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La clause qui fait du bruit

Dossier | publié le : 05.06.2013 | Sabine Germain, Éric Béal

La loi de sécurisation de l’emploi permet aux branches professionnelles de désigner les assureurs de leur choix pour gérer leur couverture santé. Une clause de désignation à l’origine de bien des remous mais à l’impact, dans les faits, limité.

Un petit tour, et puis s’en va, et puis revient… Absente de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, la clause de désignation est apparue dans l’avant-projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi transmis au Conseil d’État le 11 février. Adoptée par l’Assemblée nationale le 9 avril, puis retoquée le 19 avril par un amendement UMP au Sénat, elle a été réintroduite en commission mixte paritaire, votée par l’Assemblée nationale le 25 avril, et définitivement adoptée le 14 mai. Un véritable parcours du combattant pour trouver sa place dans l’article 1 de la loi sur la sécurisation de l’emploi, qui prévoit la mise en place pour tous les salariés d’une couverture santé collective à adhésion obligatoire, financée au minimum pour moitié par les employeurs.

Ce marathon n’a rien d’étonnant si l’on se réfère aux débats passionnés qu’une telle disposition déclenche et au lobbying intensif qu’elle a suscité dans les coulisses du Parlement. Explication : les branches professionnelles qui ne sont pas encore couvertes par un accord « santé » doivent ouvrir des négociations avant le 1er juin 2013. Les partenaires sociaux ont la possibilité, dans le cadre d’un accord de branche, de désigner un ou des organismes assureurs pour gérer le régime de santé qu’ils mettent en place : dans ce cas, les entreprises de la branche doivent souscrire leur contrat collectif auprès des assureurs désignés dans les conditions tarifaires définies par l’accord.

Mutualisation ou libre concurrence. Le débat sur la licéité des clauses de désignation n’est pas nouveau : « On le pensait éteint depuis les deux arrêts de la Cour de cassation rendus le 5 janvier 2012 à propos de la branche boulangerie artisanale, validant sans réserve les clauses de désignation », observe Gilles Briens, avocat associé au sein du cabinet Fromont Briens. Erreur : il est plus vif que jamais ! D’un côté, les institutions de prévoyance, les mutuelles, les organisations patronales des petites entreprises (UPA et CGPME) et certains syndicats de salariés, CGT en tête, défendent ardemment le principe de la clause de désignation. Au nom de la mutualisation, d’abord : « Les résultats du régime étant mutualisés au niveau de la branche, les petites entreprises bénéficient du même tarif que les grandes », explique Franck Girardeau, directeur marketing de l’institution de prévoyance Klesia. Mais aussi au nom de la solidarité : les régimes doivent, comme le prévoit la loi, financer l’action sociale et la constitution de droits non contributifs.

Une vision que contestent farouchement les assureurs et le Medef – où la Fédération française des sociétés d’assurances ne manque pas de poids – au nom de la libre concurrence. Ce qui les a amenés à saisir l’Autorité de la concurrence. Son avis est pour le moins mitigé : « Si les clauses de désignation ne sont pas contraires, en elles-mêmes, aux règles de la concurrence, leur mise en œuvre doit être encadrée pour maintenir la concurrence sur le marché de l’assurance complémentaire santé. » L’Autorité préconise donc de « garantir l’égalité entre les différentes catégories d’organismes d’assurance collective », de « faire primer la liberté de l’employeur dans le choix de l’organisme d’assurance collective », de mettre « en concurrence des organismes susceptibles d’être recommandés ou désignés » et, quand la clause de désignation est justifiée, de « proposer plusieurs assureurs ». Elle insiste, au passage, sur le fait que cette loi « va conduire au transfert de 35,5 milliards d’euros de cotisations des contrats individuels vers les contrats collectifs ».

Très présent sur le marché des complémentaires santé individuelles, l’assureur Swiss Life est vent debout contre la clause de désignation : « Ne jouons pas avec les mots, explique Pierre François, directeur général de Swiss Life Prévoyance et Santé. Une complémentaire santé ne fonctionne pas selon les principes de la solidarité mais de l’assurance. Sinon, elle doit être financée par les prélèvements obligatoires. » À ses yeux, « désigner un seul organisme assureur revient à lui accorder un monopole. Qu’on ne vienne pas me dire que le monopole fait baisser les prix ! »

Il n’est pas plus convaincu par l’argument de la mutualisation : « Si la démographie d’une branche est défavorable, je ne vois pas en quoi la mutualisation du risque ferait davantage baisser les prix qu’une mutualisation interbranches dans le cadre de la gestion classique d’une compagnie d’assurances. » Sur le strict plan actuariel, le raisonnement est recevable. « Les arguments des deux parties sont valables, tempère Pierre-Alain Boscher, directeur métier chargé de la protection sociale au sein du cabinet d’actuariat-conseil Optimind Winter. Tout dépend de la population assurée, de sa taille, de sa démographie et des choix stratégiques des négociateurs de la branche. Le système assurantiel repose sur le principe de la mutualisation : il est tentant de considérer que plus les effectifs de la population sont importants, plus le coût des sinistres diminue. Mais cela vaut particulièrement pour la prévoyance lourde (invalidité, décès), qui est un risque présentant des sinistres rares, au coût unitaire important et au déroulement long : la mutualisation sur plusieurs milliers de têtes est nécessaire pour limiter la volatilité du dispositif. En revanche, la santé est un risque de fréquence, avec des coûts de sinistres faibles : la mutualisation peut fonctionner à compter de quelques dizaines de têtes. »

Péréquation nationale. La désignation d’un organisme assureur n’aurait donc aucun impact sur les régimes de santé ? Pas si simple : « Les dépenses de santé augmentent avec l’âge et ont tendance à être plus élevées chez les cadres et à Paris, poursuit Pierre-Alain Boscher. L’intérêt de la clause de désignation réside dans la mise en place d’un système de péréquation solidaire nationale permettant de répartir le coût du risque sur l’ensemble de la population assurée, les bons risques équilibrant les moins bons. » A fortiori dans certaines branches constituées de TPE. Dans la boulangerie, la désignation d’un assureur a du sens. En revanche, dans la grande distribution, qui compte de grands groupes et plusieurs dizaines de conventions collectives, désigner un organisme assureur n’a aucun intérêt.

Autre exemple, la branche « transport routier de marchandises » où, après extension de l’accord de janvier 2013, Carcept Prev (Klesia) a été désigné pour couvrir les frais de santé des 450 000 salariés. « Il s’agit d’une branche très hétérogène, avec de grands groupes et de toutes petites entreprises, explique Franck Girardeau. Avec la mutualisation, les entreprises bénéficient d’un tarif unique, quelle que soit leur taille. » On comprend mieux l’engagement de la CGPME et de l’UPA en faveur des clauses de désignation. Mais, au-delà des considérations tarifaires, l’Union professionnelle artisanale veut aussi défendre la liberté contractuelle des branches.

C’est sur ce terrain que se place Philippe Dabat, directeur général délégué d’AG2R La Mondiale : « La clause de désignation est d’abord un débat constitutionnel qui pose la question de la prééminence du droit social sur le droit commercial. La Constitution dit bien que le droit des partenaires sociaux à négocier les rémunérations et les conditions de travail ne supporte aucune entrave. » Autrement dit : ils peuvent désigner un organisme assureur s’ils le souhaitent : « Si les partenaires sociaux veulent piloter leur régime, fixer le montant des cotisations et organiser l’action sociale, c’est la meilleure solution. Mais ils peuvent aussi décider de ne pas s’en occuper », poursuit-il. Car la clause de désignation n’a rien d’obligatoire : « Il ne s’agit en aucun cas de l’imposer », a martelé Jean-Marc Germain, rapporteur du projet de loi devant la commission mixte paritaire qui a décidé de réintroduire cette clause après sa suppression au Sénat.

De fait, Philippe Dabat reconnaît que son impact sera limité : « On estime à environ 600 000 le nombre d’entreprises ne proposant pas de complémentaire santé. Mais elles ne seront pas toutes couvertes par un accord de branche. » Sur les 700 branches professionnelles recensées par la Direction générale du travail, pas loin de 600 ne seront pas couvertes, malgré la loi. « In fine, à peine 200 000 entreprises seront concernées par des accords de branche qui, pour 80 à 85 % d’entre eux, ne comprendront pas de clause de désignation. » Tout ça pour ça…

700

C’est le nombre de branches professionnelles recensées, dont 320 ont plus de 5 000 salariés.

62

ont déjà négocié un accord santé et 250 un accord prévoyance.

70

entreprises devraient ouvrir les négociations en vue d’un accord santé dans le cadre de la loi de sécurisation de l’emploi.

600

C’est le nombre de branches (dont 220 à 225 branches de plus de 5 000 salariés) qui resteront sans accord si la moitié de ces négociations ont abouti à un accord.

Source : Direction générale du travail.

Auteur

  • Sabine Germain, Éric Béal