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Enquête

Ce que cache le statu quo

Enquête | publié le : 05.06.2013 | Stéphane Béchaux

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Un scrutin impartial mais partial

Crédit photo Stéphane Béchaux

Les syndicats tirent à présent leur légitimité du vote des salariés, à tous les niveaux. Une évolution qui change les équilibres et a des retombées sur les branches et les relations interprofessionnelles.

Tout ça pour ça ! Le 29 mars, le « club des cinq » a renouvelé son bail pour quatre ans. Sans perdre aucun de ses membres historiques ni accueillir aucun nouveau venu. Surprenant ? Pas tant que ça. En rabaissant à 8 % – au lieu des 10 % initiaux – la barre de la représentativité syndicale à l’échelon interprofessionnel, les partenaires sociaux puis le législateur avaient pris soin, en 2008, de laisser une chance à la CFTC. Mais cette stabilité n’est qu’apparente. Elle cache, en prati que, de vraies évolutions, à court ou moyen terme. Décryptage.

Un camp du non affaibli

Une résurrection avant l’heure. En obtenant, au matin du Vendredi saint, 9,3 % des voix lors du scrutin de représentativité, la CFTC a déjoué les pronostics. En particulier ceux de la CGT qui, créditant la centrale chrétienne de 6,9 %, se réjouissait de sa chute, synonyme de délégitimation de l’accord sur l’emploi du 11 janvier, devenu minoritaire. Raté. Pour quatre ans au moins, l’organisation garde voix au chapitre, et crédite le camp réformiste d’un poids de 51 %. Un sursis ? Non, veut croire son président, Philippe Louis. « On regarde comment se développer et quelles entreprises cibler. Si besoin, on reverra nos champs fédéraux. Le nerf de la guerre, c’est de déposer des listes », explique-t-il.

Principale victime des urnes, Force ouvrière. Ses dirigeants, qui se rêvaient en position charnière pour faire et défaire les accords, se retrouvent sur la touche. « Ce résultat les met très mal. Ils ne peuvent faire ni la pluie ni le beau temps dans les négos. Leur signature devient en quelque sorte inutile », juge un vieux routier du dialogue social. Grande gagnante, la CFDT. Talonnant la CGT, la centrale de Laurent Berger voit son positionnement réformiste conforté. Un soulagement, à quelques mois d’une renégociation explosive du régime d’assurance chômage qui pourrait creuser un peu plus le fossé entre blocs.

En privé, certains doutent de la véracité de ces chiffres, tellement conformes aux souhaits du gouvernement qu’ils en paraissent suspects. Mais nulle polémique n’a suivi leur publication par la Direction générale du travail (DGT). « Il y a peut-être des erreurs de virgule qui peuvent avoir des conséquences dans telle ou telle branche. Mais les résultats sont statistiquement fiables », admet le cégétiste Philippe Detrez. « L’équipe de la DGT a fait un travail considérable. On ne croit pas à une manipulation mais on s’interroge sur la fiabilité et l’exhaustivité des résultats », tempère Marie-Alice Medeuf-Andrieu (FO). Avenue du Maine, on comptabilise ainsi 1 700 procès-verbaux d’élections professionnelles, correspondant à 130 000 suffrages valablement exprimés, non pris en compte dans le décompte final. De possibles oublis que le ministère du Travail a promis d’étudier avant publication des arrêtés ministériels déterminant les syndicats représentatifs au niveau national et dans chacune des 700 branches.

Un découpage des branches à revoir
Censée combattre l’émiettement syndical, la loi du 20 août 2008 aboutit pour l’instant à son renforcement. L’Unsa a ainsi dépassé les 8 % dans 97 branches, SUD dans 54

À la DGT, on se félicite du bon déroulement du processus électoral, touchant des dizaines de milliers d’entreprises et étalé sur quatre ans. « On craignait de grosses difficultés à faire remonter les P-V d’élections. Or, au final, on a réussi à couvrir 88 % des salariés », annonce Annelore Coury, sous-directrice des relations individuelles et collectives du travail. Un taux en apparence flatteur, à mettre à l’actif de la DGT qui a dû relancer nombre d’employeurs récalcitrants, dont Renault Douai, la RATP, Elior ou la RTM. Néanmoins, le pourcentage cache une mesure très partielle de l’audience syndicale. Sur 17,6 millions de salariés potentiellement concernés, seuls 5,5 millions, essentiellement dans les moyennes et grandes entreprises, ont vu leur vote comptabilisé. Les deux autres tiers ? Ils se répartissent entre abstentions, carences au premier tour, scrutins non tenus, P-V mal remplis ou jamais renvoyés au ministère du Travail. Résultat, la CGT, premier syndicat de France, pèse certes désormais 30,6 % des voix lors des négos interprofessionnelles. Mais elle ne peut se prévaloir du soutien effectif que de 7,7 % du salariat du secteur privé. Quant à la CFTC, ses 470 000 bulletins ne représentent que 2,7 % du corps électoral potentiel.

À l’échelon des branches, la participation est extrêmement variable. Treize enregistrent ainsi plus de 100 000 votants –  dont le commerce alimentaire, les ingénieurs et cadres de la métallurgie et les transports routiers, qui constituent le trio de tête – et une centaine dépasse les 10 000 suffrages. D’autres, en revanche, font la preuve de leur totale marginalité. Elles sont ainsi 109 à comptabiliser moins de 11 voix. Dont 38, pour l’essentiel départementales, à ne pas avoir enregistré le moindre suffrage… Des résultats qui plaident pour un grand ménage au sein des conventions collectives, qui souffrent d’un émiettement excessif.

Des contentieux à l’horizon

Le sésame interprofessionnel finalement décroché par la CFTC réduit les risques de procès à grande échelle. Mais sans les annuler. Viscéralement opposée à la loi du 20 août 2008, Force ouvrière ne s’interdit pas de saisir les tribunaux administratifs dans certains champs conventionnels. « Si une fédération attaque tel ou tel arrêté ministériel, on sera en appui », confirme la responsable confédérale du dossier, Marie-Alice Medeuf-Andrieu. De très nombreux cas peuvent justifier le recours au juge. En particulier quand l’addition des scores obtenus par les syndicats réformistes d’une branche avoisine les 30 %. Ou lorsque les suffrages cumulés des organisations contestataires frôlent les 50 %. « À quelques voix près, la négociation collective peut se retrouver très fertile ou complètement bloquée », observe un négociateur patronal.

La tentation s’annonce d’autant plus grande que la complexité du scrutin rend son exactitude impossible. En témoignent les résultats initiaux publiés fin mars pour Pôle emploi, l’une des rares branches monoentreprise. La mesure de l’audience portait ainsi sur 63 636 salariés inscrits alors que l’établissement en compte à peine 50 000 ! Un bug aux causes multiples, le ministère ayant non seulement inclus, à tort, les effectifs de l’Unedic et de l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, mais aussi cumulé des suffrages issus de deux cycles électoraux, en 2009 et 2012, dans 12 régions. Curiosité supplémentaire, une dizaine de voix émanant du scrutin TPE se sont aussi glissées dans le décompte. Des anomalies isolées, selon la DGT. Mais qui laissent néanmoins planer de sérieux doutes sur la fiabilité des chiffres dans chacune des branches.

De gros impacts sur les négos de branche

Des erreurs aux effets potentiellement énormes. Dans la branche des salariés du particulier employeur, l’Unsa, forte de 8 430 suffrages, rate sa représentativité pour deux misérables voix ! Une situation d’autant plus rageante que la CFTC, créditée de seulement 5,88 % des voix, figure, elle, dans le club des organisations invitées à la table de négociations. Au nom d’un privilège accordé par la loi du 20 août 2008 à tous les syndicats affiliés à une confédération reconnue au niveau interprofessionnel. Soit les cinq historiques. Pour eux, la présomption de représentativité court encore pendant quatre ans, jusqu’à la mi-2017. La disposition profite à plein à la CFTC, qui n’a pas atteint le seuil fatidique dans plus de 300 branches. Parmi lesquelles de très grosses, comme la métallurgie, les établissements pour personnes handicapées, les organismes de Sécurité sociale, les industries électriques et gazières ou la chimie.

Cette période transitoire n’est pas pour autant synonyme de statu quo. Car le jeu de la négociation va s’en trouver modifié. Fini, les accords ultraminoritaires, signés par un syndicat unique. À l’image du dernier avenant salarial dans le transport routier, paraphé par la seule CFTC en décembre 2012. Ou du récent accord portant sur les congés pour événements familiaux dans les travaux publics, agréé en solo par FO en novembre. Terminé, aussi, les négociations conclues malgré l’opposition des syndicats majoritaires en voix. À l’instar du texte signé en mars dans les hôtels, cafés et restaurants qui, organisant la reprise des salariés en cas de changement d’employeur, n’a reçu l’aval ni de la CGT ni de la CFDT.

Dans les fédérations patronales, on a donc sorti les calculettes pour mesurer le poids relatif des uns et des autres. Et anticiper le changement imminent des règles, qui sera effectif une fois publiés les 700 arrêtés ministériels de représentativité des branches. Pour certaines, les négos s’annoncent sportives. Dans la production et la transformation des papiers cartons ou dans les imprimeries de labeur, par exemple, la CGT pèse à elle seule plus de 50 % des voix…

Des querelles de sous et de pouvoir

Censée combattre l’émiettement syndical, la loi du 20 août 2008 aboutit pour l’instant à son renforcement. L’Unsa a ainsi dépassé les 8 % dans 97 branches, dont les assurances, l’industrie pharmaceutique, le personnel au sol du transport aérien et le transport public urbain de voyageurs. Les syndicats SUD obtiennent, eux, leur représentativité dans 54 secteurs d’activité, parmi lesquels les établissements pour personnes inadaptées, le Crédit agricole et l’industrie du caoutchouc. Cette nouvelle légitimité leur offre non seulement le droit de participer aux négos, mais aussi celui de bénéficier de moyens supplémentaires dans certains secteurs. « Là où on ne dépasse pas les 8 %, on se la boucle. Mais partout ailleurs on va réclamer l’égalité de traitement », prévient Jean Grosset, numéro deux de l’Unsa.

Avec 11 % des voix, cette dernière devient, par exemple, éligible aux fonds de l’Association pour le dialogue social dans l’assurance, alimentée par les employeurs à raison de 5 euros par salarié. Un gâteau d’environ 730 000 euros, à partager en six au lieu de cinq, en fonction du score de chacun dans les assurances. Des histoires de gros sous qui pourraient se multiplier dans toutes les branches et pas ? seulement dans celles qui accueillent de nouveaux venus. Dans le secteur du particulier employeur, par exemple, les cinq syndicats historiques n’auront pas à partager la très riche dotation – environ 2 millions d’euros – de leur association paritaire avec l’Unsa, privée de financement pour deux petites voix manquantes. Mais rien ne garantit que la CGT consente éternellement à recevoir la même part que la CFTC, alors qu’elle a obtenu un score sept fois supérieur !

Autre enjeu, les fonds de la formation professionnelle. Les 2 071 suffrages obtenus par l’Unsa auprès des intérimaires – soit 8,5 % des votants mais 0,5 % des inscrits ! – doivent lui ouvrir les portes du conseil d’administration du FAFTT. Et, par ricochet, le droit à bénéficier de financements paritaires à hauteur de 100 000 euros. Un travail de toilettage des instances paritaires auquel devront se plier nombre d’Opca, au premier rang desquels Agefos PME, qui gère les fonds de 50 branches professionnelles. Dont la coiffure – où l’Unsa décroche sa représentativité pour 0,4 voix ! –, mais aussi l’industrie du caoutchouc ou les prestataires de services aux entreprises, qui doivent désormais compter avec SUD Solidaires.

Auteur

  • Stéphane Béchaux