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Vie des entreprises

Mon patron est devenu radin

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 04.05.2013 | Adeline Farge

On ne rigole plus. Désormais, tous les moyens sont bons pour réduire les frais généraux. Les coupes claires se font tous azimuts. Au risque de générer de la frustration chez les salariés.

Halte au gaspi ! Depuis la crise de 2008, les entreprises sont en perpétuelle cure de minceur. Même celles qui sont en bonne santé taillent dans leurs coûts pour gagner en rentabilité. « On ne peut pas se désintéresser des frais généraux, qui représentent plus de 13 % de notre chiffre d’affaires. Notre objectif est de les réduire d’un point d’ici à 2015. Nous n’avons pas pour parti pris de les réduire par principe mais de distinguer l’utile et le superflu », souligne Jean-Luc Bérard, DRH de Safran. Café, imprimantes, éclairage…, aucun poste budgétaire, même le plus petit, n’échappe au grignotage. « Les frais généraux sont une partie non négligeable du budget d’une société. Ce sont une multitude de petits coûts éparpillés qui peuvent varier de 3 à 5 % pour les entreprises saines mais grimper jusqu’à 10 % pour les moins rigoureuses », note Romain Daumont, directeur général de Lowendalmasaï, un cabinet spécialisé dans le management des coûts. A fortiori quand la maîtrise des dépenses permet de sauver les emplois, les salariés sont priés de faire des efforts. « L’emploi est prioritaire, reconnaît Pascal Guiheneuf, délégué syndical à Alcatel-Lucent. Vu les résultats de l’entreprise, les gens sont résignés. » Inventaire de ces grandes et de ces petites économies.

L’immobilier

Pour aller au bureau, les salariés sont contraints à un exil souvent mal vécu.

Être installé dans les « beaux » quartiers coûte cher. Les entreprises l’ont bien compris et fuient en masse Paris pour la banlieue. « L’immobilier représente le deuxième poste de dépenses après la masse salariale. Entre Paris intra-muros et la périphérie, les loyers passent facilement du simple au double. Un déménagement et un rationnement des mètres carrés peuvent générer de 20 à 40 % d’économies sur les coûts d’exploitation », souligne Alexis Motte, président de Mobilitis, cabinet de conseil en immobilier d’entreprise. Grâce à un regroupement de ses 3 200 salariés et une baisse de loyer, le déménagement à Villejuif (Val-de-Marne) a permis à LCL d’économiser 35 millions d’euros par an. Le plus souvent, ce sont les salariés qui trinquent. Passant de Vélizy (Yvelines) à Villarceaux (Val-d’Oise), les collaborateurs d’Alcatel-Lucent ont vu leur temps de trajet s’allonger. La direction a trouvé la parade : le télétravail. Le nomadisme entraînant une occupation des locaux de 45 à 65 % du temps, selon Mobilitis, les entreprises mettent en place des bureaux partagés. Depuis dix ans, Accenture suit cette logique pour ses 5 000 salariés. « Pour une équipe de cinq personnes pratiquant chacune un jour de télétravail par semaine, on économise 20 % de notre surface que l’on réinvestit dans de nouveaux espaces », précise Marc Thiollier, secrétaire général France Benelux.

Éteindre la lumière. Pour réduire les frais, les salariés de Safran sont sensibilisés au développement durable tandis que la SNCF rappelle par mail de « penser à éteindre lumières et ordinateurs » en partant. En déménageant en 2012 sur un site Green Office de Meudon (Hauts-de-Seine), Steria a franchi un cap. Dans ce bâtiment, les lampes s’éteignent quand les bureaux sont vides et les stores se baissent en fonction de la luminosité extérieure. Grâce aux détecteurs de mouvements, l’entreprise spécialisée dans les services numériques a réduit sa facture de 42 %. « Mais en hiver, les gens travaillent avec leur manteau », raille un syndicaliste.

Les déplacements

Les voyages professionnels seront bientôt à ranger au rayon des souvenirs.

Adieu Air France, bonjour EasyJet. Entre le confort et le prix, les entreprises ont tranché. La compagnie low cost a transporté plus de 10 millions de voyageurs d’affaires en 2012. « Pour les liaisons intra-européennes, on privilégie le low cost, indique Jean-Luc Bérard, DRH de Safran. Pour profiter des meilleurs tarifs, les salariés choisissent des billets à restriction et anticipent leur départ, afin d’éviter de payer le prix le plus élevé. » Le groupe accorde la classe Affaires à partir de dix heures de vol et trois jours de déplacement.

Chez Gemalto aussi les voyages sont sous surveillance. Depuis 2008, le leader de la sécurité numérique a instauré quatorze semaines travel ban durant lesquelles les collaborateurs sont priés de reporter leurs déplacements. « Les déplacements sont un réel levier de réduction des coûts. Ils représentent en moyenne 3 500 euros par an et par personne », note François Berthier, chargé de la prospective à l’Association des responsables de services généraux. Pour réduire de 20 % son budget alloué aux déplacements, soit une économie annuelle estimée à 10 millions d’euros, Alcatel-Lucent a durci son règlement : restriction de l’accès aux voitures de fonction, voyages exclusivement opérationnels, délégations limitées.

Vive la visioconférence. Depuis 2010, les managers sont priés d’y réfléchir à deux fois avant d’envoyer un de leurs cadres en mission. « Avant de vous déplacer pour une simple réunion en interne ou d’effectuer une réservation moins de quinze jours avant le départ, demandez-vous si ce voyage est absolument indispensable. Privilégiez autant que possible les conférences téléphoniques ou les visioconférences », indique une note de service de 2011. Même si l’aménagement d’une salle de visioconférence peut coûter 200 000 euros, l’investissement est vite rentabilisé. « Si je ne peux pas les regrouper, je réalise les entretiens d’embauche par visioconférence », relate Marc Thiollier, d’Accenture, qui a installé une trentaine de salles de ce type en France. Si le train et la seconde classe sont la norme en France métropolitaine, des entreprises rivalisent d’ingéniosité pour limiter les dépenses de carburant. À La Poste, les facteurs apprennent à conduire souplement lors de stages d’écoconduite, et chez Décathlon les vendeurs sont priés d’utiliser le covoiturage. Quant aux salariés de Radio France, ils paient désormais 30 euros par mois pour se garer dans le parking de leur entreprise !

Le matériel

Les télécommunications sont épluchées, les fournitures distribuées au compte-gouttes.

Votre abonnement ne vous permet pas de faire aboutir votre appel. » Ne vous acharnez pas sur votre clavier, votre ligne téléphonique est restreinte. Dans de nombreuses entreprises, comme Printemps, les appels vers l’étranger sont bloqués. Téléphoner coûte cher, les collaborateurs sont donc invités à avoir une consommation responsable. « À l’étranger, l’utilisation de la 3G est onéreuse. Il est recommandé de ne pas être branché en permanence. Au bureau, on les encourage à utiliser le téléphone fixe plutôt que les portables », souligne Marc Thiollier (Accenture).

Pour réduire les frais, les appels sont basculés vers Internet. La téléphonie sur IP a déjà séduit la Caisse d’épargne, SAP France ou Gemalto. « Cet outil facilite le suivi des communications, explique Marie-Françoise Thomas, DSC CFDT de Gemalto. Chaque mois, on nous adresse des relevés de consommation : Attention, vous avez dépensé plus que le mois dernier. Ce flicage est désagréable. »

Placards bouclés. Gare aux abus, qui sont facilement détectés. « Si la facture d’un salarié, avec des besoins limités, dépasse 150 euros, le manager peut le recevoir pour lui demander des explications », signale Jean-Luc Bérard (Safran). Les salariés d’Alcatel-Lucent ne risquent pas de faire des folies avec leurs GSM distribués au compte-gouttes : l’utilisation d’Internet sur mobile est prohibée. « Ce n’est pas la panacée pour une entreprise de télécoms. Les directeurs sont centrés sur les coûts et négligent l’image de la marque », estime Pascal Guiheneuf, délégué syndical. Bien que les gains soient marginaux, les commandes de fournitures sont passées au crible. À la Société générale, les agendas et les calendriers ont disparu du catalogue. À IBM, les stylos et les cahiers sont comptés. « Il faut maintenant s’adresser à la ligne hiérarchique. Les tiroirs sont fermés », relève Jean-Marie Marot, délégué syndical CGT.

La restauration

En période de disette, les frais de bouche sont réduits à la portion congrue.

Pour montrer l’exemple aux collaborateurs, les cadres dirigeants sont souvent mis à la diète. En 2011, Bouygues Telecom a fermé son restaurant VIP au siège d’Issy-les-Moulineaux. Privés de ce traitement de faveur, les directeurs généraux descendent déjeuner à la cantine. « Les salariés comprennent la nécessité d’optimiser les coûts quand les résultats de l’entreprise sont dans le rouge. Mais le management doit être exemplaire et les consignes appliquées par la direction générale », souligne François Delatouche, président de l’Arseg et ancien directeur de l’environnement de travail à Bouygues Telecom. Alcatel-Lucent a suivi la même logique en supprimant son restaurant high class, réservé à l’accueil des invités sur le site de Vélizy. « Plus besoin d’avoir un cuistot », pointe Pascal Guiheneuf, délégué syndical.

Adieu café gratuit. Les accros au café râlent contre une autre mesure d’économies. Pointilleuse sur ses dépenses, la direction a supprimé en 2012 la gratuité des boissons chaudes à Vélizy et Villarceaux. Décathlon ne fait pas de cadeau à ses salariés. Les Ticket Restaurant sont rationnés : 80 titres sur l’année d’une valeur faciale de 4 euros. « Dans les magasins où il n’y a pas de restaurant collectif, les salariés apportent leur gamelle », signale Hervé Lefevre, délégué syndical CFDT. À l’instar de La Poste ou de Steria, l’heure est aussi à la mutualisation des restaurants d’entreprise, voire à leur fermeture. Pourquoi engager des frais quand les collaborateurs désertent la cantine ?

Les séminaires et la formation

Stages et colloques sont organisés « à la maison » et encadrés… par les collègues.

Vous rêviez de vous prélasser sur une plage des Baléares entre deux réunions ? Sortez vos mouchoirs, car l’époque des hôtels de luxe est révolue. Plus austères, les assemblées ont lieu désormais dans les locaux mêmes de l’entreprise. « Les séminaires sont organisés en interne plutôt que dans des lieux exotiques ou des stations de ski. On limite nos frais hôteliers », explique Marc Thiollier, d’Accenture. Pour anticiper l’arrivée de Free, Bouygues Telecom a ratiboisé de 10 % ses frais généraux. Résultat : en 2012, les séminaires ont été internalisés. Fini, le temps où ils se tenaient au club Forest Hill ! À Alcatel-Lucent, le tournant a eu lieu en 2010. Les commerciaux de la région Europe-Afrique-Moyen-Orient qui se réunissaient dans des Relais & Châteaux l’ont fait dans les locaux de l’entreprise.

Le paint ball suffira. À l’heure des vaches maigres, le cœur n’est plus à la fête et les festivités passent à la trappe. Chez Steria, en début d’année, le Kick-Off France réunit habituellement 500 managers dans des endroits prestigieux comme les Champs-Élysées. En 2013, la manifestation a été remplacée par des réunions d’information dans chaque entité. Beaucoup moins glamour !

Pour les salariés du magasin Décathlon de Lens, le ski a été remplacé par du paint ball. « On devait suivre des réunions dans les Ardennes belges, on est restés au siège, à Villeneuve-d’Ascq », signale également Hervé Lefevre, de la CFDT de Décathlon. Du côté des formations, les dépenses sont freinées et l’e-learning se généralise. Pour éviter le recours aux prestataires extérieurs, les salariés de l’enseigne Décathlon font office de formateurs. En période de crise, les entreprises comptent sur la solidarité entre collègues.

Auteur

  • Adeline Farge