des producteurs, des organi­sateurs de festival. Quand on a besoin de subventions, impossible de se fâcher avec les financeurs », relève un ancien producteur de spectacle. En la matière, la CGT dispose d’un autre bras armé, l’Adami, créée en 1955 par ses soins. Une société de gestion collective des droits des artistes et musiciens-interprètes dans laquelle ses candidats tiennent 20 des 34 postes d’administrateurs. « Il y a eu une très forte extension de l’influence de la CGT avec la mise en œuvre de la loi Lang de 1985. Celle-ci a confié aux sociétés civiles d’artistes et d’auteurs des sommes importantes et leur a délégué une partie du pouvoir de subventionner les entreprises culturelles et les artistes. Une partie de ces fonds alimente des entreprises ou institutions cogérées par la CGT ou les sociétés civiles qu’elle contrôle », ­décrypte l’avocat Roland Lienhardt, spécialiste du secteur artistique.

En 2012, sur les 64,7 millions d’euros collectés, 10,6 ont contribué à financer un petit millier de manifestations culturelles. Des événements prestigieux comme le Festival de Cannes, le Printemps de Bourges ou les Victoires de la musique, mais aussi des manifestations confidentielles. Idéal pour étoffer ses réseaux et cultiver ses soutiens… La maison sait, aussi, se montrer généreuse envers les structures concourant à « l’intérêt général ». L’an dernier, l’Adami a ainsi financé les syndicats à hauteur de 220 000 euros. Une manne dont a profité le SFA CGT (82 500 euros). Mais aussi la CFDT, FO et la CGC.

REPÈRES

70,2 %

C’est le score de la CGT dans la branche du spectacle vivant subventionné, ce qui rend sa signature indispensable.

Dans le secteur privé du spectacle vivant, elle obtient 59,6 %.

7 215

C’est le nombre d’adhérents enregistrés par la confédération.

Voirin quitte la scène

Historique ! Prévu fin septembre à Mandelieu-la-Napoule, le 36e congrès de la CGT Spectacle devrait consacrer le départ de son leader, Jean ­Voirin. Un secrétaire général élu en mars 1989, à l’issue d’un duel fratricide avec son prédécesseur, Claude Quémy. Le poste devrait échoir à un directeur de la photographie de 43 ans, Denis Gravouil. Secrétaire général du nouveau Syndicat des professionnels des industriesde l’audio­visuel et du cinéma (Spiac), l’homme s’est notamment illustré avant l’été dans le délicat combat – victorieux – pour faire étendre la très contestée convention collective du cinéma.

Signe avant-coureur de sa probable intronisation, il a fait au printemps son entrée au conseil d’administration de l’Unedic. Un siège qui pourrait lui valoir de participer à la délégation CGT lors des négos assurance chômage de l’automne. Jean Voirin devrait, lui, conserver la présidence de l’Afdas, bousculée par les réformes successives de la formation professionnelle. Mais aussi du groupe de protection sociale Audiens, engagé dans un processus de rapprochement avec Pro BTP.

Auteur

  • Stéphane Béchaux