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Politique sociale

Veillée d’armes dans l’insertion

Politique sociale | publié le : 05.06.2013 | Anne Fairise

Sur fond de chômage historique, le gouvernement engage une réforme de l’insertion par l’activité économique, après un rapport ravageur. Malmené par la crise, le secteur est sur la défensive.

Au moindre fléchissement de conjoncture, j’en cauchemarde les nuits : allons-nous finir l’année ? » avoue Denis Mulliez, le patron de l’atelier d’insertion SIIS à Grenoble qui a enchaîné les avis de tempête depuis 2009. D’abord, l’effondrement d’un tiers de son chiffre d’affaires qui l’a obligé à licencier d’autant. Puis, en 2011, le départ en Chine de son principal client, Photowatt : 35 % du carnet de commandes envolés. « Il nous faut aller vers des marchés solvables, non délocalisables et n’exigeant pas de capacités d’investissement », martèle ce pro de l’assemblage qui s’en est relevé au prix d’une « effroyable rigueur de gestion » et d’une diversification de l’activité. Elle lui permet d’employer, en moyenne dans l’année, une centaine de jeunes sans qualification ou de chômeurs de longue durée sur 55 postes en équivalent temps plein. C’est 17 % de moins qu’en 2008. À Niort, Thierry Picaud n’a pas maintenu son offre d’insertion. S’il n’a perdu que deux postes, la proportion de personnes en difficulté est passée de deux tiers des effectifs à moins de la moitié. « Face à la concurrence féroce, nous avons priorisé l’économie, en embauchant des professionnels, en pressurant nos salariés permanents, au détriment du travail d’accompagnement », déplore le dirigeant d’Eive, spécialisé dans la création de jardins. Sans enrayer la chute du résultat, négatif en 2012.

Rapport à charge. Car il n’y a pas que le front conjoncturel. L’aide de l’État au poste d’insertion n’a pas été revalorisée depuis… 2002. « Quel acteur, assurant une mission de service public, fonctionne avec un budget identique depuis onze ans ? » tempête Denis Mulliez qui, comme Thierry Picaud, ne fonde aucun espoir dans la réforme financière du secteur de l’insertion par l’activité économique (IAE) lancée, mi-avril, par le gouvernement après un rapport de l’Igas/IGF. Et pour cause : sans nier la situation tendue des entreprises d’insertion (EI) qui représentent 20 % de l’offre d’insertion du secteur, il la relativise dans cette crise où tous les acteurs tirent la langue. « La part des subventions d’exploitation, en volume constant depuis 2006, baisse continuellement dans le chiffre d’affaires et dans la valeur ajoutée », concède-t-il, mais « les EI présentent des résultats comptables meilleurs que les entreprises classiques ».

Les inspecteurs de l’Igas/IGF veulent d’abord « améliorer l’existant ». Et il y a matière à retrousser les manches, à en croire leur rapport ravageur, un pavé de 233 pages recto verso et de 1,7 kilo, issu de leur plongée de six mois dans les arcanes du financement des associations et entreprises employant des personnes en situation d’exclusion (120 000 en 2010) pour les réinsérer sur le marché du travail. Ils épinglent le coût important du système – « entre 1 et 1,3 milliard d’euros en 2011 », hors exonérations sociales, financement des collectivités et du Fonds social européen – et son efficacité « limitée » en matière d’insertion professionnelle. Pis, la priorité ne serait pas donnée aux publics les plus en difficulté : un quart des salariés en insertion étaient au chômage depuis moins de six mois lorsqu’ils ont été embauchés dans le secteur, assènent les inspecteurs. N’en jetez plus !

Empilement et complexité des interventions financières, aides à 90 % forfaitaires ne prenant pas en compte les caractéristiques des publics ni l’efficacité des structures : le constat est sévère et connu, comme l’absence de capitaine, le pilotage global étant sur mode automatique. Une pierre jetée dans le jardin de l’État. Ce pilotage « n’est pas fondé sur une stratégie déterminée et la gouvernance ne permet pas une coordination suffisante des financeurs », déplore le rapport. Bref, les voies d’amélioration sont énormes. En utilisant, déjà, le budget voté. De 2005 à 2011, les crédits versés aux EI pour l’aide aux postes d’insertion ont été consommés à 94,26 % en moyenne. Soit une offre d’insertion théoriquement amputée, sur la période, de 3 455 postes en équivalent temps plein…

L’explosion historique du nombre de chômeurs sans activité change la donne. La réforme préconisée l’est à moyens constants, voire avec 38 millions d’euros de plus. « Simplifier permettra de démultiplier l’efficacité », espère Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’Économie sociale et solidaire, dont se revendique l’IAE. Le scénario proposé dessine déjà une révolution en soi : toutes les structures y sont financées par une aide au poste d’insertion généralisée, décomposée en un montant socle et un montant modulé sur trois critères (profil des personnes, efforts d’insertion de la structure, résultats d’insertion). Le principe ? Le montant socle étant inférieur à celui aujourd’hui perçu, les structures devront répondre aux critères pour stabiliser leur financement. Mais « la quasi-totalité […] recevront au moins ce qu’elles perçoivent en moyenne aujourd’hui », estime le rapport. Et le ministre du Travail, Michel Sapin, s’est voulu rassurant. « La réforme reste à écrire », a-t-il martelé devant le secteur, qu’il a associé à son élaboration et chargé de faire des propositions avant l’été. Pour intégrer la réforme au projet de loi de finances 2014.

Les représentants du secteur sont néanmoins sur la défensive. Car les travaux de l’Igas/IGF passent mal. « C’est un rapport à charge. Il nous met dans une position délicate et injuste, qui ne reflète pas la réalité et s’appuie sur une analyse partielle », assène Alexis Goursolas, chargé de mission emploi IAE à la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars). « L’insertion n’est étudiée que sous une vision comptable faisant fi des richesses créées et des coûts évités. Selon plusieurs études, 1 euro investi dans l’IAE rapporte 3 euros à la collectivité », renchérit Luis Semedo, délégué national du réseau Chantier école. Quant au manque d’efficacité de l’IAE mesuré au travers du faible taux de retour à l’emploi durable (11 % dans les EI en 2010) « Les chiffres sont faux, les inspecteurs expliquent eux-mêmes la faiblesse des outils d’évaluation », souligne Olivier Dupuis, secrétaire général du Comité national des entreprises d’insertion (Cnei). Même appréciation concernant le ciblage insuffisant de l’IAE sur les publics les plus en difficulté, notamment les chômeurs de longue durée. « Toutes les personnes en difficulté n’entrent pas dans les statistiques officielles. Nous suivons des populations qui ont décroché », analyse Christophe Chevalier, président de la Coorace, fédération nationale de l’économie sociale et solidaire.

“L’insertion est étudiée sous une vision comptable” (Luis Semedo, du réseau Chantier école)

Mais l’IAE n’est pas en position de force pour négocier cette difficile réforme. Sans compter que les pommes de discorde ne manquent pas entre ses représentants. La question du financement soulève celle, délicate, du contrat de travail, certaines structures tels les Chantiers écoles étant financées par des contrats aidés, remplacés demain par l’aide au poste. La Fnars y voit l’occasion de redéfinir les contrats d’insertion, perspective refusée par le Cnei. La possibilité de faire varier la durée du travail des salariés des chantiers écoles, au-delà des bornes habituelles du contrat aidé (vingt heures-vingt-six heures), devrait être aussi abordée. Sans aller jusqu’au contrat de sept heures, décrié dans l’insertion mais apprécié par certains départements (voir l’encadré ci-dessous).

Dernier motif de friction : l’attribution des 10 millions d’euros votés dans le cadre du projet de loi de finances 2013 mais réservés à la réforme. « Donnez aux EI en difficulté », clame le Cnei ! La Fnars, elle, préférerait que la somme soit versée à toutes les structures fragilisées. La perspective de la réforme a fait éclater le front commun né en 2010 pour alerter sur les difficultés financières de l’IAE. L’unique point de concordance réside dans la volonté de ne pas rater le tournant de la réforme et d’indexer la future aide au poste généralisée sur la hausse du smic.

11 %

C’est le taux de retour à l’emploi durable à la sortie des entreprises d’insertion en 2010. Un chiffre très contesté faute d’outils d’évaluation.

Source : rapport Igas/IGF, 2013.

Le RSA 7 heures, un dispositif mal né

Sept heures de travail par semaine pour 136 euros de revenu supplémentaire par mois… Lancé fin 2011, le contrat unique d’insertion (CUI) de sept heures, communément appelé RSA 7 heures, est en phase d’extinction. En mars, l’exécutif a annoncé la suppression des aides en faveur de ce dispositif, qui n’a jamais décollé. Sur les 10 000 contrats prévus pour 2012, seuls 634, le plus souvent de six mois, ont vu le jour dans les 16 départements qui l’expérimentaient. « Avec la crise, nous avons eu du mal à trouver des offres. Les employeurs doivent à la fois assurer un tutorat et prendre à leur charge 52 euros », explique Fabrice Heitzmann, chef du service insertion et emploi de Côte-d’Or.

Le monde associatif n’a globalement pas mordu à l’hameçon, et les communes guère plus. Beaucoup de conseils généraux (Marne, Rhône, Côte-d’Or, Manche, Savoie) se sont ainsi retrouvés en première ligne pour embaucher eux-mêmes les candidats à l’activité réduite. Inspiré du rapport Daubresse remis à Nicolas Sarkozy en 2011, le CUI 7 heures a aussi fait les frais de luttes partisanes. « L’expérimentation a été polluée par un débat politique, auquel la droite a participé, sur la nécessité ou non d’exiger une contrepartie de travail au versement du RSA », regrette le sénateur UMP Philippe Bas, vice-président du conseil général de la Manche. Un débat lancé dès mai 2011 par l’ex-secrétaire d’État à l’Emploi Laurent Wauquiez, pourfendeur du « cancer de l’assistanat ». Résultat, les élus locaux de gauche ont d’emblée refusé de donner sa chance au CUI 7 heures. Et le pilotage national du dispositif a disparu dès le retour des socialistes au pouvoir.

Au grand dam des acteurs de terrain, qui, eux, trouvent des vertus à cet outil. « Beaucoup de gens en grande difficulté ne sont pas aptes immédiatement à occuper un emploi aidé de vingt heures. Ils ont besoin d’un marchepied, d’un tremplin avant une solution plus durable », souligne Philippe Tormento, DGA action sociale et solidarité du conseil général de Haute-Savoie. « On a besoin de contrats de quelques heures pour tester la capacité et la motivation des personnes éloignées de l’emploi. Avec l’idée de les faire très vite évoluer », abonde Catherine Le Lirzin, déléguée à la cohésion sociale de Savoie. Certains territoires envisagent d’ailleurs de poursuivre le test à petites doses. En se passant des aides de l’État. Stéphane Béchaux

Auteur

  • Anne Fairise