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Enquête

La guerre des territoires

Enquête | publié le : 02.04.2013 | Anne-Cécile Geoffroy

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De fortes inégalités face à l’emploi

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

L’assèchement des finances publiques attise la course à l’attractivité des collectivités territoriales et renforce les inégalités entre métropoles et France périurbaine.

Entrepreneurs, choisissez le Nord ! Ici, « le coût du travail est inférieur de 5 % à la moyenne nationale ». Cet argument, très en vogue dans le match France-Allemagne, Nord France Invest, l’agence de promotion économique de la région Nord-Pas-de-Calais, n’hésite pas à l’utiliser pour convaincre les entreprises de poser leurs valises dans les plaines plutôt qu’au soleil de la Méditerranée. Au cœur de la Mayenne, à une heure de Paris, Laval met plutôt en avant « la conscience professionnelle de sa main-d’œuvre et son attachement aux valeurs de l’entreprise ». Une façon de rassurer les candidats à l’implantation et de damer le pion à des bassins d’emploi où les salariés seraient réputés moins dociles.

Avec la crise, la concurrence entre les territoires se durcit. La tendance est au marketing territorial. Pour faire la différence, les régions, les villes, les départements créent leur marque. Reims se définit aujourd’hui comme le 21e arrondissement de Paris grâce au TGV qui permet de relier la capitale en quarante-cinq minutes. Avec l’espoir d’attirer une population de cadres parisiens. L’Auvergne a travaillé pendant plus de deux ans à sa nouvelle identité. Perçue comme trop rurale, pas assez dynamique, vieillissante et sans métropole, la région a mis autour de la table ses différents acteurs économiques pour se dessiner un nouveau portrait « psychologique et identitaire » : « Auvergne nouveau monde » s’affiche désormais sur tous les supports de communication. Pour vendre son territoire aux Parisiens en quête de nature, la région est allée jusqu’à investir la Bellevilloise, un lieu de rencontres bobo branché de Paris. Elle a aussi lancé une campagne de pub autour de son « new deal », un chèque à l’installation pour tout contrat de travail signé dans la région. « L’Auvergne doit lutter contre le déclin démographique qui la gagne. Aider au logement pour faire venir des jeunes actifs, c’est plutôt malin, reconnaît Benoît Meyronin, enseignant-chercheur en marketing à Grenoble École de management. L’attractivité est le fonds de commerce du marketing territorial. Et, dans le contexte actuel, les territoires cherchent comment faire mieux avec moins. »

Assèchement des finances publiques.

Car la crise des finances publiques oblige les collectivités à se serrer la ceinture. Le 12 février, le gouvernement a annoncé une baisse des dotations de l’État au secteur public local de 3 milliards d’euros pour 2014 et 2015. Deux fois plus que ce que la loi de programmation budgétaire avait voté deux mois plus tôt. Sur le front du chômage, des territoires jusqu’ici réputés solides n’ont pas été épargnés en 2012. Comme Vitré, en Ille-et-Vilaine, qui a vu les rangs de ses demandeurs d’emploi grossir de plus de 22 % en un an. L’une des plus fortes hausses au niveau national. Et certaines régions déjà très fragilisées, comme celles du Nord-Est, ont continué de s’enfoncer. Sur le seul deuxième trimestre 2012, la Franche-Comté a perdu 2 400 emplois. « Les amortisseurs publics étaient jus qu’ici plus puissants que les crises économiques. Ils protégeaient les territoires, souligne Laurent Davezies, professeur au Cnam et auteur de La crise qui vient : la nouvelle fracture territoriale (éd. Seuil, 2012). Ce n’est plus le cas avec l’assèchement des finances publiques. C’est une vraie rupture de dynamique. Demain l’avenir des territoires tiendra plus à la compétitivité de leur production qu’aux emplois publics. »

D’où cette course à l’attractivité entre les territoires. Et des élus qui n’ont pas toutes les cartes en main pour convaincre les entreprises de s’implanter. En Bourgogne ou dans le nord de la France, ils en ont fait l’expérience avec Amazon (voir page 22). À ce jeu, les grandes métropoles s’en sortent bien mieux que le reste des territoires. C’est le cas de Nice (voir page 24) qui, comme Montpellier, a tendance à aspirer les emplois au détriment de sa périphérie. « On ne peut accepter que les métropoles captent l’ensemble de l’activité économique », a écrit, furibard, Jean-Jack Queyranne, le président de la région Rhône-Alpes, à Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation, à l’annonce de la mise en orbite du Grand Lyon, fin 2012. Et c’est sans doute à ce niveau, entre la France des métropoles et le reste de l’Hexagone, que les fractures territoriales seront les plus fortes dans les années à venir. « La France productive, marchande et dynamique se concentre aujourd’hui dans ces métropoles. Nantes, Rennes, Toulouse ont bien résisté à la crise. Mais celles-ci irriguent aussi leur hinterland, un territoire qui se situe dans un rayon de 100 kilomètres », poursuit Laurent Davezies. Dans l’espoir de profiter du développement économique de l’Ile-de-France, Reims a réactivé depuis deux ans l’Association des villes du Grand Bassin parisien qui s’étend géographiquement de Calais à Avallon et de Charleville-Mézières au Mans. Une mégarégion, avec Paris au centre, qui réunit des villes moyennes à une heure de Paris. « C’est un outil de collaboration qui nous permet de faire face à des tentatives concurrentielles », explique Karim Lakjaa, directeur de projet développement territorial à la direction générale des services de Reims Métropole.

C’est aussi une façon pour ces villes de ne pas seulement vivre dans l’ombre de la région parisienne et de peser sur les questions de transport, de logement, d’environnement, de formation. « Le schéma directeur de l’Ile-de-France prévoit par exemple la création de 70 000 logements. La région ne pourra pas accueillir tous ces nouveaux habitants. Nos villes, oui », assène-t-il. En attendant, partout en France, les villes moyennes créent des communautés de communes ou d’agglomération, des syndicats intercommunaux pour atteindre des tailles critiques qui leur permettront de résister à l’attraction des métropoles. Comme Saint-Dizier (voire page 26), qui se construit comme la ville commerciale et culturelle de proximité en Haute-Marne, quitte à déshabiller la préfecture du dé partement, Chaumont, et celle de la Meuse toute proche, Bar-le-Duc.

Pourtant, le nouvel acte de décentralisation, attendu avant l’été, devrait consacrer les métropoles en leur créant un statut ad hoc qui les dotera de compétences économiques autonomes. « Le risque est de voir se construire de nouvelles frontières entre ceux qui habitent la métropole et les autres. Si l’État ne met pas en place une régulation, nous irons vers la création de tiers territoires comme il existait un tiers état », alerte Luc Gwiazdzinski, responsable du master Innovation et territoires à l’université de Grenoble, qui souhaite un renforcement du rôle des maires, « seul échelon de proximité valable pour que les citoyens ne se sentent pas naufragés de la République ».

Autre son de cloche à l’Observatoire du dialogue et de l’intelligence sociale (Odis), qui défend le rôle des régions. « Avec le désengagement de l’État, la région est la seule à pouvoir jouer un rôle de péréquation entre les territoires et conduire une politique de cohésion sociale. Elle seule peut être garante de l’égalité territoriale », explique Jean-François Chantaraud, directeur général de l’Odis. Un slogan puissant qui s’étiole en temps de disette publique. En attendant que la prochaine loi de décentralisation tranche ou pas la question, la guerre des territoires n’est pas près de s’achever.

Christophe Guilluy, géographe-sociologue, auteur des Fractures françaises (François Bourin Éditeur, 2010).
« Le débat autour des territoires est déconnecté de l’enjeu essentiel »

Vous êtes l’un des théoriciens des nouvelles fractures territoriales. Comment s’expriment-elles ?

Nous vivons un moment historique où les classes populaires, hier situées dans les grandes villes et leurs parcs locatifs, ne sont plus intégrées aux marchés de l’emploi les plus actifs, ceux de l’économie mondialisée, qui se situent dans les 25 métropoles françaises. Ces « villes-monde » font l’essentiel du PIB, créent de la richesse et de l’emploi, pour les plus qualifiés et les moins qualifiés. À côté, la France périurbaine – des villes petites et moyennes, de la ruralité – concentre les fragilités sociales et les classes populaires (ouvriers, indépendants, retraités) qui s’y sont recomposées autour de cols blancs. Ils y vivent une même réalité : des marchés de l’emploi peu dynamiques et la raréfaction de l’argent public qui met à mal les transferts sociaux soutenant ces territoires et conduit à une réduction des emplois publics. Cette nouvelle géographie sociale entre la France métropolitaine et celle des périphéries nécessite de redéployer les politiques publiques, de revoir l’échelle d’intervention. Car la fracture s’accentue, et il n’y aura pas de retour en arrière.

L’acte III de la décentralisation, en préparation, prend-il en compte cette nouvelle réalité ?

Le débat autour des territoires reste très technocratique, et politique. Le plus frappant est qu’il rebat des questions déjà posées… il y a vingt ans. À l’époque, on interrogeait déjà la pertinence des départements. On parle aujourd’hui de doter les métropoles de compétences économiques. Ce qui risque de rajouter un niveau d’intervention à un mille-feuille déjà fourni. Je ne distingue pas la dynamique d’ensemble. Surtout, ce débat autour des territoires est déconnecté de l’enjeu essentiel : quelle intégration économique pour les 60 % de la population française vivant hors des métropoles ?

Quelle serait, pour vous, l’échelle pertinente d’intervention des politiques publiques ?

Il est difficile de faire une réponse unique. Je n’ai pas de parti pris. À mon sens, l’échelle d’intervention doit prendre en compte les spécificités des territoires. En Ile-de-France, par exemple, l’aire urbaine est à l’échelle de la région : celle-ci devrait concentrer toutes les compétences, y compris le social et le logement dévolus au département. Tout cela nécessite un débat collectif, qui reste à ouvrir. L’évolution ne peut se faire sans un diagnostic partagé sur les nouvelles fractures territoriales. Les politiques n’ont pas encore mené cette révolution intellectuelle. À droite comme à gauche, ils veulent présider les métropoles et les intercommunalités des plus grandes villes. Aucun ne se bat pour porter la voix des territoires fragiles, de cette France des invisibles. Tant qu’il n’y aura pas un contrepoids politique à la France métropolitaine, rien ne changera. Propos recueillis par Anne Fairise

Quand Midi-Pyrénées rit…

Midi-Pyrénées est, avec l’Aquitaine, une région qui a continué à créer des emplois malgré la crise et à gagner des habitants. Une attractivité portée notamment par Airbus. L’avionneur a réalisé près de 4 000 embauches en 2012.

…la Picardie pleure

La région picarde plonge. C’est celle qui a perdu le plus d’emplois en France entre 2008 et 2010 (– 3,18 %). Après la fermeture de l’usine Continental de Clairoix, celle de Goodyear est actuellement en discussion : 1 200 emplois sont menacés.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy