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Vie des entreprises

Conforama ne tourne plus rond

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 05.06.2013 | Rozenn Le Saint

Affaires de fichiers illégaux, procédures prud’homales à foison, risques psychosociaux en hausse…, le tout sur fond de PSE et de dialogue inexistant. Le nouveau DRH de l’enseigne a du travail pour redresser la barre.

Au pays où la vie est moins chère, le moral des salariés est en berne. Le dialogue entre la direction et les 9 170 salariés de Conforama est rompu, les conflits se règlent devant les tribunaux. François Cadoret, DSC CGC, responsable technique au service après-vente du magasin de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), remarque, impuissant, « des salariés qui se mettent à boire, à fumer et à déprimer ». En cause, un PSE qui prévoit la suppression de 288 postes (sur 650). La direction s’était engagée à recréer 70 postes ultérieurement dans l’après-vente et avait proposé 252 autres reclassements au sein de Conforama France. L’intersyndicale a porté l’affaire en justice : le TGI de Meaux a annulé le PSE le 27 septembre 2012, celui de Bobigny l’a encore suspendu le 18 février dernier… Et la cour d’appel de Paris devait examiner le dossier le 23 mai.

Pour l’intersyndicale, si le nombre d’interventions en SAV a bien baissé de 40 % depuis trois ans, c’est surtout « parce que l’entreprise crée la pénurie. La “garantie excellence” a été confiée à un autre prestataire. Cela représente entre 30 et 40 % des interventions que nous faisions nous-mêmes », assure Pascal Jacquemain, de la CFDT. « Pour l’heure, l’électroménager et l’électrodomestique, qui demandent le plus de SAV, comptent pour 40 % du chiffre d’affaires de Conforama, mais c’est un marché en récession, il ne pèsera plus que 20 à 30 % dans quelques années, estime Olivier Guigner, le nouveau DRH France arrivé en février. En même temps que nous repensons nos gammes de manière plus stratégique pour nous adapter aux évolutions de nos marchés, nous souhaitons anticiper le mieux possible ce que cela impliquera pour les équipes en créant des passerelles métiers via des formations, par exemple entre des postes de techniciens SAV et de vendeurs. » Des reclassements freinés par la judiciarisation du PSE, selon lui : « L’incertitude s’installe. Nous avons gelé des postes en magasins pour les réserver à des collaborateurs du SAV potentiellement concernés par le PSE. »

Cadres licenciés. Si « les vendeurs sont pris pour du bétail », selon Didier Pienne, délégué syndical FO, les directeurs de magasin ne semblent pas épargnés. Leur turnover atteint 8,3 % contre 7 % dans l’entreprise. En 2012, sur 204 magasins que compte la France, neuf ont démissionné et six ont été licenciés… Parmi ces derniers, Théodore Dekerpel, qui était à la tête du magasin de Leers, où le premier fichage illégal de salariés avait été retrouvé en 2011. Il a finalement été remercié par son directeur régional, l’auteur du document qui classe les salariés selon un code couleur – alliés de la direction (vert), partenaires potentiels (orange) et récalcitrants (rouge). Un comble pour Théodore Dekerpel : « J’ai été un fusible malheureux de cette histoire. C’est un licenciement déguisé. » Il a engagé une procédure aux prud’hommes.

Patrick Boulhoud aussi. Entré par la petite porte comme magasinier en 1991, l’homme d’origine africaine a gravi les échelons, pour devenir directeur de l’enseigne à Saint-Brice-sous-Forêt (Val-d’Oise). En mai 2011, il a même été cité en exemple lors d’un séminaire de 1 500 personnes destiné à présenter l’entreprise au groupe sud-africain Steinhoff qui venait de racheter l’enseigne à PPR. Mais un an plus tard, la direction lui reproche des résultats insuffisants, pourtant à la hausse depuis son arrivée, et des lacunes en management… malgré une prime accordée quelques mois plus tôt. « J’ai été jeté comme un Kleenex, je n’ai même pas pu dire au revoir à mes salariés, témoigne l’ancien directeur. J’ai pris des anxiolytiques pour la première fois et j’ai compris pourquoi les salariés de France Télécom en arrivaient à se suicider. »

Abdelaziz Boucherit, délégué syndical CGT, qui assiste à l’entretien préalable au licenciement, n’en revient pas non plus. « C’était quelqu’un d’abordable, à l’écoute de ses salariés », plaide-t-il. La direction ne préfère pas communiquer sur une affaire en cours, mais pour Pascal Jacquemain, DSC CFDT, « à partir du moment où des directeurs se montrent plus humains, la direction s’en sépare. S’il faut sacrifier des salariés pour améliorer la rentabilité, elle n’a aucun scrupule ». À l’inverse, « les directeurs à qui on demande de plus en plus de rentabilité, de ne faire que du chiffre, sont appelés les nettoyeurs », témoigne Serge Béqué, salarié de Conforama, qui a connu Patrick Boulhoud quand il était encore vendeur.

Valérie Foulgoc, elle, était comptable sous la direction de Patrick Boulhoud au magasin de Saint-Brice et regrette cette époque. Lors du plan de mobilité volontaire de 2009, son poste est supprimé. Une seule perspective s’offre à elle : devenir hôtesse de caisse. « Depuis, le nouveau directeur me harcèle. Il m’a déjà menacée d’entamer une procédure de licenciement alors que j’étais en plein travail. Finalement, il ne l’a pas engagée, mais je suis sous pression et il ne fait rien pour permettre mon évolution. Quand je suis arrivée, il n’y avait pas de comptable, maintenant il y en a deux et je suis toujours à la caisse, indique-t-elle, amère, après vingt-deux ans de présence dans l’entreprise. Je ne parviens pas à obtenir de rendez-vous avec la RRH régionale. À chaque fois qu’elle passe au magasin, je suis en congé, témoigne la salariée en dépression. Les cadres partent avec des indemnités, les autres, on les pousse à bout, jusqu’à ce qu’ils démissionnent. »

Dans le flot de procédures judiciaires, Conforama n’en a pas fini non plus avec le feuilleton des fichiers de salariés. En juillet 2012, FO affirme avoir découvert un autre document de ce type mentionnant toujours les mêmes commentaires subjectifs : « Rouge – à surveiller – soldat à sortir » ; « Orange foncé – trop mou – augmentation 2013 refusée » ; « Passé orange – revendicatif – à sortir au plus vite » ; « Bon élément… Attention, veillez à aucune déformation par X [X étant un délégué syndical, NDLR]. »

Cette fois, FO a porté plainte auprès du procureur de Meaux, le 18 décembre 2012. « L’utilisation de ce classement selon le degré de fidélité à la direction se maintient, avec un cas flagrant de discrimination syndicale, et en plus, cette fois, elle a des incidences sur la décision d’accorder des augmentations et sur l’emploi puisque des salariés fichés « à sortir » ont été licenciés ou ont vu leur CDD ne pas être renouvelé », déplore l’avocat de FO, Vincent Lecourt.

Même si la tête de la DRH change, la défense ne varie pas. Selon la direction du numéro deux du meuble en France, « ce document inacceptable ne peut émaner de chez Conforama […]. [Il] ne ressemble en rien dans son contenu à la manière dont sont rédigés les commentaires relatifs aux appréciations portées sur les collaborateurs, qui ne comportent pas de codes couleur, car une telle pratique est interdite », plaide Olivier Guigner. L’ancien responsable des affaires sociales du groupe Les Mousquetaires concède qu’« on ne peut pas être en permanence derrière chaque manager. Après la découverte du fichier de Leers, il y a eu un rappel à l’ordre et des directives ont été redonnées à l’ensemble du réseau. Ce cas isolé ne doit pas remettre en question les compétences de l’ensemble de nos managers ».

Pour autant, ce type de fichier enfreint la loi informatique et libertés et l’entreprise risque « l’annulation des sanctions prises en fonction de ce traitement non objectif, comme des licenciements, et l’interdiction de ce système illicite d’évaluation », selon Nathalie Métallinos, avocate chez Bird & Bird, cabinet spécialisé dans la protection des données.

Chantiers RH. En attendant les suites judiciaires de l’affaire, le DRH devra remettre d’aplomb le dialogue social. « En arrivant, j’ai mis en place un agenda et proposé d’avancer rapidement sur des chantiers prioritaires, dont la GPEC. Mais pour aboutir à un accord, il faut être deux…Je compte bien inscrire mon action d’amélioration du dialogue social dans la durée », assure Olivier Guigner, qui semble prêt à endosser le costume d’« homme nouveau ». Parmi les chantiers qu’il souhaite lancer en septembre, la structuration de la rémunération des 2 910 vendeurs. Il aura du travail pour convaincre les salariés.

Avec une ancienneté moyenne de douze ans et demi, les Confo regrettent les années de croissance sous PPR et ont du mal à ravaler leur rancœur. Le plan de mobilité volontaire de 2009, l’échec des reclassements et trop de procédures sont passés par là.

Auteur

  • Rozenn Le Saint