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Vie des entreprises

Loi de mai 2013 et mobilités du salarié

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 02.04.2013 | Jean-Emmanuel Ray

Privilégier la flexibilité interne négociée à une flexibilité externe et unilatérale constitue un choix judicieux en nos temps de rude montée du chômage : il faut donc féliciter les signataires de l’ANI puis le législateur de cette légitime idée. Mais ce choix a parfois de rudes conséquences en termes de modification du contrat. Quid en cas de refus du salarié ?

Pour un nouveau modèle économique et social » : dans notre cher et vieux pays n’avançant qu’à coups de révolutions ou de crises, le titre de l’ANI est ambitieux mais pas for cément irréaliste. Deux symboles ?

– Le 7 mars 2013, jour de l’adoption du projet de loi en Conseil des ministres, trois syndicats de Renault (dont FO) signaient un accord de maintien des sites en France, accord historique pour cette emblématique entreprise.

– L’exceptionnel bruit politique, social et médiatique de l’ANI puis de la loi à venir étonne : aucun tollé de cette intensité pour la loi de transposition de l’ANI du 11 janvier 2008, ni pour celle du 20 août 2008 pourtant refondatrice de toutes les relations collectives de travail. Mais l’opinion a peut-être compris que notre droit du travail entamait ainsi sa mue pour épouser son temps.

EN FINIR AVEC « LA PRÉFÉRENCE FRANÇAISE POUR LE CHOMAGE »

Car on peut se contenter de regarder passer les trains de licenciements ou compter les PSE en s’indignant. Ou tenter deux paris : davantage de négociation pour moins de judiciarisation, et faciliter les mobilités internes et externes tout en les déconnectant du charme vénéneux des PSE. Si garder son emploi devient difficile, maintenir son employabilité pour garder un emploi est une réponse au double problème de la fracture et de la facture sociales. Mais l’historien qui se penchera dans cinquante ans sur le feuilleton de l’ANI loi de 2013 se heurtera à une curieuse question : pourquoi la cible principale des contestataires, CGT et CGT-FO en tête, était les mesures destinées à limiter le recours aux licenciements économiques, et en particulier aux plans de sauvegarde de l’emploi ? Le nec plus ultra de la protection du droit du travail serait donc le droit d’être collectivement licencié pour motif économique ? Vingt ans après, c’est toujours « la préférence française pour le chômage » décrite en 1994 par un jeune énarque prometteur, Denis Olivennes.

LA GPEC EST MORTE, VIVE LA GPNEC !

La GPEC ne date pas de la loi Borloo de janvier 2005. Tout chef d’entreprise prudent et avisé la pratiquait depuis toujours, car faire évoluer les compétences des collaborateurs en fonction des prévisions de la production est une nécessité économique. Sa relance – depuis huit ans quasi rituelle – avec cette nouvelle « gestion prévisionnelle négociée des emplois et des compétences » (GPNEC) va-t-elle vraiment changer les choses ? Sans doute si on la relie aux autres mesures annoncées : participation de salariés au conseil d’administration dans les grandes entreprises, information sur les orientations stratégiques avec leurs conséquences sur le plan de formation, base de données permettant de suivre en temps réel la vie de l’entreprise, etc. Encore faut-il, « par les temps qui courent » au sens littéral, pouvoir prévoir pour prévenir ; et une immense loyauté et une solide confiance réciproques, y compris en termes de confidentialité sur les orientations stratégiques. Mais derrière la GPNEC apparaît aussi la volonté de créer en France une culture de la mobilité, à froid.

I. Négocier collectivement la mobilité interne

L. 2242-21 (projet) : « L’employeur engage tous les trois ans une négociation portant sur les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise dans le cadre de mesures collectives d’organisation sans projet de licenciement. »

L. 2242-23, très hétérodoxe sur le plan technique : « Les stipulations de l’accord conclu sont applicables au contrat de travail. Les clauses du contrat contraires à l’accord sont suspendues. »

– Si l’avant-projet de loi prévoyait que le refus par un salarié de l’application de l’accord collectif de mobilité – dont le contenu doit être largement enrichi lors des débats parlementaires – déboucherait sur un licenciement pour motif personnel, après examen par le Conseil d’État craignant une censure sur la base de la convention 158 de l’OIT, ce sera un licenciement individuel pour motif économique « ouvrant droit aux mesures d’accompagnement que doit prévoir l’accord ». Est-ce une bonne idée, sachant que, depuis treize ans, après la loi sur les 35 heures, curieusement personne n’avait évoqué cet éventuel obstacle ?

Outre la question de l’obligation préalable de reclassement, quelle sera la cause réelle et sérieuse de ce licenciement intervenant hors graves difficultés économiques, pour lesquelles est prévu l’accord spécifique et majoritaire de maintien de l’emploi ? La sauvegarde de la compétitivité telle qu’interprétée aujourd’hui par nos juges met la barre bien haut s’agissant à l’origine de mobilités courantes « dans le cadre de mesures collectives d’organisation sans projet de licenciement ». Seul avantage pour les entreprises : l’évitement d’un PSE, des procédures qui s’ensuivent et de son éventuelle annulation judiciaire avec réintégrations.

– S’agissant d’une proposition de mobilité professionnelle ou géographique à la suite de cet accord, quelle sera la procédure à suivre ? L’accord de maintien dans l’emploi doit « déterminer le délai et les modalités de l’acceptation ou du refus par le salarié de l’application des stipulations de l’accord à son contrat de travail ». Rien de tel pour l’accord de mobilité interne.

Alors celle réservée à une modification du contrat de travail pour motif économique prévue par L. 1222-6 : au bout d’un mois, qui ne dit mot consent ? Mais si l’accord d’entreprise prévoit un périmètre de mobilité supérieur au « secteur géographique » fixé par la jurisprudence (sinon à quoi servira-t-il ?), y aura-t-il toujours « modification du contrat de travail », ou un « simple changement des conditions de travail » ? Certes la jurisprudence avait déjà fait preuve d’un réel pragmatisme lorsqu’il s’agissait de garder un emploi grâce à une modification temporaire du contrat de travail : « Si l’affectation occasionnelle d’un salarié en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement ou des limites prévues par une clause contractuelle de mobilité géographique peut ne pas constituer une modification de son contrat de travail, il n’en est ainsi que lorsque cette affectation est motivée par l’intérêt de l’entreprise, qu’elle est justifiée par des circonstances exceptionnelles et que le salarié est informé préalablement dans un délai raisonnable du caractère temporaire de l’affectation et de sa durée prévisible. » (Cass. soc., 3 mai 2012.) Mais ici n’existent ni circonstances exceptionnelles ni affectation provisoire…

– L’accord d’entreprise fixe enfin « les mesures visant à permettre la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle ». Très bien. Mais quelles que soient les dispositions retenues par la loi, et a fortiori les stipulations des accords à venir, les conventions internationales visant le respect de la vie privée les surplombent : l’article 8 de la CEDH bien sûr, mais aussi la convention 156 de l’OIT sur « les travailleurs ayant des responsabilités familiales », retenue le 5 septembre 2012 dans une affaire caricaturale par la cour de Versailles. Huit jours après son retour de congé maternité, cette jeune maman mutée devait prendre successivement quatre modes de transport en commun, avec plus de trois heures de trajet par jour contre une auparavant. Absence de faute grave car « la mise en œuvre de la clause de mobilité portait atteinte à son droit à une vie personnelle et familiale, protégé par les articles 4-b, 7, 8 et 9 de la Convention 156 ».

Quelles que soient les stipulations du futur accord collectif sur la mobilité interne, au cas par cas, un salarié pourra invoquer ces sources supranationales pour contester l’obligation qui lui serait faite de rejoindre son nouveau poste.

II. Mobilité externe, volontaire et sécurisée

Insérée dans le titre I de l’ANI de 2013 intitulé « Créer de nouveaux droits pour les salariés afin de sécuriser les parcours professionnels », mais initiée il y a plus de dix ans par des sociétés grenobloises et reprise dans l’accord PSA Sevelnord du 26 juillet 2012, cette créative mobilité interentreprises fait trembler de nouveaux inspecteurs Javert pour lesquels le droit est devenu une fin en soi, et non le moyen de faire fonctionner une société. Ils y voient au mieux une discrète exportation de salariés pour éviter leur licenciement économique, au pire un sordide prêt de main-d’œuvre façon délit de marchandage défendu par Louis Blanc en 1848 : « Il faut éviter qu’entre le patron et l’ouvrier se glissent de rapaces intermédiaires qui, quelle que soit la bonne volonté du premier, fassent descendre les salaires au niveau marqué par la faim. »

Quelle scandaleuse descente aux enfers prévoient les articles L. 1222-12 et suivants, pas très éloignés du congé création d’entreprise ou sabbatique ? Un collaborateur ayant plus de deux ans d’ancienneté a entendu parler d’un poste vacant dans une société B, qui l’intéresse particulièrement. Mais il ne veut pas courir le risque de démissionner de chez son employeur (A) : et si le poste chez B ne lui plaît finalement pas ? Et si B rompt l’essai dans deux mois ? Il demande donc à A le droit de bénéficier de cette mobilité externe qui ne constitue pas une mise à disposition mais donne lieu à la signature d’un avenant avec A (ex. : retour anticipé possible), puis d’un véritable contrat de travail avec B. Et au bout du chemin ?

Si le salarié choisit de revenir chez A, il retrouve de plein droit son emploi précédent ou un emploi similaire, avec maintien de sa qualification et de sa rémunération. Et s’il décide de ne pas réintégrer A ? Rupture du contrat constituant une démission. Qualification a priori surprenante puisque aucune lettre n’affirmant cette volonté sérieuse de démissionner n’arrivera à l’entreprise et prive le salarié de ses indemnités chômage. Mais justement pas ici, car il est et reste chez B et ne sera donc pas au chômage, alors qu’il l’aurait été si la société A est aujourd’hui en pleine déconfiture. L’avenir n’est pas le passé à perpétuité.

FLASH
ANI puis loi 2013 : tout sauf un PSE ?

Qu’il s’agisse d’accord de mobilité ou de maintien de l’emploi, un refus du salarié, quel que soit le nombre de personnes en cause, entraînerait un « licenciement individuel pour motif économique ». Et pourquoi pas le montage obligé d’un PSE si plus de 10 refuzniks se font connaître ?

Côté CGT et FO, ce n’est évidemment pas le PSE en lui-même qui est porté aux nues, mais le rapport de force qu’il induit avant et pendant, tout en donnant du temps pour mobiliser salariés mais aussi médias ou collectivités territoriales. Cette incertitude sur la durée de l’opération est, côté entreprise, un élément des plus préoccupants, donc volontiers négociable.

Mais tout praticien sait que l’éventualité d’un PSE et, a fortiori, d’un riche plan de départs volontaires à venir paralyse toute gestion de l’emploi en amont. Et en particulier la mobilité interne ou externe, professionnelle ou géographique, de nombreux salariés – pas toujours les plus mauvais – attendant de connaître le niveau exact des mesures d’accompagnement.

Il est donc légitime que le législateur, soucieux du succès des mobilités à froid, veuille neutraliser les charmes vénéneux de notre PSE.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray