logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

La réforme de la représentativité va-t-elle impacter la négociation collective ?

Idées | Débat | publié le : 04.05.2013 |

Les cinq organisations syndicales représentatives depuis 1966 le restent au terme de la réforme mise en œuvre par la loi du 20 août 2008. Ce chantier ne sera cependant achevé que lorsque la représentativité des organisations patronales aura aussi été mesurée.

Pierre Ferracci Président du Groupe Alpha.

Les commentaires qui ont suivi la publication des scores des confédérations syndicales se sont focalisés, après l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, sur l’équilibre presque parfait entre signataires et non-signataires, selon les chiffres et le périmètre retenus par la DGT. C’est sur le terrain des entreprises et des branches que va se jouer, pour l’essentiel, l’avenir des relations sociales et de la gestion de l’emploi, et il ne faut sans doute pas tirer de conclusions hâtives, au vu de cette photographie, du comportement des acteurs, comme l’a montré le récent accord signé chez Renault. Les nouveaux critères de représentativité, assis notamment sur l’audience auprès des salariés, vont bousculer plus qu’on ne le croit le jeu des acteurs. Le patronat et le gouvernement feraient bien de ne pas avoir une lecture figée des rapports de force et du comportement des syndicats ; la tentation de jouer des divisions n’est pas très porteuse si l’on veut construire un modèle social dont le respect et la confiance entre les acteurs sont des éléments déterminants.

La prééminence des accords majoritaires dans la nouvelle donne peut avoir des conséquences diamétralement opposées. Soit renforcer les clivages entre un pôle réformiste et un pôle plus radical, moins enclin à négocier. Soit pousser à la convergence des organisations syndicales, soucieuses d’établir des compromis utiles pour les salariés, en s’appuyant sur un rapport de force suffisant qui a, sans doute, fait défaut dans la dernière négociation. Je fais le pari, ce qui n’est pas du domaine de l’évidence à la lumière des événements récents, que cette dernière hypothèse l’emportera. Si ce n’était pas le cas, la logique, légitime mais contraignante, des accords majoritaires pourrait se retourner contre les organisations syndicales et les salariés, en laissant le champ libre aux directions d’entreprise. On sent bien, au sein du patronat, que le débat n’est pas clos entre les tenants de la négociation collective et ceux qui voient dans les syndicats des obstacles permanents au renforcement de la compétitivité de l’entreprise. Et, pour les syndicats, faute de convergences suffisantes, le recours à l’administration et au juge ne serait qu’un substitut peu satisfaisant. La démocratie sociale a plus besoin, pour s’épanouir et se renforcer, de convergences syndicales fortes que d’une place symbolique dans la Constitution.

Jean-François Pilliard Délégué général de l’UIMM.

Nous sommes arrivés au bout du long processus, issu de la position commune d’avril 2008 entre le Medef, la CGPME, la CGT et la CFDT, visant à fonder la représentativité des organisations syndicales sur une base plus solide qu’une « présomption » établie il y a près de soixante ans. La légitimité des syndicats est désormais assise sur leur audience électorale auprès des salariés. C’est un progrès, mais en même temps un aveu de faiblesse, car l’adhésion devrait être le principal critère de représentativité d’une organisation syndicale, comme d’ailleurs d’une organisation patronale. Au niveau national interprofessionnel, il n’y a guère de surprise. Ceux qui attendaient de la réforme de 2008 une recomposition et une simplification du paysage syndical seront déçus : celui-ci n’a pas bougé. En revanche, un enseignement intéressant peut être tiré des résultats : les organisations syndicales qui se prévalent clairement d’un positionnement réformiste, celles qui ont signé l’ANI du 11 janvier dernier, obtiennent à elles trois la majorité des suffrages des salariés. C’est de bon augure pour les négociations à venir à ce niveau, alors que la France est confrontée à la nécessité de changements importants.

Pour ce qui est des branches, il n’y aura pas de bouleversement dans l’immédiat puisque les organisations reconnues représentatives à l’échelon interprofessionnel sont automatiquement présumées représentatives pour les quatre ans à venir à ce niveau, quelle que soit leur audience dans chacune. Ainsi, dans la métallurgie, la CFTC, qui ne franchit pas la barre des 8 %, bénéficie d’un délai pour regagner la représentativité qu’elle a aujourd’hui, en l’état des résultats, potentiellement perdue. Mais, au-delà de cette période, la métallurgie pourrait ne plus compter, au niveau national, que quatre organisations syndicales représentatives. Quel impact cela aura-t-il sur la négociation ? On peut constater que la plupart des accords sont généralement ratifiés par quatre, voire cinq, organisations syndicales. En revanche, dans d’autres branches où les relations sociales sont plus compliquées, l’effacement de la CFTC, voire de la CGC, risque d’exposer les accords au droit d’opposition d’organisations devenues majoritaires, ou, plus rarement, à la difficulté d’obtention de la majorité de 30 % nécessaire à la validation de l’accord.

Jean-Marie Pernot Politologue à l’Ires.

La loi du 20 août 2008 étant opératoire au niveau des entreprises depuis sa promulgation, elle a donc déjà produit des effets essentiellement sur l’implantation syndicale. Concernant la négociation collective d’entreprise, aucun indicateur ne semble montrer d’inflexion particulière. Le nombre de salariés concernés et d’accords signés n’a pas changé. Ce qu’ils recouvrent de compromis social effectif est toujours aussi peu assuré. Le tour électoral dont le ministère du Travail a donné le résultat le 29 mars va-t-il changer quelque chose ? Le spectre syndical reconnu nationalement représentatif est le même qu’avant. On a donc tout changé de sorte que rien ne change. La représentativité dans quelques branches sera modifiée par l’arrivée de nouveaux acteurs, mais les dispositions transitoires sont telles qu’une organisation qui conserve sa représentativité interprofessionnelle pourra rester présente dans toutes les branches, même celles où son score est en dessous du seuil exigé des nouveaux entrants. D’un dispositif censé favoriser les regroupements syndicaux, on passe à l’accroissement du nombre des organisations syndicales « représentatives » au sein des branches. Mais cela ne devrait pas entraver la poursuite de l’activité contractuelle à ce niveau, qui n’est d’ailleurs guère dynamique.

Reste l’échelon interprofessionnel déjà mis à contribution pour réformer le marché du travail. L’intention affichée de constitutionnaliser ce dialogue social ne modifiera pas la façon de négocier, mais la façon de produire la loi en s’appuyant sur une légitimité des acteurs réputée mieux assurée. Malheureusement, celle-ci n’est pas convaincante : d’abord, la représentativité des organisations patronales reste à fonder et celle des syndicats laisse sceptique. Le recueil des suffrages est d’un alliage fragile : il est établi sur 12,7 millions d’inscrits quand il y a plus de 17 millions de salariés et il mélange scrutin sur listes et sur sigles avec des formes de participation très hétérogènes. Cette représentativité fait comme si la fonction publique n’était peuplée que de syndicats autonomes, les agents publics ne participant pas à l’appréciation de la représentativité d’ensemble des organisations ; la CFE-CGC est catégorielle mais elle est comptée avec les autres, ce qui est logique puisqu’elle participe et ratifie des accords qui s’appliquent à tous les salariés. Bref, lorsqu’on fait la somme des incongruités de ce décompte, on peut encore en accepter le résultat comme une convention, au même titre que la précédente, mais guère plus.