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Rentabilité exigée !

Dossier | publié le : 02.04.2013 | Rozenn Le Saint

Les résultats des formations sont désormais analysés et évalués finement pour mesurer l’efficience des modules dispensés et s’assurer de l’amélioration de la rentabilité des salariés. Panorama des formules proposées.

Mesurer le retour sur investissement. Les responsables de formation n’ont que cette formule à la bouche. « Si j’écoutais tous les clients qui viennent me voir, je calculerais le retour sur investissement (ROI) pour 100 % des formations, confie François-Xavier Le Louarn, qui dirige Formaeva. Or cela demande le traitement d’énormément de données pendant des mois, c’est un travail de fourmi, car il faut neutraliser certains facteurs périphériques, hors formation, comme la motivation. La plupart du temps, une évaluation plus simple suffit ; on parle de retour sur attentes, return on expectation. » Toujours est-il que si l’évaluation poussée de la formation est de plus en plus à la mode, c’est parce qu’elle permet d’avoir une idée de l’efficience de l’argent investi par l’entreprise pour améliorer la productivité des collaborateurs.

Et aussi, pour Pierre Louart, maître de conférences en gestion des RH à l’IAE de Lille : « Nous sommes dans une société où l’on a besoin de milliards de chiffres pour se rassurer… Les services formation doivent de plus en plus défendre leur budget. Une grande partie du travail des DRH aujourd’hui consiste à se justifier. » Mais ces traitements de données massives le laissent très dubitatif. « Je ne crois pas en ces études. L’impact réel d’une formation est évaluable seulement un à deux ans après sa mise en place. On ne peut jamais vraiment savoir si l’amélioration des performances est due à son expérience ou bien à la formation elle-même. » Pourtant, les entreprises d’évaluation de la formation fleurissent, surfant sur cette culture du chiffre. Avec chacune leur technique, entre les calculs de ROI, les simples questionnaires, parfois accompagnés de quiz et d’entretiens avec le manager ou non. Le panel des évaluations possibles est très étendu… Autant que la fourchette de prix, qui varie de 50 euros l’évaluation d’un groupe de stagiaires à… 40 000 euros pour un ROI poussé. Alors mieux vaut cibler précisément ce que l’on souhaite calculer pour choisir la méthode d’évaluation sur mesure. Tour d’horizon des différentes offres.

Efficienza

Des chiffres à tour de bras

Créées en 2011, les études d’Efficienza reprennent le principe du ponte de l’évaluation statistique de la formation, Donald Kirkpatrick, en ajoutant la notion de ROI de Jack Phillips. En brassant des centaines de données, telles que l’âge de l’apprenant, son expérience, son lieu de travail, etc., le ROI, ou bien le ROE (return on expectation), est calculé. Selon Julien Dufour, associé chez Efficienza, ces indicateurs permettent d’évaluer précisément les impacts d’une formation sur le terrain. « Par exemple, en étudiant les performances commerciales de vendeurs d’un constructeur automobile, nous nous sommes rendu compte que ceux basés dans des concessions rurales sous-performaient, illustre-t-il. Les techniques de vente ne sont pas les mêmes, il faut aller chercher les clients. Les formations doivent être adaptées à cette problématique précise. »

Mais pour évaluer les performances des salariés, encore faut-il qu’elles soient chiffrables. Les entreprises clientes en sont conscientes et demandent à Efficienza de mesurer, par exemple, uniquement l’efficacité des commerciaux. Deuxième limite : comment différencier la part de performance attribuée aux compétences acquises grâce à une formation, celle qui est le résultat de l’expérience du salarié ou de tout autre élément exogène ? « Les entreprises détiennent une mine d’informations habituellement non exploitées, comme le turnover, l’ancienneté, etc. Avec des statistiques poussées, nous parvenons à déterminer les apports réels d’une formation », assure Julien Dufour.

Mais l’universitaire et consultant Pierre Louart n’en démord pas : « Ces statistiques sont simplement réutilisées pour mettre un chiffre sur ce que l’on veut faire croire. » En témoigne Nathalie Roussy, directrice formation et qualité chez Penelope Agency, satisfaite de l’étude de ROI d’Efficienza sur l’impact d’une formation de connaissance et vente d’un produit, réalisée auprès de 2 500 animateurs commerciaux. « Nous avions pressenti que mixer de la formation présentielle et de l’e-learning était la bonne formule. L’étude nous a confortés dans cette démarche, assure-t-elle. Cela nous a permis de continuer sur cette voie et nous a apporté des chiffres précis, des données factuelles pour argumenter auprès de nos clients et leur montrer que les formations que nous donnons pour mettre en valeur leurs produits sont efficaces. » En moyenne, la prestation d’Efficienza dure un mois et coûte entre 10 000 et 15 000 euros. « Il faut ramener ce tarif à celui d’une journée de stage, justifie Julien Dufour. En temps de crise, il est important de tailler au plus près du corps des formations proposées. Et puis ces missions n’ont pas vocation à être récurrentes. On peut rester trois ans sans calculer son ROI. »

Formetris

Des questionnaires anonymes basiques

Créé en 2005, Formetris est une des entreprises françaises les plus anciennes dans le domaine, qui propose des études également fondées sur le traitement de données, mais beaucoup moins poussées… Et aussi beaucoup moins chères. Pour évaluer un groupe de formation, cela coûte entre 50 et 200 euros. L’équipe d’une quinzaine de statisticiens de Formetris sait calculer les ROI, mais ce type d’étude est très minoritaire. Il ne concerne que de 1 à 5 % du total. Le traitement des données exploite des questionnaires sur le déroulement de la formation auxquels les stagiaires répondent « à chaud », juste après la formation, puis « à froid », généralement quatre mois plus tard, pour apprécier l’atteinte des objectifs personnels fixés. « Jauger la formation lors de l’entretien annuel d’évaluation est une fausse bonne idée ; il y a déjà beaucoup de sujets à aborder. Remplir le questionnaire à deux également. La parole de l’apprenant n’est pas libre si elle s’exprime en présence de son manager. L’anonymat des questionnaires est la formule la plus pertinente », estime Nicolas Méary, président de Formetris.

L’évaluation permet surtout d’apprécier l’offre et de la rajuster en fonction du ressenti des collaborateurs. Mais, pour certains métiers dont la productivité est quantifiable, tels que les commerciaux ou les postes en usine, l’impact des formations sur les résultats est aussi estimé. La centaine de clients de Formetris (Adecco, EDF, Total, Renault, etc.) propose souvent les mêmes formations. Ils peuvent alors comparer les ressentis des collaborateurs des différentes entreprises. « Nos études permettent d’objectiver les impressions des responsables de formation, elles apportent des arguments pour faire changer les offres ou les prestataires puisque nous leur soumettons également une liste d’organismes de formation qui obtiennent les meilleurs résultats », indique Nicolas Méary.

Pour Maryline Prouet, responsable formation fonctions centrales de Sanofi-Aventis, le traitement automatisé des données par Formetris représente un précieux gain de temps. « Auparavant, nous tenions à évaluer les formations systématiquement, mais nous le faisions manuellement… Depuis trois ans, les questionnaires distribués un jour après la formation et traités par Formetris donnent des résultats plus pertinents et plus réalistes qu’un simple tour de table à chaud », indique-t-elle. Avant, l’entreprise n’était pas non plus adepte de l’évaluation à froid, car trop « chronophage ». Mais aujourd’hui, la responsable RH du groupe pharmaceutique l’affirme : « Elle permet de conforter nos choix de prestataires et de formateurs. Cela professionnalise l’évaluation et nous donne une idée du retour sur investissement des formations ou, en tout cas, de leur efficience. » Même écho chez Elior. Son responsable formation, Gilbert Fassel, estime que « les évaluations représentent un outil pour piloter au plus près l’évolution des formations proposées, de se poser la question de l’obsolescence de certains modules en croisant les informations des différents collaborateurs et d’avoir des rendez-vous réguliers avec les prestataires de formation. »

Quant au coût, « on n’y pense même plus, il fait partie intégrante du prix de revient d’une session de formation », affirme le responsable RH du groupe de restauration. D’autant plus que ces évaluations ont par exemple permis de montrer les économies qu’elles engendrent, par exemple sur la consommation de matières grasses pour la cuisson des aliments, diminuée grâce à une technique apprise en stage. Un intérêt certain en temps de crise, car « les budgets connaissent des restrictions. On nous demande en permanence de dépenser mieux, surtout depuis l’an dernier, puisque les possibilités de financement de la formation par les Opca ont été réduites (voir article page 71) », indique Gilbert Fassel. Une limite, néanmoins : l’anonymat des questionnaires ne pousse pas aux échanges entre les stagiaires et leur manager sur la mise en œuvre des acquis de la formation.

Formaeva

Des quiz et un « plan de progrès »

Formaeva préconise, en plus des questionnaires à chaud et des quiz pour mesurer l’étendue des connaissances des collaborateurs (avant et après la formation), des entretiens à froid avec le manager. Juste après l’évaluation, l’apprenant élabore un « plan de progrès » avec son manager, puis, durant un entretien effectué quelques semaines après, ils font ensemble le point sur les savoirs acquis lors de la formation et leur application. « Nous ne sommes pas dans une logique de flicage, mais les managers se rendent souvent compte qu’il existe une grande déperdition entre l’apprentissage et la mise en pratique, explique François-Xavier Le Louarn, qui a fondé Formaeva fin 2005. Cela peut être dû à un manque d’implication de la personne formée, mais aussi de son manager. » C’est pour cette raison qu’Auchan est devenu client de Forma eva il y a plus de deux ans. « L’évaluation permet aux salariés d’être responsabilisés sur l’évolution de leurs compétences et à des binômes composés d’un collaborateur et d’un manager d’aller plus loin dans les attentes de mise en pratique des formations », indique Gérard Carrié, responsable emploi et formation du géant de la distribution.

La Banque populaire Caisse d’épargne (BPCE) y a eu recours parce qu’elle souhaitait développer son offre « assurance ». Avant de dispenser une formation massive à ses 20 000 collaborateurs, elle a préféré mesurer en amont les connaissances via un quiz. Ainsi, l’entreprise s’est aperçue que la moitié des commerciaux seulement avait besoin d’être formée sur le produit. « Cela nous a permis d’économiser en termes de coût pédagogique, mais également de faire gagner du temps aux collaborateurs puisque ceux d’entre eux qui disposaient déjà du niveau de formation nécessaire en matière d’assurance ont pu, ainsi, être dirigés vers une formation plus en adéquation avec leur besoin », indique Gwennola Fouquet, responsable de projet formation du groupe. L’automatisation des évaluations de Formaeva varie entre 100 et 2 000 euros par mois, selon la taille de l’entreprise et la formule choisie.

L’arrivée sur le marché de ces sociétés spécialisées ne met pas pour autant au placard les évaluations en interne réalisées par les services de formation. « Rien ne vaut un quiz pour évaluer les notions apprises à l’issue de la formation et un entretien avec le manager pour ancrer les nouvelles méthodes à mettre en pratique. À plus long terme, je plébiscite aussi l’observation des collaborateurs par leurs managers sur le terrain et la mise en place des livrets individuels de formation », estime Agnès Ou, responsable formation de Kompass international. Bonne vieille méthode ou nouvelle à la mode, à chaque entreprise d’évaluer l’offre la plus adaptée.

Auteur

  • Rozenn Le Saint