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Vie des entreprises

Chez Webhelp, Olivier Duha flexibilise sur toute la ligne

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 02.03.2013 | Anne-Cécile Geoffroy

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Un effectif en progression constante

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Après la perte de gros contrats, le spécialiste de la relation client, qui a bâti son développement sur l’offshore, cherche à doper la souplesse de ses centres français. Tout en fidélisant ses troupes et en professionnalisant le métier.

Un peu d’info, beaucoup d’intox. Quand, au cœur de l’été, Olivier Duha et Frédéric Jousset, les coprésidents de Webhelp, 10 500 salariés dans 25 centres d’appels en France et à l’étranger – sans compter les 6 500 téléconseillers de la filiale anglaise de HEROtsc que le groupe vient de racheter à l’heure où nous bouclons –, annoncent la perte de leur contrat avec le Syndicat des transports d’Ile-de-France, parti à la concurrence offshore, ils ne s’attendaient pas à être pris dans le maelström médiatique. Arnaud Montebourg, tout à la défense de l’emploi made in France, était monté au créneau. Sans succès. Rebelote fin janvier, avec Laurent Wauquiez annonçant sur France 2 la fermeture d’un site de Webhelp et la suppression d’une centaine de postes. « Il y est allé un peu fort », admet du bout des lèvres Olivier Duha, proche de l’ancien ministre.

Tout ce remue-ménage anxiogène, les salariés de Webhelp à Fontenay-le-Comte, en Vendée, et à Saint-Avold, en Moselle, où était « logé » le fameux contrat, s’en seraient bien passés. « Au lieu de faire du blabla, que ces politiques viennent nous aider concrètement, s’agace Nadège Chainier, la déléguée syndicale CFDT du site vendéen. Seuls notre directeur et Hugues Fourage, notre député-maire, se sont bougés pour sauver les emplois à Fontenay. »

Depuis, le site a récupéré deux petits contrats. Mais la perte, en 2012, de gros clients comme Virgin Mobile, Canal Plus, l’UCPA et surtout, en fin d’année, Orange n’a pas rassuré des salariés davantage habitués à la success story façonnée par Olivier Duha et Frédéric Jousset. Quand le premier arpente les plateaux télé avec sa casquette de président de CroissancePlus, une association d’entrepreneurs, pour défendre le smic jeunes, le second, membre de la commission des acquisitions du musée du Louvre, joue sur la corde de la responsabilité sociale en présidant la Fondation Webhelp. Un tandem qui cherche sa croissance à l’étranger en stabilisant l’activité en France.

1- Bâtir une culture de groupe.

Contrairement à ses principaux concurrents, Webhelp a misé sur l’offshore dès sa création. En Roumanie d’abord, puis au Maroc, avant d’ouvrir un premier centre à Caen en 2005. Sept ans après, le groupe compte sept sites dans l’Hexagone qui emploient 3 000 salariés. Au Maroc, Webhelp est l’un des très gros employeurs privés du royaume, avec 6 500 salariés dans 11 centres. Il est aussi présent en Algérie et, depuis peu, en Belgique. Pour bâtir une image de groupe, cette entreprise internationale s’est dotée de valeurs communes à l’ensemble des sites : l’exemplarité, la reconnaissance, l’engagement, l’unité et le « Wahou », une valeur plus fun que les salariés ont parfois du mal à décoder. « La culture RH est très décentralisée, reconnaît Valérie Magrez, la DRH France. Chaque site négocie ses accords en fonction de ses contraintes locales et des clients attachés aux sites. »

C’est d’ailleurs la proximité des clients et les aides financières proposées aux entreprises qui s’installent dans des bassins en revitalisation qui ont présidé aux choix d’implantation des centres d’appels Webhelp. Pour les représentants de la CGT, « l’entreprise cherche à tout prix à ralentir la constitution d’un comité de groupe ou d’une unité économique et sociale. Nous avons eu une seule réunion sur le sujet depuis juin 2012, et nous portons cette revendication depuis 2009 ».

Olivier Duha le reconnaît lui-même, les effets de seuil ne sont pas compatibles avec son secteur d’activité. « À Caen, nous nous sommes posé la question de passer à 1 000 personnes, mais cela pose tant d’obligations en termes de droit du travail, comme doubler le nombre de représentants du personnel, que nous y avons renoncé. » Par ailleurs, un accord pour la constitution d’un comité de groupe a fait long feu il y a deux ans, dénoncé par FO et la CFDT. « Nous ne le souhaitions pas car un comité de groupe ne donne pas accès aux comptes des différentes filiales. Ce que permettrait le comité central d’entreprise », indique Corinne Rondel, DS FO à Vitré.

Difficile également de créer une culture Webhelp quand les opérateurs sont imprégnés de celle du client. À Vitré, le projet Virgin Mobile, à l’origine de l’ouverture du centre d’appels, s’est arrêté en début d’année. « Les salariés en avaient gros sur le cœur, raconte Corinne Rondel. C’était le client phare de notre site. À force, certains se sentaient plus Virgin que Webhelp. » Une double culture « nécessaire » pour Olivier Duha, car « les chargés de clientèle doivent représenter une marque ». Pour faire contrepoids, l’entreprise mise sur le jeu et la convivialité. Fêtes annuelles, comme les bubble parties, lipdub mis en ligne sur YouTube, défis commerciaux qui récompensent les meilleurs chargés de clientèle en affichant leurs noms sur les murs des bureaux… sont régulièrement organisés.

2-Gagner encore en flexibilité.

« Le seul rempart à la récession et au chômage, c’est la compétitivité de nos entreprises. Le contrat de travail ne protège rien et les 35 heures jouent contre nous », affirme Olivier Duha. Pour trouver un peu plus de flexibilité, Webhelp a engagé des négociations sur l’annualisation du temps de travail. Jusqu’ici, seuls trois sites du groupe sont concernés : Caen (où la CGT n’a pas signé), Lacroix-Saint-Ouen et Vitré. À Saint-Avold, l’équipe CFDT coachée par Jacques Stirn, responsable de la branche télécoms et prestataires de la CFDT Lorraine, voit arriver le projet avec méfiance : « Ces accords peuvent être à double tranchant. » Dans le business des call centers externalisés, les contrats signés avec les donneurs d’ordres dépassent rarement trois ans et ne sont jamais certains d’être renouvelés. « L’entreprise évolue sur un marché très concurrentiel. On a besoin de flexibilité pour nos clients », plaide Axel Mouquet, directeur du site de Lacroix-Saint-Ouen.

Dans les centres passés à l’annualisation, les salariés travaillent désormais sur un principe de semaines hautes (de quarante ou quarante-deux heures sur onze à douze semaines dans l’année) et de semaines basses (vingt et une heures). « L’entreprise s’est engagée à regrouper les journées de travail en semaine basse pour ne pas désorganiser la vie de famille », note Arnaud Defrance, délégué syndical CFDT du site oisien. Reste que si les accords ont été signés, ils ne passent pas bien chez les salariés. « Nous avons encore un travail de communication à réaliser pour faire accepter cet accord. Un comité de suivi a été mis en place pour accompagner son déploiement et corriger les éventuels problèmes », veut rassurer le directeur.

« L’objectif de ces accords est aussi d’avoir moins recours à l’intérim », ajoute la DRH. Si 70 % des salariés sont en CDI, les intérimaires représentent en moyenne 28 % des effectifs, avec des pics à 40 % dans les périodes chargées comme les soldes ou la préparation des fêtes de fin d’année. Et si les salariés en CDI peuvent être réaffectés à d’autres clients, les intérimaires sont les premiers à souffrir de la perte des contrats. « On aimerait sauver nos intérimaires qui travaillent avec nous depuis dix-huit mois », souligne Nadège Chainier à Fontenay-le-Comte où, sur 98 salariés, 43 sont en intérim. Une trentaine sera partie fin février.

3-Fidéliser les troupes.

Même s’il n’est pas le plus mauvais élève dans son secteur, Webhelp enregistre en France 20 % de turn-over en moyenne. Mais sur certains sites, comme à Caen qui emploie plus de 800 personnes, il peut atteindre 30 %. Il est moindre dans les petits centres excentrés de Saint-Avold, Montceau-les-Mines ou Gray. Et grimpe, au Maroc, à 30-35 %. « Les Marocains que nous recrutons sont des jeunes gens très bien formés. Ils trouvent chez nous un premier job et cherchent ensuite à entrer dans l’administration marocaine », explique Olivier Duha.

Du coup, l’entreprise ne lésine pas sur les moyens pour fidéliser ses salariés. Des sièges massants, une salle de repos avec baby-foot et jeux de fléchettes, le centre d’appels de Lacroix-Saint-Ouen sorti de terre en 2011 près de Compiègne est la nouvelle vitrine de l’entreprise en France. Sur les plateaux, les postes de travail des conseillers clients sont séparés par des cloisons antibruit pour atténuer le niveau sonore et répondre aux normes fixées par l’INRS. Au Maroc, les salariés de Webhelp ont même droit à des salles de sport, un service de transport gratuit, trois crèches. Des avantages que regardent avec envie les salariés français.

« Ce n’est pas la formation qui peut régler le problème du turn-over, ni la qualité des chaises ou le fait de proposer des places de crèche. Il faut le faire, mais ça n’est pas suffisant, assure Olivier Duha. Pour prévenir le désengagement de nos salariés, nous avons mis en place un questionnaire de satisfaction anonyme, le Satsa. Tous les quatre mois, nous demandons à nos salariés de nous juger sur 35 critères comme les conditions de travail, le matériel mis à disposition, l’efficacité des supports internes, la gestion de projet. » Selon la direction, plus de 85 % des salariés ont participé à la dernière enquête. « Sauf que lorsque j’ouvre mon bulletin de salaire, c’est plutôt l’effet non Wahou, se moque un chargé de clientèle de Vitré. Je suis rémunéré 1 464 euros brut hors primes. Et celles-ci ne sont pas franchement mirobolantes. La dernière tournait autour de 80 euros. »

Et ce ne sont pas les dernières négociations annuelles obligatoires qui vont mettre du beurre dans les épinards. « Nous n’aurons rien cette année à Fontenay-le-Comte, note Nadège Chainier à la CFDT, qui espérait tout de même une petite augmentation, voire la mise en place d’une prime d’ancienneté qui n’existe pas chez Webhelp. « Rien non plus à Vitré », assure Corinne Renou, chez FO. Sur les deux sites, la direction a pris le prétexte des droits d’alerte enclenchés par les comités d’entreprise après la perte de plusieurs contrats pour ne pas proposer d’augmentation. À Paris, Valérie Magrez, la DRH, compte mettre en place en mai prochain un bilan social individuel pour « que tout le monde prenne la mesure de son niveau de salaire, explique-t-elle. Avec les augmentations successives du smic, les salariés peuvent avoir un sentiment de régression. Mais au salaire fixe s’ajoutent environ 10 % de variable, une participation, une mutuelle ».

4-Professionnaliser le métier et le management.

Webhelp a une ambition : casser l’image misérabiliste des métiers des call centers et de leurs « OS des temps modernes » contraints d’enchaîner les appels en suivant scrupuleusement des scripts tout en étant écoutés par un superviseur adepte du management par la sanction. Une réalité à laquelle n’échapperait pas Webhelp selon certains délégués syndicaux citant l’utilisation abusive des « fiches managériales » rebaptisées depuis peu « fiches sanctions ». « Nous voulons devenir l’école de la relation client et que lorsque nos salariés nous quittent ils aient appris un vrai métier avec des compétences monnayables ailleurs », indique Valérie Magrez, qui cite en exemple la politique RH développée par McDonald’s. À Montceau-les-Mines, Webhelp a ainsi mis en place avec le Greta une formation de conseiller en contrat de professionnalisation.

Surtout, le centre d’appels a structuré depuis deux ans sa politique de formation autour de la Webhelp university, filiale du groupe. « Tous les nouveaux salariés y suivent un parcours d’intégration de trois jours, raconte Anthony Marie, responsable de formation sur le site de Lacroix-Saint-Ouen. Nous avons également développé trois modules de formation pour les aider à gérer leur stress, à répondre à des appels conflictuels ou encore à des clients haut de gamme. » Des parcours de formation d’une semaine sont aussi dédiés au métier de conseiller client et à celui de superviseur. Mais, explique une salariée du site de Montceau-les-Mines, « l’essentiel de la formation reste celle consacrée aux produits ou aux services que les téléopérateurs doivent vendre ». Le nerf de la guerre.

Repères

Avec 220 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012, Webhelp est le 3e centre d’appels du marché français. Dans l’Hexagone, il compte sept sites. Le dernier ouvert est celui de Compiègne. Le groupe a bénéficié des aides de l’État (5 350 euros par CDI créé) et de la commune de Compiègne (1 000 euros par CDI) dans le cadre de la convention de revitalisation faisant suite à la fermeture de l’usine Continental. Webhelp a investi 5,2 millions d’euros.

2000

Création de Webhelp. Ouverture d’un centre en Roumanie.

2002

Implantation au Maroc.

2005

Ouverture du premier site français à Caen.

2008

Rachat des quatre centres d’appels d’EOS Contact Center.

2013

Rachat des centres d’appels de la filiale britannique HEROtsc.

Un effectif en progression constante
ENTRETIEN AVEC OLIVIER DUHA, COPRÉSIDENT DE WEBHELP
“J’ai honte de payer mes salariés 1 250 euros net par mois, mais je n’ai pas le choix”

Comment va Webhelp après la perte d’une partie des activités Orange ?

Nous ne prévoyons ni fermeture de site ni licenciement, comme on a pu l’entendre. L’année 2012 sera sans doute la meilleure de toute notre histoire. Nous avons gagné 17 nouveaux clients et notre chiffre d’affaires est en croissance de 10 %. La restructuration extrêmement violente de la filière télécoms avec l’arrivée de Free contraint les opérateurs à réduire la voilure. Cela nous pose des soucis d’adaptation. 50 % de notre chiffre d’affaires sont réalisés dans les télécoms. Notre handicap, c’est aussi d’être en très bonne santé financière. Quand un client comme Orange doit « débrancher » un prestataire, il choisit celui qui peut supporter le choc. C’est une façon d’atténuer l’impact social. Le contrat Orange concerne 450 salariés et non pas 1 800 comme cela a été dit. Deux cents travaillent à Compiègne où le projet va progressivement s’arrêter. Au Maroc, le contrat se poursuit et concerne 250 collaborateurs.

Comment améliorez-vous l’image de votre secteur ?

Pour être honnête, on n’a pas encore réussi à changer cette image. Le métier évolue mais il reste très fatigant pour nos équipes car le consommateur est de plus en plus exigeant. Il faut en rajouter dans la convivialité. Les centres d’appels subissent aussi une pression sur la productivité très forte. Nos donneurs d’ordres nous paient au contact, indexé sur des temps de communication moyens. Si on dépasse ces durées de communication, on perd de l’argent. Beaucoup considèrent encore que nous sommes des centres de coûts ; d’autres, heureusement, ont compris que le centre d’appels est un centre de profit.

Peut-on espérer une relocalisation des emplois en France ?

Ce n’est pas nous qui décidons de localiser ou relocaliser les emplois. Ce sont nos donneurs d’ordres. Les opérateurs télécoms transfèrent leur relation client au Maroc pour répondre aux exigences du consommateur. On vit dans un monde schizophrène où la défense du pouvoir d’achat et celle de l’emploi s’opposent en permanence. 80 % des Français ne sont pas prêts à payer plus cher un service client pour sauver des emplois. Nous n’avons pas de relais de croissance qui nous permettent de pallier la défaillance des télécoms. Tous les centres d’appels en France sont en surcapacité. En 2013, Webhelp ira chercher de la croissance à l’étranger.

L’accord sur la sécurisation de l’emploi vous apporte plus de flexibilité…

Le contrat de mission aurait fait du bien à nos entreprises mais il n’a pas été retenu par les partenaires sociaux. Au-delà de mon secteur, je suis partisan d’un contrat de travail unique. Cette souplesse nous aurait permis de recruter et de loger plus d’activités en France. Avec ce type de contrat, je n’aurais ni intérimaire ni CDD. Aujourd’hui, je dois chercher l’agilité dans la précarité de ces contrats de travail, ce qui n’est pas satisfaisant sur le plan sociétal. Surtout il faut réformer notre droit du travail très contraignant pour les entreprises de taille intermédiaire. Au-delà de 250 salariés, elles ont les mêmes devoirs que les grands groupes. Quand SFR peut mettre 200 millions d’euros dans son plan de départs volontaires, cela représente 5 % de son résultat d’exploitation. Si je devais moi aussi me séparer de 15 % des effectifs en France, cela me coûterait 120 % du résultat d’exploitation. Autant dire que je mets la clé sous la porte.

Vous êtes président de CroissancePlus, qui milite pour la fin des 35 heures. Pourquoi ?

En France, le coût de production complet d’une heure de centre d’appels tourne autour de 28 euros, de 24 euros en Allemagne et de 15 au Maroc. La différence entre la France et l’Allemagne ne se situe ni au niveau du salaire brut ni sur les charges, car nous bénéficions d’allégements sur les bas salaires, mais sur le temps de travail. Outre-Rhin, les salariés travaillent sept heures de plus par semaine. Le Medef ne veut pas rouvrir le dossier de peur de se mettre les syndicats à dos. Il faut présenter le sujet comme une opportunité pour les salariés, pas comme une menace. On a quand même un problème de pouvoir d’achat. J’ai honte de payer mes salariés 1 250 euros net par mois. Mais je n’ai pas le choix, autrement nous ne vendons plus de contrats.

Propos recueillis par Anne-Cécile Geoffroy et Sandrine Foulon

OLIVIER DUHA

43 ans.

1992

Consultant pour le cabinet de conseil en stratégie LEK Consulting.

1998

Rejoint le cabinet Bain & Company où il rencontre Frédéric Jousset.

2000

Cofonde et codirige Webhelp avec Frédéric Jousset.

2011

Président de CroissancePlus.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy