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Vie des entreprises

Des distributeurs d’eau au coude-à-coude sur le social

Vie des entreprises | Match | publié le : 02.03.2013 | Nicolas Lagrange

Salaires, avantages sociaux, formation, dialogue…, malgré la nouvelle donne du marché, les salariés de Veolia Eau et de Lyonnaise des eaux restent bien lotis. Mais les deux poids lourds pèchent sur la pénibilité.

Fini, les rentes de situation pour les deux mastodontes français de la distribution d’eau, le leader Veolia Eau (ex-Générale des eaux) et son challenger la Lyonnaise des eaux… Les deux vieilles dames, plus que centenaires, qui étaient confortablement assises sur des concessions pouvant aller jusqu’à quatre-vingt-dix-neuf ans, sont contraintes de renégocier d’ici à février 2015 la plupart de leurs contrats avec les collectivités locales. En cause : l’arrêt Olivet du Conseil d’État du 8 avril 2009 qui interdit des durées supérieures à vingt ans. Résultat : les deux groupes et la Saur (troisième acteur français) se livrent une guerre des prix féroce face à des municipalités devenues méfiantes et exigeantes. Moyennant des baisses qui atteignent fréquemment 10 à 20 %, les distributeurs parviennent le plus souvent à conserver leurs clients. Mais quelques communes, à commencer par Paris (en 2010), Vierzon, Saint-Malo ou Évry, ont repris en direct la gestion de leur réseau.

Lourd endettement des groupes.

La tendance est inquiétante, d’autant plus que les deux concurrents sont confrontés au lourd endettement de leurs groupes respectifs, Veolia Environnement et Suez Environnement. Veolia Eau (près de 40 % du marché de l’eau potable) reconnaît que le marché ne se porte pas très bien, alors que la Lyonnaise des eaux (près de 20 %) se targue d’avoir su transformer son modèle pour faire face à la nouvelle donne. En tenant compte des critères sociaux, en encourageant les économies d’eau par une nouvelle tarification, en associant davantage les collectivités à la gouvernance ou encore en proposant de partager avec elles l’éventuel surplus de bénéfices annuels.

La fin de l’âge d’or n’a pas occasionné d’impacts sociaux négatifs pour les salariés qui travaillent dans les stations de pompage ou d’épuration, règlent les débits, réparent les fuites, relèvent les compteurs ou gèrent les changements de contrats des clients. Les recrutements ont, certes, nettement ralenti, mais les effectifs sont stabilisés et, actuellement, le seul plan de départs volontaires en cours vise une centaine de postes sur 500 au siège de Veolia Environnement. Dans les deux groupes, la précarité est limitée (plus de 93 % de salariés sont en CDI).

Défi commun, les deux grands de l’eau doivent rationaliser leur organisation et investir dans les nouveaux métiers, plus axés sur les services aux collectivités, aux professionnels et aux particuliers et sur les innovations technologiques : surveillance du réseau à distance, outils de suivi de la qualité biologique de l’eau, détection automatique des fuites, télérelève des compteurs… Un vrai défi pour Veolia Eau, qui compte aujourd’hui 430 unités opérationnelles (contre 270 pour la Lyonnaise). Au chapitre social, les règles ont été unifiées en 2009 entre la cinquantaine de sociétés qui composent l’UES, au prix d’un énorme travail. « Globalement, l’harmonisation s’est faite par le haut, on a maintenu les principales garanties sociales », se félicite Franck Le Roux, délégué syndical central de la CGT (numéro un). « Il a fallu presque dix ans pour parvenir à signer ce compromis, ajoute Hervé Deroubaix, son homologue de la CFDT (numéro deux). Mais son application est encore très variable selon les régions, malgré les efforts d’homogénéisation de la direction générale. » Car chez Veolia Eau, la résistance est forte. Une minorité de patrons d’unité opérationnelle se comportent de façon très autonome, et cela déteint sur les pratiques managériales, affirment en substance les organisations syndicales. « Certains managers déviants ne sont pas remis dans l’axe », assure Christophe Gandilhon, DSC de FO (troisième syndicat en termes de suffrages). La direction n’a pas souhaité s’exprimer, mais certains dirigeants considèrent que le problème est en voie de résorption. La Lyonnaise des eaux, quant à elle, veut s’appuyer sur le management pour expliquer sa nouvelle stratégie aux clients et aux salariés. Un guide de compétences managériales, axé sur les capacités de coopération, va être déployé et le système de classification des cadres être entièrement revu. Côté rémunérations, la situation est assez similaire dans les deux groupes, qui versent près de treize mois et demi de salaire à leurs employés. Et les niveaux de rémunération annuelle sont assez proches. Pour les ouvriers, employés et techniciens, avantage à Veolia Eau. L’accord d’harmonisation de 2009 garantit des hausses du salaire de base de 4 % tous les deux ans pendant les douze premières années, indépendamment des NAO. Reste que les négociations annuelles ont échoué début 2012, débouchant sur une grève nationale très suivie en juin. La direction a finalement accepté de relever les salaires de 0,8 %, au lieu de 0,5 %, et de verser une prime comprise entre 300 et 470 euros.

La CGT de Veolia reconnaît que les droits syndicaux vont bien au-delà du minimum légal

Pour les cadres, léger avantage à la Lyonnaise, avec un salaire médian annuel brut qui avoisine 71 000 euros. Depuis 2011, les NAO se soldent par un constat de désaccord mais, l’an dernier, la direction a octroyé unilatéralement 1,3 % de hausse collective. Grâce à l’épargne salariale, les salariés des deux groupes peuvent gagner l’équivalent d’un mois de salaire les bonnes années, mais les montants sont en diminution. En 2011, les salariés de la Lyonnaise ont perçu près de 800 euros en moyenne au titre de la participation et près de 900 euros pour l’intéressement, un tout petit peu plus que ceux de Veolia Eau. Par ailleurs, la complémentaire santé-prévoyance des deux groupes comporte un haut niveau de garanties, avec une participation employeur de près des deux tiers (100 % pour la prévoyance des non-cadres de la Lyonnaise).

Difficile de départager les deux concurrents sur le temps de travail et les congés. Les salariés de Veolia sont à 35 heures et bénéficient de trente-six jours ouvrés de congé. Ceux de la Lyonnaise sont à 37 heures avec vingt-six jours ouvrés, auxquels s’ajoutent douze JRTT et un compte épargne-temps. « Il n’y a plus de CET à Veolia Eau, déplore Christophe Gandilhon, de FO, juste un système de rachat de cinq jours pour les cadres en fin d’année. Les astreintes sont nombreuses et compliquent la prise des congés. Conséquence : de nombreux salariés rencontrent des difficultés pour prendre tous les jours auxquels ils ont droit et certains en perdent. »

Astreintes, pomme de discorde.

Indispensables pour la continuité du service, les astreintes sont une pomme de discorde dans les deux groupes. Les syndicats souhaitent des aménagements pour réduire la fatigue occasionnée et réclament des revalorisations conséquentes. Même consensus syndical sur la pénibilité, qui ne serait pas suffisamment prise en compte. Près de 40 % des salariés de Veolia Eau sont exposés à au moins un facteur de pénibilité. « Pas assez pour déclencher une négociation obligatoire, mais assez pour traiter le problème », estime le cégétiste Franck Le Roux, qui qualifie par ailleurs l’accord seniors d’« insignifiant ». « C’est de l’affichage », approuve son homologue de la CFDT, Hervé Deroubaix.

À la Lyonnaise, « les dispositions seniors sont défensives, avec des objectifs trop faciles à atteindre », critique Jean-Luc Vignon, le DSC FO (deuxième syndicat). « Nous appliquons nos engagements sur le taux de recrutement et le taux de formation, nous avons mis en place des actions en matière de santé, nous abondons le CET dans le cadre de la préparation à la retraite, se défend le DRH, Frédéric Henrion. Sur la pénibilité, nous avons déjà eu des discussions dans le cadre d’autres négociations et nous ne sommes pas opposés à les poursuivre, mais nous devons d’abord nous consacrer au déploiement d’accords importants discutés depuis deux ans. » Paraphé par les cinq syndicats représentatifs en septembre dernier, l’accord sur l’emploi et la responsabilité sociale de la Lyonnaise contient ainsi de nombreux dispositifs visant à améliorer l’employabilité des salariés : observatoire des métiers, bourse d’emplois interne renforcée, mutations temporaires volontaires sur d’autres fonctions… Le texte pérennise aussi « l’accélérateur de carrière », un programme de professionnalisation de dix-huit mois pour devenir agent de maîtrise, proposé à 35 salariés dans l’année. En outre, les 15 DRH régionaux et le DRH national se réunissent tous les mois pour échanger sur les postes à pourvoir et les redéploiements.

Léger avantage aux cadres de la Lyonnaise, avec un salaire annuel médian proche de 71 000 euros

« Cela permet aux salariés qui travaillaient sur les canalisations en plomb [progressivement remplacées par du PVC] de commencer à se repositionner sur d’autres métiers en devenir, via des formations adaptées et des aides à la mobilité géographique. L’accord sur les nouveaux emplois repères [non signé par la CGT], relié à la classification de la branche, favorise également un meilleur déroulement de carrière. En revanche, les passerelles entre les différentes filiales de Suez Environnement restent marginales », plaide Cédric Tassin, de la CFDT.

Chez Veolia Eau, l’accord groupe GPEC de Veolia Environnement, qui date de mars 2011, n’a jamais été mis en œuvre. Le 10 janvier dernier, les organisations syndicales ont interpellé la direction pour ouvrir une discussion sur les orientations stratégiques et la mise en place d’un observatoire des métiers et de six comités mixtes emplois-compétences qui devaient se réunir une fois par trimestre. Le top management invoque la lourdeur de la transformation (engagée depuis 2009) des statuts, mais aussi de l’organisation, avec une focalisation sur les filières métiers plutôt que sur les territoires (projet Hellebore), ce qui suppose un changement culturel important. Veolia dispose pourtant d’atouts pour travailler sur la gestion de carrière avec ses campus de formation et un effort financier avoisinant 3,5 % de la masse salariale en 2012. Quant aux jeunes en alternance, les trois quarts de ceux qui terminent leur cursus seraient embauchés en CDI ou en CDD. La Lyonnaise fait moins bien, mais souligne que l’objectif de 4 % d’alternants dans l’effectif total est atteint et que l’effort de formation représente 4 % de la masse salariale.

Difficile de départager les deux rivaux sur la RSE. En matière de handicap, la Lyonnaise des eaux revendique un taux d’emploi direct de 3,4 %, en forte progression depuis 2006. Le recours aux prestations des centres spécialisés lui permet d’atteindre 5,4 %, pas très loin de l’obligation légale. De son côté, Veolia Eau a mis en place une politique originale de sensibilisation des managers : « Chaque direction régionale qui n’atteint pas le seuil de 6 % se voit imputer la pénalité financière sur ses propres résultats. Cela a permis de parvenir à un taux de près de 4 % », souligne Christophe Gandilhon, de FO. En matière d’égalité professionnelle, en revanche, le bilan est plus mitigé. Certes, Veolia compte 26 % de femmes cadres alors que la population féminine ne représente que 22 % de l’effectif. Mais les écarts de salaires seraient d’au moins 15 % selon la CGT. À la Lyonnaise, où les femmes sont également davantage représentées chez les cadres, les écarts salariaux sont réduits, selon la direction (5 % au plus) ; mais atteindraient 20 % chez les cadres d’après la CGT. La direction a opéré depuis quatre ans des rattrapages pour 200 salariés… dont 50 % d’hommes.

Des relations sociales « aimables ».

« Même s’il y a des sujets de tension, le DRH est ouvert au dialogue et on obtient des réponses », reconnaît Cédric Tassin, délégué syndical central CFDT de la Lyonnaise. Quelques dispositions visent à assurer aux représentants du personnel (8 % de l’effectif) un déroulement de carrière normal. « On a présenté plusieurs demandes de rattrapage individuel à la direction, assure Philippe Jacquet, DSC CGT (premier syndicat), qui évoque des relations sociales « aimables et polies ».

Chez Veolia Eau, où 10 à 12 % des salariés ont un mandat, la CGT souligne que les droits syndicaux vont bien au-delà du minimum légal. La CFDT n’en dénonce pas moins la survivance, localement, de pratiques de répression syndicale et de discrimination salariale, tout comme FO, dont le contentieux avec la précédente direction n’est pas soldé.

Globalement, les salariés des deux groupes sont bien protégés. Le turnover est faible et l’ancienneté moyenne élevée : treize ans à la Lyonnaise, douze chez Veolia, où près d’un tiers de l’effectif a été embauché il y a plus de vingt ans !

Veolia Eau en France

Effectif :

15 000 salariés

Chiffre d’affaires 2011 :

4,5 milliards d’euros

Population desservie en eau potable :

24 millions de personnes

Lyonnaise des eaux en France

Effectif :

7 550 salariés

Chiffre d’affaires 2011 :

2,4 milliards d’euros (y compris les filiales)

Population desservie en eau potable :

12,3 millions de personnes

La Saur mise sur le dialogue social

Bien implantée dans les communes rurales, la Saur, troisième entreprise du secteur de l’eau avec 7 000 salariés, est de plus en plus concurrencée sur les petits contrats. « Les grèves sont rarissimes, le dialogue social est très constructif, assure Frédéric Buonafortuna, délégué syndical central FO (première organisation). La direction nous rencontre régulièrement pour échanger sur la stratégie. » Yves Ardil, son homologue de la CGT, est plus critique sur le climat social. Plusieurs accords font néanmoins consensus. Celui sur l’égalité des chances, signé à l’unanimité, garantit aux représentants du personnel des hausses individuelles au moins égales à la moyenne des augmentations dans leur catégorie.

La commission égalité des chances, diversité, emploi des seniors du CCE publie son compte rendu annuel dans le rapport « développement durable du groupe ». Par ailleurs, la proportion de femmes embauchées doit être équivalente à celle des candidates. Même chose pour les seniors. « Depuis 2012, un accord sur la santé au travail permet de repérer les populations à cibler prioritairement et de mettre en œuvre des plans d’action », indique la DRH, Valérie Decaux. Une commission nationale de santé au travail a été créée et une cellule d’accompagnement psychologique mise en place. En termes de rémunération, la NAO a abouti à 2,4 % de revalorisation en 2011 et 2012, sans compter les mesures de rattrapage individuel systématisées.

Mais les salaires sont moins élevés, en moyenne, que chez les concurrents, selon les données sociales que nous avons consultées. « Certains salariés peuvent rester au même échelon pendant des années », déplore le délégué CGT. « Les astreintes sont également moins bien rémunérées », juge le représentant CFDT, Gilles Philippotaux. Un gros travail est fait sur l’alternance, mais l’effort de formation est passé au-dessous de 2 % de la masse salariale. L’actualité de la Saur est aussi tournée vers son actionnariat, le FSI, premier actionnaire de la société avec 38 % du capital, cherchant une solution de reprise.

Auteur

  • Nicolas Lagrange