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Politique sociale

Panne de bras au Canada

Politique sociale | publié le : 02.04.2013 | Ludovic Hirtzmann

Dans le Nord québécois, McDo recrute au Maroc. Car les candidats, attirés par les salaires des mines et du pétrole, se font rares. Le tout sur fond de pénurie liée aux départs en retraite des baby-boomers.

À 600 kilomètres au nord de Montréal, là où l’urbanité cède la place aux longues étendues sans vie humaine, il existe une ville fondée sur les traces de la ruée vers l’or, dans les années 30 : Val-d’Or, 32 000 habitants. Ici, on manque de chômeurs ! Les employeurs, en particulier dans les petites entreprises, peinent à dénicher des candidats. À l’instar de ce qui se passe dans de nombreuses villes canadiennes bâties sur des ressources naturelles, les restaurants et les commerces ne parviennent pas à garder leur personnel. Les boutiques ferment certains jours, faute de bras pour servir les clients. Dans ces régions riches, le taux de chômage oscille entre 4 et 5 % – il est de 7 % environ au niveau national et en baisse constante. Pour pallier le déficit de main-d’œuvre, la propriétaire des McDonald’s de Val-d’Or et d’Amos (12 000 âmes), Isabelle Leblanc, est allée recruter au Maroc. Les visas de travail ne sont accordés que pour deux ans, et encore à condition qu’aucun Canadien ne se présente pour occuper l’emploi. « Il faut que tu prouves au gouvernement que tu as tout essayé. Tous les sites Internet, les journaux, les panneaux dehors, les panneaux à l’intérieur », a-t-elle expliqué à Radio-Canada. Il lui en aurait coûté environ 3 000 dollars (2 300 euros) pour chacun de ses 21 salariés marocains.

McDo n’a pas eu le choix. À 30 kilomètres de Val-d’Or, la compagnie minière Osisko exploite la plus grosse mine d’or à ciel ouvert du Canada. Les salaires y sont élevés, souvent de 70 000 dollars par an (54 000 euros) pour les travailleurs peu qualifiés. Travailler dans un fast-food pour 9,5 dollars l’heure (7,15 euros), le salaire minimum, avec des horaires irréguliers, est impensable.

Longtemps, la ruée vers l’or, le gaz et le pétrole ont été l’apanage de l’Ouest canadien. En Alberta, à Fort McMurray, la Mecque du pétrole, tout le monde veut travailler pour les compagnies pétrolières, et ce même si les conditions de travail sont difficiles et que les problèmes de drogue touchent presque tous les chantiers. Mais désormais la plupart des provinces sont attractives. Au Québec, le secteur minier aura besoin de 75 000 à 140 000 bras d’ici à 2021. Et le déficit de main-d’œuvre devrait perdurer durant toute la décennie.

Les jeunes boudent les études. Si la bulle pétrolière et minière en est en grande partie responsable, ce n’est pas la seule raison. Avec le départ des baby-boomers à la retraite, le manque de bras s’étend à la plupart des secteurs. Le président de Randstad Canada, Jan Hein Bax, notait récemment « une pénurie dans les industries de la fabrication, de l’automatisation, de l’énergie et des services publics ». Il faudrait ajouter les secteurs des jeux vidéo, de la construction ou encore de l’aéronautique. Conséquence de l’explosion de l’activité minière, les jeunes boudent certaines formations. « Cette situation est dramatique pour les jeunes du nord du Québec. Ils abandonnent leurs études, voire n’en commencent jamais. Ils s’habituent à un gros train de vie. Pour un temps, car ils sont vite déboussolés s’ils perdent leur emploi », souligne une psychologue originaire de l’Abitibi qui préfère garder l’anonymat.

Rencontrée dans un salon pour l’emploi à HEC Montréal, la coordinatrice du recrutement de l’assureur Sun Life, Zoé Rakotomanga, indique pour sa part : « Nous avons du mal à trouver des employés pour notre service à la clientèle pour les centres d’appels. La principale cause est que les candidats ne sont pas parfaitement bilingues. » La recruteuse d’un autre assureur, Financière Manuvie, confirme : « Nous avons beaucoup de mal à trouver des vendeurs. » Dans ces milieux du télémarketing et de la vente où la rétribution horaire flirte avec le salaire minimum, les deux recruteuses refusent de dévoiler les rémunérations pratiquées.

Et quand ils ont fait des études, les jeunes visent des emplois plus prestigieux que ce qu’on leur offre. La multinationale Sherwin-Williams, spécialiste des peintures et revêtements, qui cherche des assistants gérants pour ses magasins, en sait quelque chose. « À la fin de leurs études, les jeunes veulent tous être directeurs. C’est ce qu’on leur a appris à l’école ; mais nous, nous avons besoin de gens qui apprennent le métier progressivement », précise la chargée du recrutement de Sherwin-Williams, Agata Tytkowski.

Dans ce contexte de tension, les employés quittent parfois une entreprise du jour au lendemain pour un salaire à peine plus élevé. Le phénomène touche aussi les emplois de cadres. « Ce n’est pas évident de garder nos employés. Nous leur proposons de bons avantages sociaux, une bonne couverture médicale et un bon fonds de pension, mais aussi une grande flexibilité dans leurs horaires », note Stéphanie Moisan, conseillère du recrutement chez Alstom Grid Canada. Au-delà des conditions salariales et de l’environnement de travail, il faut, à ses yeux, susciter l’intérêt des candidats. Si la perspective de pouvoir travailler à l’étranger est une promesse que beaucoup de recruteurs mettent en avant, ils ont bien du mal à vanter leur entreprise au-delà de la traditionnelle langue de bois sur les défis et l’expérience valorisante. Tout comme ils sont bien en peine de proposer des solutions pour dénicher les employés qui leur manquent. L’une des pistes encouragées par Ottawa est l’immigration. Outre des Français, Stéphanie Moisan recrute ainsi des ingénieurs électriciens d’Algérie ou de Dubaï.

Malgré la pénurie, les patrons canadiens manquent de souplesse. Ils sont peu enclins à embaucher des nouveaux diplômés. Et s’ils ont une préférence pour les candidats expérimentés, ils ne sont pas toujours prêts à verser des salaires en conséquence, malgré des charges sociales extrêmement faibles. En outre, dans certaines provinces comme le Québec, des ordres professionnels tout-puissants bloquent l’embauche de travailleurs étrangers qualifiés. Le casse-tête de la pénurie n’est pas près d’être terminé au Canada.

Auteur

  • Ludovic Hirtzmann