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Enquête

Jean-Denis Combrexelle, Monsieur Représentativité

Enquête | publié le : 05.06.2013 | Anne-Cécile Geoffroy

Jean-Denis Combrexelle clôt la première étape de la réforme de la représentativité syndicale. À la tête de la Direction générale du travail, il incarne la politique du travail. Seule ombre à son bilan : un lien distendu avec l’Inspection du travail.

Il va bientôt pouvoir souffler. Avec la publication des premiers arrêtés ministériels sur la représentativité syndicale courant juin, Jean-Denis Combrexelle, le patron de la Direction générale du travail, goûtera au plaisir d’un grand projet mené à son terme. Depuis son bureau lumineux avec vue plongeante sur la Seine, cet inconnu du grand public mais figure incontournable dans la sphère sociale aura piloté la réforme la plus délicate de cette décennie en matière de dialogue social. « C’est un des dossiers les plus enthousiasmants que j’aie eu à traiter, reconnaît l’intéressé. Avec mes équipes, nous partions d’une feuille blanche. »

Pour gérer les milliers de données issues des élections professionnelles depuis la loi du 20 août 2008, le DGT a bâti un dispositif quasi industriel avec la création de deux centres de traitement, en région parisienne et en Normandie. Il s’est aussi entouré d’une équipe de confiance d’une dizaine de personnes. Et, afin de ne pas être pris en défaut par des organisations syndicales sur les dents, il s’est donné comme principe « la transparence totale pour éviter le syndrome de la boîte noire tout en sécurisant le processus ». De fait, rien n’a fuité jusqu’à la publication des résultats en mars. « Peu auraient su garder ce secret, estime Philippe Louis, le patron de la CFTC. Jean-Denis Combrexelle a cette capacité de tenir à distance la pression du politique. »

Record de longévité. La pression, ce Lorrain d’origine, indéfectible joggeur matinal, la vit depuis plus de douze ans. Un record de longévité à ce poste à hauts risques. Avant lui, Jean Marimbert avait tenu la fonction six ans, Olivier Dutheillet de Lamothe, huit ans, ou Martine Aubry, trois petites années. Conscient d’occuper un siège éjectable, Jean-Denis Combrexelle avoue n’avoir jamais investi dans la déco de son bureau. Ni photo ni bibelot personnels n’égayent le lieu. Seule touche de couleur, un minuscule chariot élévateur jaune, un cadeau de Dominique de Calan, l’ancien Monsieur Formation de l’UIMM.

Nommé par Élisabeth Guigou en 2001, il a traversé les alternances politiques, travaillé pour neuf ministres du Travail et de l’Emploi et réchappé aux remaniements ministériels. Rien que durant l’ère Sarkozy, il a servi Xavier Bertrand, Brice Hortefeux, Xavier Darcos et Éric Woerth. « Il survit aux gouvernements car cet homme est lisse et sans conviction », persifle un de ses rares détracteurs. « Faux, dément Jean Grosset, secrétaire général adjoint de l’Unsa. C’est un vrai social-démocrate. Un type parfaitement convaincu de l’utilité de la négociation sociale. » Pour Hervé Lanouzière, ancien conseiller technique de la DGT avec qui il a vécu le traumatisme des suicides chez France Télécom et Renault, aujourd’hui directeur général de l’Anact, « c’est un intuitif ; il possède la capacité à sentir ce qui est politiquement jouable ». Gérard Larcher a d’emblée apprécié la franchise de Jean-Denis Combrexelle. « Nous avons noué une relation de confiance, sans confusion des genres, se souvient l’ancien ministre délégué aux Relations du travail, puis à l’Emploi et au Travail. Et c’est l’un des rares hauts fonctionnaires à être capable de dire là, Monsieur le ministre, vous nous construisez une usine à gaz ! »

Politique du travail. Depuis douze ans, le DGT suit un fil rouge : la place de la négociation collective. « À son arrivée, l’ancienne Direction des relations du travail avait une image poussiéreuse, rappelle Mireille Le Corre, l’une de ses protégées, aujourd’hui conseillère à Matignon. À l’époque, la DGEFP, avec à sa tête Catherine Barbaroux (bloc-notiste de Liaisons sociales magazine – NDLR), paraissait bien plus moderne et portait une politique de l’emploi. » Parmi les réformes qu’il a pilotées – recodification du Code du travail, rupture conventionnelle, plan santé au travail… –, la transformation de la Direction des relations du travail en Direction générale du travail aura sans doute été l’une des plus structurantes pour le ministère. Face à la politique de l’emploi, il a su imposer une politique du travail avec des objectifs comme la lutte contre les risques psychosociaux ou encore l’amiante. « Ma vision politique du travail est née de ce que j’entendais à la maison, raconte Jean-Denis Combrexelle. Ma mère était infirmière du travail. Elle parlait des accidents, des maladies professionnelles des salariés de l’entreprise de motoculteurs dans laquelle elle travaillait. » Une histoire qui a aussi nourri une de ses autres obsessions, l’effectivité de la norme. « En 2001, c’était une vraie rupture, souligne Laurent Vilbœuf, le patron de la Direccte Ile-de-France. Jusque-là, la DRT était plutôt concentrée sur la seule conception de la norme. » Une attention portée à l’application des règles de droit qui lui rend d’autant plus insupportables les raisonnements abstraits de certains juristes en droit du travail et la judiciarisation des relations du travail. Consulté par l’avocat général dans l’affaire Viveo, le DGT s’est déclaré hostile à ce que le motif économique soit contrôlé par le juge judiciaire au stade du plan social. Et, dans le processus de sécurisation de l’emploi, il a fortement pesé pour que le contentieux bascule dans l’escarcelle du juge administratif, réputé plus favorable aux employeurs.

Les piètres relations avec certains syndicats d’inspecteurs du travail resteront l’un des points faibles de son action. Au Snutef-FSU, Lydia Saouli, secrétaire nationale, pointe le lien distendu avec les équipes de terrain. « Il n’existe aucune proximité avec le DGT et les agents ont plutôt le sentiment qu’il casse plus souvent qu’à son tour leurs refus de licenciement de salariés protégés pour plaire aux entreprises. » Le malaise s’explique aussi par les évolutions qu’ont connues ces dernières années le ministère et ses services déconcentrés : plan de modernisation de l’Inspection du travail, fusion des inspections, création des Direccte. Les suicides de deux inspecteurs du travail – dont l’un dans les locaux de la DGT – ont fini par cristalliser cette incompréhension. Un épisode amer pour le DGT.

Quai de Javel, Jean-Denis Combrexelle jouit néanmoins d’une réputation sans faille. Haut fonctionnaire au ministère des Finances, Pierre-Emmanuel Thiard a choisi son stage de fin d’année de l’ENA à la DGT pour travailler avec Jean-Denis Combrexelle. « Il est l’archétype du grand serviteur de l’État. Il valorise toujours le travail de ses équipes. C’est un homme bienveillant. Et c’est rare à ces niveaux de responsabilité. » Pur produit de la méritocratie, il a su asseoir sa légitimité. « Il a l’historique, explique Jean-Emmanuel Ray, professeur à Paris I. Dans les tribunaux administratifs où il a commencé sa carrière, il s’est coltiné les problèmes de base. Conseiller référendaire à la Cour de justice du Luxembourg, il possède une connaissance intime du droit communautaire. Et comme conseiller d’État il a mangé du droit électoral à haute dose. »

À l’arrivée de Michel Sapin au ministère du Travail, les organisations syndicales sont montées au créneau pour qu’il soit maintenu à son poste. « C’est un homme droit », estime Laurent Berger, patron de la CFDT. « Lors de la réforme de la représentativité, j’ai toujours eu le sentiment qu’il accordait autant d’importance aux positions de la CFTC qu’à celles de la CGT », ajoute Philippe Louis. Une vigilance à renouveler alors que s’ouvre la réforme de la représentativité patronale. Un dernier dossier avant de tirer sa révérence ? Là encore, « JDC » préfère sourire. Jamais pris en délit de fuites.

PARCOURS

1982 : conseiller au tribunal administratif de Lyon (Rhône).

1989 : référendaire à la Cour de justice des Communautés européennes.

1994 : maître des requêtes au Conseil d’État.

2001 : directeur des relations du travail au ministère de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement.

2006 : directeur général du travail, ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy