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Politique sociale

Mobilisés contre l’exclusion

Politique sociale | publié le : 02.04.2013 | Adeline Farge

Structures d’insertion, ateliers de production, Écoles de la 2e chance… accompagnent des précaires sur la voie de l’emploi. Chacun avec ses armes.

Pendant dix ans, Samiha* a vu les portes des entreprises se fermer. Sans ressources, elle a fini par être hébergée par une de ses connaissances. « J’ai répondu à de nombreuses offres. Je n’ai jamais décroché un emploi. Est-ce l’âge ou le manque d’expérience ? Le chômage est une perte de repères et de confiance en soi », regrette cette femme de 60 ans. Alors que le comité interministériel de lutte contre les exclusions a adopté, le 21 janvier, le plan de lutte contre la pauvreté – 8,6 millions de personnes vivent avec moins de 964 euros par mois – qui prévoit la mise en place d’un contrat d’insertion pour les 18-25 ans, les structures d’insertion se mobilisent pour permettre à tous d’accéder à un emploi. Deux bénévoles de Solidarités nouvelles face au chômage (SNC) ont ainsi accompagné Samiha dans ses recherches d’emploi. Elle travaille aujourd’hui comme secrétaire polyvalente à La Ligue contre le cancer.

SNC crée et subventionne, grâce à son réseau de donateurs, des emplois d’une durée de six mois à deux ans dans ses associations partenaires. « Ces emplois solidaires les aident à mettre un pied dans le monde du travail. C’est un tremplin », précise Stéphane Levannier, responsable administratif à SNC. « Quand on accompagne une personne vers l’emploi, on l’accompagne dans sa globalité : santé, logement, surendettement », souligne Sophie Bonnaure, déléguée générale de SNC. Avec une difficulté majeure, que regrettent de nombreux professionnels : les subventions sont conditionnées à une obligation de retour à l’emploi à l’issue d’un contrat d’insertion de deux ans.

Remettre sur les rails de l’emploi les décrocheurs scolaires – ils sont chaque année près de 140 000 à quitter le système éducatif sans diplôme – mais aussi la grande caste des « sans » (emploi, logement, famille, qualification…) est un défi auquel s’attachent les nombreuses structures spécialisées dans l’insertion par l’activité économique. Les fondations ne sont pas en reste. Celle de la 2e chance, créée en 1998 par Vincent Bolloré et Michel Giraud, ancien ministre du Travail, finance ainsi, à hauteur de 5 000 euros, des formations à des personnes en situation de précarité et victimes d’accidents de la vie. À chacun sa recette. Liaisons sociales magazine détaille quatre formules innovantes pour combattre la précarité.

Emmaüs Défi Le travail à l’heure pour les sans-abri

Dans le bric-à-brac d’Emmaüs Défi, rue Riquet, à Paris XIXe, Pedro* et Franck attendent le départ de la livraison d’un meuble chez un client. Tous les deux sans domicile fixe, ils travaillent « à l’heure ». Instauré par le chantier d’insertion d’Emmaüs qui accueille 86 salariés dont 14 en travail à l’heure, ce dispositif vise à mettre les « grands exclus » dans un processus de retour à l’emploi. « Le seuil des vingt heures par semaine prévu dans les contrats d’insertion est trop haut pour ceux qui n’ont pas travaillé depuis des années et dorment dans la rue, souligne Hélio, éducateur spécialisé, qui pilote depuis 2009 le programme pour les personnes qui viennent de la rue. Celui-ci leur permet aussi de passer du temps avec leurs éducateurs hors bureau. Quand ils portent un meuble ensemble, il n’y a plus le rapport aidant-aidé. » Dans le camion d’Emmaüs Défi, Sylvia Thénard, éducatrice de rue au bois de Vincennes, calcule avec Pedro et Franck le meilleur itinéraire pour se rendre chez le client. « Le but des premières heures est de valoriser leurs compétences », explique-t-elle. Pour les inciter à revenir, Emmaüs Défi mise sur l’accueil. Des vêtements et un repas chaud leur sont offerts. Surtout, les contrats de travail d’un mois de quatre heures par semaine accélèrent l’accès à un logement d’urgence. Une fois en centre d’hébergement, ils peuvent demander des heures supplémentaires puis, après quelques mois, être embauchés en contrat de vingt à vingt-six heures. Ceux qui ont un logement précaire sont recrutés directement en contrat d’insertion.

Dans l’atelier, les salariés trient électroménager, livres et vêtements des particuliers, qui seront ensuite revendus. D’autres installent le magasin pour l’ouverture du samedi. Cette diversité d’activité permet d’adapter le travail aux capacités de chacun. Les règles sont plus souples que dans les entreprises classiques et rares sont les motifs de licenciement. Après avoir navigué de squat en squat, Patrick, ancien toxicomane, a été embauché, après le dispositif premières heures, en contrat d’insertion à l’accueil des dons. Alors en traitement de substitution, ce rythme respectait son état physique : « Je n’aurais pas pu m’adapter à un emploi de 35 heures. D’ailleurs, mes problèmes personnels ne convenaient pas aux employeurs. Grâce à Emmaüs, j’ai pu reprendre ma vie en main. »

L’objectif est de redynamiser leur parcours. « Ils n’ont pas seulement un emploi quand ils sortent d’ici, ils ont un hébergement, un médecin, des compétences », signale Catherine Paquemar, responsable de l’accompagnement socioprofessionnel. À l’issue de ces deux ans, ils sont aptes à commencer une formation ou à travailler dans une autre structure d’insertion. Pour les sensibiliser aux codes de l’entreprise et évaluer leur niveau, des stages en immersion sont organisés chez les partenaires. Le taux de retour sur le marché du travail demeure faible, de l’ordre de 23 %, contre 60 % fixé par l’État. « On recrute en priorité des personnes avec des logements précaires. Si on doit respecter les critères de retour à l’emploi, on prendra les moins abîmés », critique Catherine Paquemar. C’est pourquoi Emmaüs Défi a négocié, dans le cadre de son programme Convergence, la possibilité de les garder plus longtemps.

TAE Travailler ensemble
“Les notes humiliantes sont bannies et les élèves sont valorisés” (un formateur de l’E2C)

Après un accident de travail, sa carrière d’aide-soignante tourne court. Pendant dix ans, Chantal bricole alors avec les allocations familiales : « Les entreprises refusaient de me recruter. À TAE, les patrons ne m’ont pas demandé mes diplômes. » Grâce à un aménagement de poste, elle est embauchée comme femme de ménage avant de rejoindre l’équipe informatique. À Noisy-le-Grand, à deux pas du centre de promotion familiale d’ATD Quart Monde, l’atelier et chantier d’insertion Travailler et apprendre ensemble (TAE), créé en 2002 par l’association, emploie 20 salariés, dont 10 en difficulté, autour de trois activités : bâtiment, entretien ménager et informatique. Après un contrat aidé de deux ans, une majorité des salariés sont embauchés en CDI. « Dans ces structures, la difficulté est le temps, souligne Dominique Duquet, codirecteur. La pression de la fin de contrat pèse sur eux, ils ne s’investissent plus autant dans le travail. »

Les patrons de TAE sont plus indulgents que ceux des entreprises classiques, notamment sur les absences, et adaptent leurs exigences au rythme et aux difficultés de chacun. Avec une hiérarchie aplatie et un règlement intérieur assoupli, les décisions se prennent en concertation et les erreurs ne sont pas nominatives. Dans l’atelier, occupés à réparer des ordinateurs, les salariés longtemps privés d’emploi côtoient les « compagnons », six étudiants et cadres souhaitant s’investir dans un projet solidaire. Tous travaillent à égalité de salaire et de responsabilités. « Les compagnons sont les moteurs de l’entreprise. Je dois m’assurer que le travail est fait et veiller au lien social », explique Maël. À 30 ans, après des études de droit et un job de réceptionniste, il a troqué son uniforme hôtelier pour un bleu de travail. Auprès des salariés en insertion, il s’est formé au bâtiment. « Les salariés qui ont dix ans d’expérience ont des choses à transmettre même aux compagnons, justifie Dominique Duquet. Être dans la peau de l’enseignant permet de progresser et de prendre confiance. »

Sur le tableau de la salle informatique, des émoticones indiquent le niveau du partage du savoir et de l’ambiance de la semaine passée. Pour ces salariés, l’entraide est le maître mot. Si l’un d’eux est absent, les collègues décrochent le téléphone, et des fêtes sont organisées lors des anniversaires. Pour les inciter à revenir travailler le lendemain.

L’École de la deuxième chance Aider les « décrocheurs »

Institut du monde arabe, à Paris : un historien présente à ses jeunes élèves les liens entre la France et la culture arabe. « Ils ne quittent jamais leurs quartiers. On cherche à les réconcilier avec une culture dont ils se sentent exclus. Ces visites citoyennes visent une réinsertion socioprofessionnelle », souligne Gérard Gabella. Depuis dix ans, l’École de la 2e chance (E2C) de Seine-Saint-Denis (il en existe une centaine en France créées sous l’égide de la Fondation de France) guide des jeunes de 18 à 25 ans sans qualification dans la construction de leur projet professionnel. L’entrée est conditionnée à une volonté de rebondir après un échec scolaire. « J’ai été virée il y a deux ans pour absentéisme. Je voulais me diriger vers le médico-social. Comme il n’y avait plus de place, on m’a inscrite en secrétariat », raconte Exaucée. À 19 ans, elle veut devenir infirmière ou aide-soignante.

Durant un parcours qui peut durer jusqu’à mille quatre cents heures, les jeunes, rémunérés comme stagiaires, alternent cours de remise à niveau et stages en entreprise. « Ces stages permettent de vérifier leur intérêt pour un métier et d’en découvrir d’autres. Des formateurs les accompagnent dans leurs recherches », précise Mireille Weist, directrice de l’E2C de Seine-Saint-Denis qui accueille 600 élèves. Les cours théoriques sont calqués sur leur futur métier. En petits groupes, la formation est individualisée. « Les cours collectifs ne répondent pas à leurs besoins. Ils n’osent pas poser de questions et se sentent largués, explique Lahsen Bougdal. L’apprentissage est également fondé sur des situations professionnelles. En leur fixant un objectif concret, ils ont envie de s’investir. » Ce formateur de français mise sur la pédagogie de la réussite : « Les notes humiliantes sont bannies et les élèves sont valorisés. » À l’issue du parcours, deux jeunes sur trois entrent dans une formation en CFA ou en emploi direct.

Atelier de Gorge-de-Loup Faire en apprenant

Des apprentis s’affairent derrière des tourneuses-fraiseuses : élèves de l’atelier d’apprentissage de Gorge-de-Loup, à Lyon, ils produisent des pièces pour leurs clients. Créée en 1950 à l’initiative d’un prêtre, cette école de production – lycée professionnel hors contrat – forme une trentaine de jeunes de 15 à 20 ans au CAP conduite de systèmes industriels et au bac pro technique d’usinage. L’atelier est membre des écoles de production Rhône-Alpes. Sa méthode ? Faire en apprenant. Parmi ses élèves, certains sont en décrochage scolaire. « Ils ne sont plus acceptés nulle part. Quand ils arrivent du système scolaire classique, ils sont les derniers de la classe et ont une mauvaise image d’eux-mêmes. À l’école de production, ils retrouvent le goût du travail », assure Daniel Chambodut, directeur de cette école de mécanique productique.

Après des renvois successifs du collège, Valentin a trouvé sa voie. En deuxième année de CAP, il apprécie le travail en atelier : « En cours, je restais assis sur une chaise sans travailler. À Gorge-de-Loup, on a moins de théorie. Même si les formateurs sont sévères, on apprend plein de choses utiles. » Avec un règlement et des horaires calqués sur ceux des entreprises, les apprentis sont confrontés à la réalité du monde du travail. « On est là pour les encadrer quand leurs parents ont abandonné et pour pallier un manque de repères », avertit le directeur. À l’école de production, la satisfaction du client prend le pas sur celle des professeurs. Car les pièces sont destinées à la vente. « Pour qu’ils prennent conscience de ce qu’ils ont entre les mains, on leur fait voir les commandes des clients et le prix des fournitures », assure Denis, un formateur.

Derrière les machines, les élèves travaillent en binôme. Benjamin, lui, est le pilier de son groupe, celui qui aide les plus faibles. Pour capter l’attention des jeunes, la théorie s’appuie sur le métier. En français, les apprentis apprennent à rédiger une lettre de motivation, et en anglais à déchiffrer le fonctionnement d’une machine. En fin de cursus, l’école leur assure 100 % d’intégration professionnelle grâce à ses partenariats avec des entreprises. « À leur sortie, nos gars savent déjà travailler, se réjouit Denis. Leurs patrons n’auront pas besoin de les former. »

* Les prénoms ont été modifiés.

5 300

C’est le nombre de structures qui constituent le secteur de l’insertion par l’activité économique (IAE). Elles accueillent chaque année plus de 250 000 salariés en insertion. Il s’agit d’ateliers-chantiers d’insertion (ACI), d’associations intermédiaires (AI), d’entreprises d’insertion (EI), d’entreprises de travail temporaire d’insertion (Etti), de groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (Geiq) et de régies de quartier et de territoire (RQ).

S’investir dans l’insertion

Trouver un modèle d’entreprise qui laisse la place à tous, Vincent Godebout en a fait son credo. « Il est important de développer des passerelles entre les entreprises classiques et les structures d’insertion », souligne ce responsable RSE et insertion au Secours catholique et coauteur de l’étude « Agir pour l’Insertion, une ambition à partager » (2011). Le Secours catholique s’est associé aux campus Veolia, plates-formes de formation destinées à pallier les besoins de compétences des entreprises. En mars, le campus Centre-Est ouvrira ses portes aux personnes en insertion avec un objectif, à terme, de recruter 10 % des effectifs dans ce public. « Nos partenaires répondent à l’accompagnement social, et nous on crée des passerelles vers des emplois qualifiants », précise Philippe Marcadé, directeur du campus. Bouygues Construction propose des formations en alternance pour les personnes embauchées dans le cadre des clauses sociales des marchés publics ; 400 opérations ont été menées en 2011. D’autres entreprises délèguent ces recrutements à des agences d’intérim d’insertion qui accompagnent les candidats en amont des missions. L’occasion de rétablir leurs droits et de s’assurer de l’adaptation aux règles des entreprises. SEB fait appel aux services d’Adecco Insertion. SEB a aussi sa propre entreprise d’insertion en Haute-Savoie, Eidra, employant 11 salariés, qui bénéficient des formations du groupe. Et sa fondation au travers de laquelle les salariés interviennent bénévolement dans des projets de réinsertion.

100 000

jeunes non qualifiés de 18 à 25 ans, qui ne sont ni en emploi ni en formation, bénéficieront en septembre 2013 d’un contrat d’insertion. Il ouvre droit à un accompagnement intensif et est rémunéré à hauteur du RSA, soit 450 euros.

Auteur

  • Adeline Farge