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Politique sociale

Le décollage poussif des emplois d’avenir

Politique sociale | publié le : 05.06.2013 | Emmanuelle Souffi

Sur 100 000 contrats attendus à la fin de l’année, 20 % ont été signés. Obligation de formation, rigidité et complexité du système freinent des employeurs déjà rendus frileux par la crise.

À chaque déplacement, c’est toujours la même mise en scène. Un ministre à son pupitre qui en vante les mérites. Des employeurs pas peu fiers de remettre en selle des jeunes non qualifiés. Et des moins de 25 ans abonnés aux emplois Kleenex intimidés mais soulagés de se voir offrir un peu de stabilité. Dès leur adoption en octobre dernier, les emplois d’avenir s’incrustent dans les agendas ministériels. En novembre, François Hollande donnait lui-même le coup d’envoi de l’opération promotion à Chelles, en Seine-et-Marne. Depuis, Benoît Hamon à l’Économie sociale et solidaire, Marisol Touraine à la Santé, Michèle Delaunay aux Personnes âgées, et bien sûr Michel Sapin au Travail parcourent la France pour les vendre.

Il faut dire que le gouvernement joue gros. Le président de la République avait promis de faire en sorte que la jeunesse vive mieux à l’issue de son quinquennat plutôt qu’au sortir de l’ère sarkozyste. Avec les contrats de génération, ces nouveaux emplois aidés dédiés aux 16-25 ans peu ou pas diplômés, et rémunérés au smic, sont la principale arme de la majorité pour enrayer la spirale du chômage (+ 10,9 % en un an chez les moins de 25 ans, + 1,3 % en mars). L’ambition est d’en signer 100 000 cette année, essentiellement dans le secteur public, 50 000 en 2014, pour un total de 5,3 milliards d’euros.

Las ! Malgré la mobilisation des préfectures, Direccte, élus, acteurs de l’emploi, ça ne décolle pas. À peine 20 000 ont été validés en mai, soit 20 % de l’objectif ! Paris tousse. Alors, en régions, on mouille la chemise. Chaque semaine, à grand renfort de tableaux Excel – « de véritables usines à gaz ! » selon un responsable de mission locale –, les chiffres sont disséqués. En queue de peloton, c’est le rappel à l’ordre. « On nous avait promis de ne pas manager à l’objectif. Mais c’est la politique du chiffre, chacun veut être bien noté ! » déplore une responsable de mission locale. Les ministres concernés réfutent tout chantage. « Il n’y a pas de marchandage aux emplois d’avenir, mais un message très fort de l’État », défend Benoît Hamon. Et généralement, il est plutôt limpide.

Rappel à l’ordre. Fin mars, le préfet de l’Hérault s’est ainsi fendu d’une lettre au ton assez comminatoire pour rappeler aux élus leur rôle dans la bataille en faveur de l’emploi des jeunes. Sur 1 735 contrats attendus fin 2013, 170 ont été recensés alors que le taux de chômage flirte avec les 15 %, voire 40 % dans certains quartiers sensibles du département. « Ça n’est pas une punition que de recruter des emplois d’avenir ! C’est une question de solidarité », tempête Pierre de Bousquet. Dans sa missive, le préfet souligne que, faute d’être dépensés, les 100 millions d’euros alloués au Languedoc-Roussillon risquent de partir ailleurs par redéploiement. Regrettable. Consigne générale est également donnée aux services pour regarder le nombre de contrats signés au moment des affectations de budget aux associations et aux collectivités territoriales. En gros, moins d’euros si la participation à l’effort collectif ne suit pas… Les menaces portent leurs fruits. En un mois, une centaine a été signée. La mairie de Montpellier, qui n’en avait prévu que 15, a porté l’effort à 50. À Rouen, bastion de Valérie Fourneyron et de Laurent Fabius, seule une dizaine a été budgétisée.

En cause, ici comme ailleurs ? D’abord, le manque de financement. Entre la crise économique et la réduction des dotations de l’État aux collectivités, le dispositif tombe au plus mal. Recruter un jeune pour trois ans alors que l’on ne sait pas de quoi les lendemains seront faits en angoisse plus d’un. Pis, il y a les séquelles des emplois Aubry de 1997. « Certains employeurs ont dû les pérenniser et ils ne veulent pas se faire avoir à nouveau », souligne un responsable RH. L’État finance pourtant 75 % du smic dans le secteur non marchand, et 35 % dans le privé. Pas toujours suffisant pour des recruteurs de plus en plus gourmands en matière de contrats aidés.

Avec un mois de tutorat, Olivier Courtois, directeur général de l’Amsav (qui propose de l’aide et du soin à domicile), a fait ses calculs. « Si j’embauche 50 jeunes, c’est cinquante mois de perdus, et je n’ai aucune marge pour en tenir compte dans ma facturation », pointe-t-il. Dans le privé, le coup de pouce fait doucement rigoler : « 35 % pour se coltiner des jeunes pas au niveau alors qu’il y a plein de qualifiés au chômage, ça n’intéresse personne ! » ironise un responsable RH.

Indispensable pour assurer leur employabilité, l’obligation de formation passe mal. Qui va payer ? Monter les programmes ? Les questions fusent et les réponses tardent à venir. « Les discours changent tout le temps, déplore Nadine Patrelle, directrice générale de la maison de l’économie solidaire dans l’Oise. On nous avait dit que le conseil régional financerait 15 %. Et finalement ce sera 10 %! » Uniformation, l’Opca de l’économie sociale et solidaire, a débloqué 30 millions d’euros pour accompagner ses adhérents. Premier hic : comme il ne sait pas qui signe ces contrats, il ne peut pas être proactif. « Inscrire ces jeunes dans des parcours certifiants tout de suite est une erreur. Il faut prévoir un sas de savoirs de base », suggère Thierry Dez, le directeur général. Le Fonds de sécurisation des parcours professionnels n’ayant budgétisé que 30 millions sur les 78 demandés par les Opca, Uniformation va solliciter un soutien du Fonds social européen.

Second hic, la complexité du système avec ses multiples intermédiaires. Sur le papier, tout paraît simple. Les missions locales s’occupent du sourcing des candidats, Pôle emploi des annonces, les Opca et les régions du financement. En vérité, tout est compliqué. En témoigne le document d’engagement qui compte… 19 pages ! Avec des bilans à trois mois, six mois, un an…« Ça dissuade les employeurs, observe Véronique Ramirez, directrice de la mission locale jeunes des Pyrénées-Orientales. On aurait dû simplifier administrativement. » En Ile-de-France, la région rajoute 20 % à l’aide publique en cas de CDI et cofinance les formations. En Haute-Normandie, c’est 150 euros par mois et par poste en plus pour les associations, 100 euros dans le secteur privé. L’Alsace, elle, a préféré tout miser sur la formation en créant son catalogue dans lequel l’employeur puise s’il veut être remboursé. « On a alourdi le dispositif, déplore Sylvie Mathieu, directrice de l’Uriopss Alsace qui réunit des organismes sanitaires et sociaux non lucratifs. Il faut entrer dans des cases élaborées sans lien avec les besoins des entreprises. »

Des élus de la majorité poussent pour une plus grande ouverture au privé et aux plus qualifiés

La tuyauterie connaît aussi des ratés. La faute, parfois, à un manque de bonne volonté. Un élu de la Gironde raconte s’être fait balader par sa mission locale qui l’a renvoyé vers Pôle emploi. Au lieu de récupérer des profils de sa commune, il a reçu des CV provenant de 50 kilomètres à la ronde. Résultat : six mois de perdus et la moitié des embauches réalisées. « Il faudrait une meilleure coordination et circulation de l’information entre les acteurs », reconnaît Emmanuel Maurel, vice-président du conseil régional d’Ile-de-France.

Pointées du doigt également, les rigidités du texte. Les emplois d’avenir ciblent en priorité les jeunes de niveau V et les 500 000 décrocheurs. Exit donc les cortèges de bacheliers qui n’ont pas d’autres diplômes. À moins d’habiter en zone urbaine sensible ou de revitalisation régionale et d’être inscrit au chômage depuis douze mois. Rarissime, car la plupart n’ont jamais mis un pied à Pôle emploi, persuadés que cela ne sert à rien. Avec son taux de chômage inférieur à la moyenne nationale, la Lozère a du mal à répondre aux offres d’emplois d’avenir ; 32 ont été signés à la mi-avril pour 145 attendus à la fin de l’année. « Sur le territoire, nos jeunes sont plutôt mieux qualifiés qu’ailleurs. Mais peu mobiles et pas forcément demandeurs d’emploi », relève François Magdinier, directeur de la mission locale, qui n’hésite pas à les relancer par SMS en cas de postes non pourvus. Pour rentrer dans les clous, certains sont donc invités à patienter à Pôle emploi, le temps d’avoir leurs douze mois d’inscription. Sauf si l’administration se montre tolérante.

Ce qu’elle fait d’ailleurs de plus en plus pour remplir ses objectifs. À l’instar de la Haute-Normandie, où seuls 400 engagements ont été pris en avril sur 2 643 prévus, la liste des secteurs marchands éligibles au dispositif est parfois élargie, des contrats d’un an renouvelable rendus possibles. Un jeune peut être embauché à temps partiel, comme c’est le cas dans l’aide à domicile, et tourner avec plusieurs employeurs… Bref, « on n’exclut pas que progressivement l’exceptionnel devienne la règle », reconnaît le socialiste Emmanuel Maurel. Dans les rangs de la majorité, des élus poussent pour une plus grande ouverture au privé et aux plus qualifiés. Exactement ce que voulait éviter Michel Sapin. Mais à trop vouloir encadrer le dispositif par crainte des effets d’aubaine, la Rue de Grenelle a pris le risque de l’étouffer. Et de devoir faire machine arrière pour éviter l’échec.

5,3 milliards d’euros

C’est le financement que l’État a prévu de consacrer à 150 000 emplois d’avenir pour les années 2013-2014.

La guerre des contrats aidés

Un vrai mille–feuille ! Les 100 000 emplois d’avenir s’ajoutent aux 390 000 contrats aidés prévus cette année pour lutter contre le chômage des plus exclus. Sauf que, sur le terrain, plus personne ne s’y retrouve et que les premiers risquent de cannibaliser les seconds. « Comment justifier d’un côté des contrats de trois ans et de l’autre d’une année s’interroge Xavier Bertrand, député (UMP) de l’Aisne. C’est deux poids deux mesures. » Chacun y va donc de son petit calcul pour voir quel est le dispositif le moins coûteux.

Malgré les pressions du ministère, le Comité national des entreprises d’insertion (600 adhérents) a ainsi refusé de souscrire aux emplois d’avenir. « L’aide est de 47 % du smic. C’est moins que sur les autres contrats d’insertion, pointe Olivier Dupuis, le secrétaire général. Dépensons déjà l’enveloppe dédiée à l’insertion par l’activité économique ! » Sa fédération avait prévu de recruter 1 000 jeunes cette année. Elle ne le fera pas alors que les besoins sont là. La rigueur budgétaire et la crise rendent les employeurs de plus en plus gourmands. Sursollicitées, les collectivités saturent. « À un moment donné, les capacités du secteur non marchand vont exploser. Il ne pourra pas pérenniser tous ces emplois », prévient un responsable RH d’une entreprise publique. De là à y voir un cautère sur une jambe de bois…

Auteur

  • Emmanuelle Souffi