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Pour réussir les mutations, les DRH mettent le paquet

À la une | publié le : 01.09.2013 | Anne Fairise

Suivi et prestations individualisés, encadrement impliqué, transparence des dispositifs… La crise pousse certaines grandes entreprises à revoir leur approche des mobilités et à y mettre le prix pour les faciliter.

Chou blanc ! Depuis que Thales Avionics transfère des produits du Haillan (Gironde) et de Meudon (Hauts-de-Seine) vers le site de Vendôme (Loir-et-Cher), le DRH peine à trouver la poignée de volontaires expérimentés pour accompagner les montées en production. « Il a convaincu 15 intérimaires d’aller travailler à Vendôme, en leur promettant un CDI. Face à la hausse des transferts, il envisage de recourir à des seniors qui finiraient leur carrière à Vendôme comme détachés temporaires », précise Colette Seib, DSC CFDT. Un cas extrême ? Sûrement. Mais il révèle la difficulté d’initier, au moment opportun pour l’entreprise, des mobilités internes. Notamment géographiques.

Les détachements, plus encore les mutations avec déménagement, bouleversent les équilibres de vie. La proposition de ­mobilité sera reçue avec plus ou mois d’appétit selon que le salarié est célibataire en début de carrière ou propriétaire, marié avec trois enfants dans trois écoles et une compagne ayant des ambitions. « Même les mobilités fonctionnelles sont déstabilisantes et difficiles à envisager si elles ne sont pas anticipées et accompagnées », renchérit Jean-Claude Delgènes, du cabinet Technologia. Mais la crise qui dure a du bon. En contraignant les grandes entreprises à trouver en interne les compétences, elle en pousse certaines à revoir leur approche des mobilités, géographi­ques ou fonctionnelles. À la satisfaction des trop rares salariés qui en bénéficient. Passage en revue des pratiques émergentes.

MONNAYER ET CIBLER LA MOBILITÉ GÉOGRAPHIQUE. Un budget prévisionnel de 12 à 15 millions d’euros sur trois ans ! La Maif se donne les moyens de faire de la mobilité géographique, cruciale dans sa réorganisation. D’ici à 2015, ses 150 délégations régionales seront déplacées dans les centres-villes et des plates-formes téléphoniques créées dans les grandes ag­glomérations. Parce qu’elle fait le pari des mobilités volontaires, en garantissant l’emploi en CDI, la mutuelle a sorti le grand jeu en matière d’incitations : voyage de reconnaissance dans la région d’accueil, participation aux frais d’hébergement provisoire, d’installation ou de déménagement, jusqu’à l’accompagnement à la recherche d’emploi pour le conjoint.

Surtout, les salariés qui déménagent ont droit à un « forfait mobilité » de 32 000 à 48 500 euros brut selon la situation familiale. Trop ? « C’est toujours moins que le coût, par salarié, des indemnités conventionnelles en cas de plan social », estime un consultant. Décisif, en tout cas, pour les jeunes. « Évidemment, j’aurais préféré rester dans ma petite ville si j’avais pu. Mais la réorganisation dégage des opportunités », lâche une trentenaire, célibataire sans enfants, qui a déménagé à 150 kilomètres. « L’importance de la somme doit être relativisée, nuance Myriam Bruzac, de FO. Si le salarié doit vendre sa maison dans un marché baissier pour rejoindre une agglomération, il n’est pas gagnant. Le forfait aide les plus anciens à se décider. Mais ce qui emporte leur choix est de continuer à exercer leur métier. Ils préfèrent déménager plutôt que de subir une mobilité fonctionnelle dans leur bassin. » Car les salariés de la Maif ont le choix entre mobilité géographique, dans leur métier, ou fonctionnelle s’ils ne bougent pas.

Face à l’accélération des départs à la retraite et au gel des embauches, BNP Paribas (64 500 salariés en France) met aussi le prix pour inciter ses conseillers financiers en province à bouger. Dès octobre, ils pourront bénéficier de quatre offres personnalisées. Ceux acceptant une ou deux fois dans leur carrière de déménager à plus de 100 kilomètres (formule « opportunité ») décrocheront une prime d’un an de salaire et des prestations au choix, allant des frais d’internat des enfants au financement de la formation du conjoint ! « Mais, déplore Laurent Rigoreau, du SNB CFE-CGC, le dispositif s’applique seulement lorsque le poste est proposé par la direction. » Qui choisit les bénéficiaires.

Reste que les primes ciblées ont leur limite. Renault, qui a renforcé en 2011 ses incitations financières pour convaincre les ouvriers au chômage partiel des usines en sous-charge, à Douai et à Sandouville notamment, de rejoindre celles tournant bien, n’a jamais dépassé les 1 200 « détachés volontaires », en moyenne mensuelle. « L’entreprise n’a pas obtenu l’ampleur souhaitée, note Dominique Chauvin, de la CFE-CGC, surtout pour les petits déplacements (inférieurs à 50 kilomètres), moins indemnisés que les grands. » où les salariés doublent quasiment leur salaire. D’où la proposition du DRH, lors de la négociation de l’accord compétitivité fin 2012, de rendre obligatoire le détachement temporaire entre usines d’un même pôle régional lorsque les volontaires font défaut : vite abandonnée face aux protestations syndicales ! Aujourd’hui comme hier, les salariés au chômage partiel non volontaires pour une mobilité n’encourent aucune sanction.

Bien qu’il ait refusé d’accorder des primes de mobilité, le spécialiste des canalisations Saint-Gobain Pont-à-Mousson, qui pratique depuis avril les détachements intersites, ne manque pas de volontaires. « Le site le plus éloigné est à 100 kilomètres, le salaire des ouvriers, garanti à 100 %, et l’accord n’a été signé que pour un an », souligne marc antoine, DSC CFDT. Un argument emporte les décisions : l’activité n’a jamais été aussi basse.

IMPLIQUER L’ENCADREMENT. « Il n’a même pas pris le temps de venir se présenter ! » Il aura suffi, dans ce service de recherche appelé à en intégrer un autre, que le responsable « accueillant » ne montre aucun intérêt à l’égard des futurs arrivants pour doucher leur envie de mobilité. « L’intégration a été un échec : le responsable, auquel le rapprochement avait été imposé, n’a pas fait d’efforts. Les salariés ne se sont pas sentis embarqués dans un nouveau projet. Ils ont préféré être licenciés plutôt que de changer de lieu de travail et de service », explique un consultant.

Logique pour Édouard Tessier, directeur d’IDRH : « Le premier levier des mobilités réussies est l’implication des managers. Ils ont un rôle essentiel pour apporter des garanties aux salariés prenant le risque d’une mobilité interne. » Surtout, précise Claude bodeau, associé chargé des RH chez Kurt Salmon France, qu’« aucune offre n’apparaît plus sécurisante qu’une autre aux yeux des salariés, les entreprises étant continûment en transformation ». Et toutes ne s’interdisent pas, comme le fait la Maif, les licenciements pour insuffisance professionnelle dans les deux ans suivant la prise de poste : la mutuelle s’y est engagée pour sécuriser ses techniciens d’assurance en mobilité fonctionnelle. « Cette forme d’accompagnement renforce la confiance au sein de l’entreprise », note Olivier Ruthardt, le DRH, qui a aussi augmenté le budget formation de 2,5 millions d’euros par an.

D’où le poids du suivi qui sécurise. « Remettre l’accent sur l’importance du dialogue dans la relation managériale », c’est l’objectif de la SNCF qui a revu la gestion des cadres supérieurs. La durée d’ancienneté en poste est passée de trois à quatre-cinq ans, pour autoriser sa maîtrise. La situation de chacun est étudiée, chaque année, lors d’une revue managériale réunissant n + 1, n + 2 et les gestionnaires RH. Les conclusions sont discutées lors de l’entretien annuel du cadre. « Ce dispositif permet de mieux connaître chacun des collaborateurs, ses compétences et ses aspirations. Le résultat en sera des mobilités plus mûries et mieux préparées », souligne Anne Gabet, responsable du projet. Et la SNCF récompense d’une prime les prises de poste jugées difficiles au vu de la localisation ou de l’investissement.

INDIVIDUALISER LE SUIVI. Depuis que les managers d’Ipsen sont obligés d’inscrire les postes vacants dans la bourse à l’emploi de l’intranet, le nombre des offres a été multiplié par plus de deux en quatre ans ! « La lutte contre les marchés cachés de l’emploi est un travail de longue haleine. Il faut s’élever contre la croyance qu’un recrutement externe répond mieux au profil recherché », martèle Sylvia Gesnel, directrice du recrutement. Elle a créé une charte clarifiant les règles de mobilité, des entretiens individuels dédiés pour les initier et, pour les organiser, un « comité mobilité » réunissant les RH toutes les six semaines. « En l’absence de politique structurée et affichée de l’entreprise, les outils déclenchent peu de mobilités », rappelle Véronique Cadiou, responsable de Page Assessment.

Le groupe pharmaceutique n’est pas le seul à mettre en place des processus mieux huilés, assurant neutralité et équité dans la diffusion des postes et leur « récupération », et à professionnaliser ses outils. Les accompagnements à la prise de fonction (pour les cadres) et les évaluations pré­alables sont en nette hausse, selon les cabinets spécialisés. « Les entreprises veulent limiter les risques. On n’est plus dans le “prends ton poste et débrouille-toi” », note Véronique Cadiou. Afin d’accélérer la décision des salariés en mobilité fonctionnelle, certaines organisent des « Vis ma vie » pour faire découvrir des métiers : opérateur réseau chez Alcatel-Lucent, chef de secteur chez DHL Express. Orange propose même une formule test and go permettant d’exercer un autre métier en alternance. Pour rendre visibles les besoins d’effectifs et de compétences entre les filiales, l’opérateur a aussi divisé la carte de France en 85 bassins, où il décline son accord GPEC ! Rapporté aux 40 familles de métiers, cela donne une matrice à plus de 3 400 entrées. Mais des itinéraires professionnels types entre métiers ont été élaborés pour les salariés, qui peuvent s’appuyer sur les conseillers d’Orange avenir. « Nous nous inscrivons dans le temps du salarié pour l’aider à préciser ses motivations, à identifier les compétences acquises ou à acquérir, à questionner ses freins et à confronter ses priorités à celles de l’entreprise », précise Nathalie Bazard, conseillère pour la Normandie, qui suit 30 à 60 salariés par semestre. Du quasi-tutorat.

Dire non…

À quoi s’expose le salarié refusant une modification de son lieu de travail ?

Si son contrat de travail comporte une clause de mobilité, il risque un licenciement pour faute. Pour peu, dit la jurisprudence, que la zone géographique d’emploi ait été bien précisée et que le délai de prévenance soit raisonnable.

En l’absence de clause de mobilité, le salarié peut se voir imposer un changement de lieu de travail s’il intervient dans le même « secteur géographique ». Les juges apprécient son périmètre au cas par cas, en fonction des dessertes en transport et du temps de déplacement. Le refus constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Les accords de mobilité interne,négociés dans le cadre de la loi de sécurisation de l’emploi, vont rebattre les cartes. En cas de refus, le salarié, licencié pour motif économique à titre individuel, bénéficiera des mesures de l’accord.

“On voulait avoir le choix”

DOMINIQUE MELIN

Responsable d’unité à l’usine PSA La Janais, près de Rennes.

Avec sa femme, ils ont fait leurs comptes. Treize ans d’ancienneté pour lui, neuf ans pour elle. « Si j’avais eu vingt ans d’ancienneté, je n’aurais peut-être pas été concerné. Nos métiers sont ciblés par le plan. Nous avions intérêt à prendre les devants. » Le couple a commencé sa recherche dès la fin février. « On s’est dit : premier demandeur, premier servi. On voulait avoir le choix. » Ils ont choisi Caen. « C’est une usine qui travaille pour l’ensemble des autres sites. Elle est moins touchée par la crise, même s’ils sont aussi en plan de départs volontaires dans le cadre de la GPEC. »

“J’ai pris une décision dans un cadre contraint”

CHANTAL MUELLER

Conseillère « sinistre » au Havre, elle est devenue téléconseillère à Niort.

« Je ne considère pas que j’ai eu le choix. J’ai pris une décision dans le cadre contraint de la réorganisation. J’ai préféré déménager et conserver mon métier de “conseiller généraliste sinistre”, même sur un plateau téléphonique, plutôt que de rester au Havre en agence et de devoir intégrer le service “contrats”. C’est un autre métier. Je m’estime chanceuse d’avoir pu prendre cette décision. D’autres collègues en fin de carrière, qui ne peuvent pas déménager, vont être mutés à l’initiative de l’entreprise… Le package mobilité m’a aidée à faire mon choix et j’ai été bien suivie. »

Auteur

  • Anne Fairise