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Vie des entreprises

Bernard Bigot, chercheur d’économies au CEA

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 04.05.2013 | Rozenn Le Saint

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L’évolution des subventions du CEA (en millions d’euros)

Crédit photo Rozenn Le Saint

Baisse des subventions oblige, l’administrateur général du CEA doit réduire les coûts tout en préservant la qualité de la recherche et en continuant d’attirer les meilleurs.

À première vue, difficile d’imaginer que dans les bâtiments vétustes du CEA, à Saclay (Yvelines), naissent les technologies les plus innovantes dans le domaine énergétique. Pourtant, c’est dans ces salles blanches, ces laboratoires et ces gigantesques entrepôts que des accélérateurs d’électrons et autres applications de l’énergie nucléaire sont testés. Le Commissariat à l’énergie atomique, créé par Charles de Gaulle en 1945 pour assurer l’avenir de l’approvisionnement électrique et la défense de la France libérée, est devenu un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic). Et, en temps de crise, qui dit organisme public (même de droit privé) dit restriction de crédits. Alors que le CEA pouvait compter sur des subventions de l’État de 3 milliards d’euros en 2011 pour mener à bien ses projets scientifiques et atteindre 7 % du poids de la recherche en France, il a dû se contenter de 2,9 milliards en 2012 et de moins encore en 2013.

Formation, salaires, recrutements…, tout y passe. Des coupes budgétaires qui inquiètent les 16 245 salariés permanents et 2 850 non permanents (CDD, thésards et postdoctorants) du CEA qui se serrent la ceinture depuis quatre ans déjà, en même temps qu’ils courent en quête de financements privés. À Bernard Bigot, l’administrateur général, de les rassurer, tout en tenant les comptes du CEA d’une main de fer. Docteur en physique-chimie, il sait l’importance d’offrir les meilleures conditions de recherche à son personnel pour qu’il continue d’innover. Mais l’ancien directeur de cabinet du ministère de la Recherche connaît aussi l’état des finances publiques et les moyens de réduire les coûts… Enfin, sa position de vice-président du conseil de surveillance d’Areva lui donne un aperçu des exigences du marché privé. Une triple vision qui lui permet de mener une politique de rigueur tout en jouant les conciliateurs.

1-Réduire les coûts.

À mi-chemin entre un organisme public de recherche comme le CNRS et le secteur privé, le CEA dépend des subventions étatiques, mais aussi des partenariats avec les industriels. Les chercheurs dans les domaines en vogue, comme les nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’électronique, les nanotechnologies et les énergies renouvelables, que le secteur privé continue de financer, n’ont pas à s’inquiéter. En revanche, « pour tous les autres, qui ont davantage de difficultés à monter des partenariats industriels, l’avenir des programmes de recherche est en jeu », analyse Patrick Gramondi, délégué syndical central CFDT.

La décision de diminuer de 30 % le budget de dépenses externes de formation (réduites de 14 millions d’euros en 2012 à 10 millions d’euros en 2013) attise aussi les craintes. Car la performance de l’organisme de recherche dépend de la capacité de sa matière grise à innover. « Nous allons vers des années difficiles. Il faut s’adapter au contexte, justifie Jean-François Sornein, DRH du CEA. Mais nous possédons une bonne capacité d’autoformation et nous avons beaucoup investi ces dernières années. Nous pouvons nous permettre de réduire la voilure en optimisant les coûts de dépenses externes. » En clair, « les choix se sont portés sur les formations réglementaires obligatoires, prioritaires puisque liées à la sécurité », indique Annie Rivoallan, directrice adjointe du site de Saclay. La part du réglementaire dans la formation passe de 24 % des coûts de formation en 2012 à 26 % en 2013.

Pas question non plus de toucher au budget de formation au management, notamment celui consacré à la détection des talents. Parmi les salariés permanents du CEA, 12 collaborateurs âgés de 35 à 45 ans sont choisis chaque année par Bernard Bigot et le comité de direction pour suivre un cycle de formation avec media training, voyages d’études à l’étranger, etc. Coût total des cinq semaines de formation intensive aux plus hauts postes à responsabilité : 100 000 euros. Le budget global de formation, lui, représente toujours 4,6 % de la masse salariale. Mais Alain Hernandez, secrétaire de la CGT au CEA, estime que, « pour une maison comme la nôtre, si on réduit la formation, nous allons le payer un jour ou l’autre. Dans dix ans, nos ingénieurs, pas assez formés, vont se retrouver largués ».

2-Identifier et prévenir les risques psychosociaux.

Les moyens sont en baisse, mais les exigences de résultat augmentent, faisant apparaître des RPS, selon les syndicats, même si l’absentéisme reste faible et stable avec environ cinq jours d’absence par an et par salarié. « Quand le CEA n’arrive plus à obtenir de financements pour les recherches en physique nucléaire, par exemple, il arrive que l’on propose à des spécialistes de ce domaine qui ont atteint un très haut niveau de rejoindre les équipes de direction et de lâcher le labo pour des tableaux Excel… C’est difficilement vécu », témoigne Marc Wojtowicz, DSC CGT.

La direction, consciente de l’impact des restrictions budgétaires sur le moral de ses troupes, a mené une enquête sur le stress au travail au CEA dès 2010. « Des salariés se sentent moins utiles qu’ils l’ont été. Nous avons identifié des zones de tension, par exemple pour les collaborateurs qui auparavant s’occupaient eux-mêmes du travail technique que l’on fait faire à présent par des sous-traitants », reconnaît Jean-François Sornein. En réponse, la direction a créé dans chaque centre des groupes de travail composés de représentants de la ligne RH et des syndicats, formés à la thématique des RPS, de manière à les identifier et à mieux les prévenir.

À Saclay, tous les managers recevront une formation spécifique aux RPS cette année. La CFDT, qui vient de faire campagne sur la qualité de vie au travail lors des élections professionnelles, en est sortie victorieuse, avec 28 % des voix, devant la CGT (19 %), la CFE-CGC (18 %) et la CFTC (13 %). Un lien ?

3-Rester attractif.

Cela fait quatre ans que les salariés du CEA n’ont pas vu bouger le point d’indice qui conditionne leurs augmentations générales. « La revendication d’essayer de préserver le pouvoir d’achat des salariés est légitime, je m’engage à la porter devant les tutelles d’État en leur disant de faire attention. Nous pourrions payer le coût, à terme, de ce manque de reconnaissance salariale », assure Bernard Bigot, l’administrateur général. Difficile de situer les rémunérations de cet organisme de recherche… « Nous pouvons nous comparer à des établissements publics de recherche jusqu’à un certain niveau seulement : au CNRS, dès que l’on devient maître de conférences, le revenu grimpe assez vite », assure Marc Wojtowicz, de la CGT.

Membre du bureau de la Fédération nationale des mines et de l’énergie, ce dernier peut établir une comparaison entre les salariés du CEA et ceux du privé. Ainsi, avec un salaire mensuel brut moyen de 4 312 euros et un médian de 3 989 euros, les grilles de salaires au CEA lui semblent à peu près équivalentes à celles d’EDF sur les métiers communs. Quid de la référence du nucléaire dans le privé, Areva ? « Le travail est plus intéressant chez nous, les chercheurs s’éclatent, mais niveau progression de carrière, il n’y a pas photo. Elle est bien plus importante à Areva », assure Marc Wojtowicz.

Néanmoins, l’argument choc de la direction pour justifier la stagnation – le prestige et la formidable reconnaissance du monde scientifique, en France et à l’étranger, qu’offre le CEA – se heurte souvent à la réalité. Dans certains métiers, l’organisme peine à attirer. Florence Ardellier, chef du service d’ingénierie des systèmes à Saclay, cherche éperdument des profils très techniques comme des dessinateurs projeteurs. « Pour ces professions qui ne connaissent pas la crise, le CEA n’est pas intéressant d’un point de vue salarial : nous payons environ 30 % de moins, confie-t-elle. En revanche, le métier est passionnant. Mais passé les 30 ans, les gens nous quittent, généralement pour l’aéronautique. »

Plus inquiétant encore pour l’avenir du CEA, le cercle vicieux du manque de moyens. « Nous perdons de l’attractivité auprès de personnes formées à nos spécialités mais qui se posent des questions quant à l’avenir des programmes nucléaires, à juste titre compte tenu de l’évolution des décisions publiques dans le domaine, et aux subventions accordées », indique Patrick Gramondi, de la CFDT. Chaque année, le CEA réalise 450 recrutements.

4-Favoriser le dialogue en interne.

Même si le turnover, de 0,9 %, est inexistant, la DRH mise sur le dialogue pour éviter les crispations liées aux salaires. Elle met ainsi en avant les commissions de carrières, créées en 1970. Chaque année, un salarié sur deux bénéficie d’une augmentation individuelle. « Pour éviter les décisions à la tête du client, nous régulons le système en demandant aux chefs d’unité de justifier leurs choix devant une commission composée d’élus du personnel et du directeur adjoint du CEA », explique le DRH. Une liste des personnes qui n’ont pas été augmentées depuis au moins trois ans est envoyée aux élus, en droit de demander des comptes. « Chaque année, une dizaine de cas sont soulevés par les syndicats. Nous corrigeons le tir quand le choix managérial n’est pas cohérent. Cela évite les erreurs et les injustices », assure Jean-François Sornein.

Même si l’entretien annuel d’évaluation existe depuis 1974, les salariés ne comprennent pas toujours l’absence d’augmentation individuelle. Ils peuvent se rapprocher des élus qui assistent à ces commissions de carrières, comme Marc Wojtowicz, de la CGT : « Les salariés viennent nous voir en nous disant avoir l’impression d’être moins augmentés que les autres. Nous les rassurons et deux sur trois repartent sans nous demander d’intervenir, témoigne-t-il. Notre rôle, c’est surtout du coaching. » Une pratique qui favorise la transparence, chère à Bernard Bigot : « Pour avoir travaillé à l’université ou au CNRS, j’ai connu des salariés qui, en quarante ans, n’avaient jamais eu d’interlocuteurs pour leur expliquer directement ce que l’on voulait d’eux… », se souvient-il.

5-Renouveler la convention de travail.

Le CEA a une particularité : son fonctionnement n’est pas régi par une convention de branche mais par une convention de travail datant de 1970, renouvelable tous les cinq ans. Toutes les organisations syndicales planchent déjà sur le texte pour la prochaine échéance, en 2014. « Quand un salarié est recruté, on lui remet l’accord qui constitue son statut, mais il est obsolète sur de nombreux articles, avec tous les accords signés entre-temps. Il faut le refonder », estime Patrick Gramondi, de la CFDT. La CGT craint que des dispositifs sur la mobilité ou les contrats de mission, inspirés par le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi, ne donnent des idées à la DRH, qui serait tentée de se doter de nouveaux outils de flexibilité. Pascal Thomas (CFTC) estime qu’au-delà de leur réunion annuelle Bernard Bigot reçoit les DSC « quand nous estimons ne pas avoir été entendus. C’est un patron ouvert, un fonctionnaire d’État qui obéit aux ordres qu’on lui donne, mais, tant qu’il le peut, il défend son personnel ».

Il a déjà arrondi les angles sur des points de blocage comme les conditions de mobilité géographique de salariés après un regroupement de services, l’an dernier. « Dans la mesure du possible, Bernard Bigot n’intervient pas. Mais quand ça coince, il demande de rouvrir les négociations », assure Marc Wojtowicz. Avec toujours le même principe : privilégier la conciliation.

Repères

Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) est un établissement public, industriel et commercial (Epic) de recherche dans les domaines de l’énergie et de la défense qui emploie 16 245 salariés (plus 2 850 non permanents), répartis sur 10 sites en France. Son budget de fonctionnement est de 3,844 milliards d’euros en 2013. Cet organisme public est aussi actionnaire d’Areva, pour le compte de l’État.

1945

Création du Commissariat à l’énergie atomique par Charles de Gaulle.

1952

Ouverture du centre d’études nucléaires de Saclay (Yvelines).

2001

La filiale CEA Industries fusionne avec Framatome et la Cogema pour former Areva.

2009

Le CEA devient le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.

L’évolution des subventions du CEA (en millions d’euros)
ENTRETIEN AVEC BERNARD BIGOT, ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL DU COMMISSARIAT À L’ÉNERGIE ATOMIQUE ET AUX ÉNERGIES RENOUVELABLES
“Je n’ai pas peur du mot rigueur”

Comment concilier la qualité de la recherche avec un budget qui diminue et une coupe de 30 % des coûts de formation ?

La première ressource d’un organisme comme le nôtre est la ressource humaine. En matière de formation, nous avons des obligations liées aux activités nucléaires et à la sécurité, mais d’autres besoins ont été arbitrés à la baisse ou reportés. Nous l’avons expliqué en présentant le plan de formation, en rappelant que nous sommes très au-delà des obligations légales et de ce que fait la moyenne des entreprises.

La diminution des subventions ne va-t-elle pas creuser l’écart entre les salariés qui travaillent sur des partenariats privés et les autres ?

Le CEA a développé des compétences très recherchées par les entreprises, comme la gestion de l’énergie, les nanomatériaux, la capacité de modélisation et de calcul, les technologies de l’information et de la communication, qui sont donc prêtes à les financer. Dans certains domaines, les charges croissent et les subventions publiques diminuent. Nous allons maîtriser en priorité les besoins des projets gros consommateurs de subventions, dans le respect de la cohérence de nos missions. Et nous allons cibler le renouvellement des départs en retraite en privilégiant les recrutements dans les domaines financés au moins pour partie par des partenariats industriels, tout en respectant le maintien de nos expertises. Les programmes dans l’énergie nucléaire se déroulent sur dix, vingt ans, alors que ceux dans les domaines de la santé ou des TIC se déroulent sur des temps plus courts, adaptés au financement par les entreprises. Nous allons « lisser » les investissements sur certains programmes plus longs qui font fortement appel à la subvention de l’État.

La rigueur est-elle de mise au CEA ?

Je n’ai pas peur du mot rigueur. Nous avons probablement dix ans de contraintes devant nous en matière de finances publiques. La peur de la rigueur naît de l’incertitude. Or nous avons une tradition de planification avec des plans à cinq et dix ans. Je préfère que le chemin soit identifié et stabilisé dans le temps plutôt qu’il y ait des changements permanents subis. Nous avons une mission de service public qui ne nous prive pas d’avoir des objectifs de performance. En matière d’activité professionnelle, nous avons des atouts qualitatifs non négligeables qui compensent encore l’absence actuelle de mesures d’augmentation générale des salaires, mais il faut faire attention à ce que le différentiel en termes d’offre salariale ne devienne pas trop important. Nous nous situons plutôt sur le marché du travail de l’entreprise. Alors, si les rémunérations sont inférieures de 10 à 20 % à ce marché, nous prenons le risque que les salariés ne restent pas…

Vos salariés ne se ruent pas vers la retraite une fois atteint l’âge légal. Quels problèmes cela peut-il poser ?

Si des salariés souhaitent travailler jusqu’à 70 ans, ils en ont la possibilité, alors que ce n’est parfois pas souhaitable, ni pour eux ni pour l’entreprise. Si une loi permettait d’inciter au départ à la retraite lorsque le taux plein est atteint, ce serait plus clair. Cela nous permettrait aussi de mieux anticiper, même si, pour pallier cette incertitude, nous avons conclu un accord seniors il y a quatre ans qui intègre un délai de prévenance. Quand les salariés nous avertissent dix-huit mois à l’avance de leur date de départ, leur indemnité est majorée. Cela les incite à anticiper leur réflexion sur le sujet.

Souhaitez-vous davantage de flexibilité ?

Oui, à cause des lourdeurs administratives et de la rigidité de notre référentiel légal, qui n’intègre pas la totalité des contraintes de l’entreprise. Au CEA, nous participons à la création de huit à dix entreprises technologiques par an, mais quand il s’agit de croître, elles partent parfois se développer ailleurs. Nous serions profondément intéressés par des outils comme les contrats de projet de trois ans : c’est la durée de beaucoup de nos programmes. Pour le CEA et pour le salarié concerné, ce serait plus confortable qu’un CDD limité à dix-huit mois, trop court pour permettre à un collaborateur de mener un projet jusqu’à son terme et de pouvoir revendiquer l’expérience acquise auprès d’un futur employeur.

Propos recueillis par Rozenn Le Saint et Jean-Paul Coulange

BERNARD BIGOT

63 ans.

1996

DG de la recherche à l’Éducation nationale.

2000

Directeur de l’ENS de Lyon.

2002

Directeur de cabinet de Claudie Haigneré à la Recherche.

2003

Haut-commissaire à l’énergie atomique.

2009

Administrateur général du CEA et membre du conseil de surveillance d’Areva.

Auteur

  • Rozenn Le Saint