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Politique sociale

Intermittents : cinq scénarios pour une réforme

Politique sociale | publié le : 02.03.2013 | Rozenn Le Saint

Alors qu’ils représentent 3 % des bénéficiaires de l’assurance chômage, leur régime est responsable d’un tiers de son déficit. Une réforme est prévue d’ici à la fin de l’année. Mais les intermittents et leurs employeurs ont intérêt à ce que rien ne bouge.

Sur un point, les rapports de la Cour des comptes se suivent et se ressemblent. Depuis des années, ils mettent sous les feux des projecteurs le régime des quelque 100 000 intermittents du spectacle qui a creusé le déficit de l’assurance chômage de 1 milliard d’euros encore en 2012. Mais, cette fois, la rigueur dicte l’urgence. Les négociations des annexes 8 (ouvriers et techniciens du spectacle) et 10 (artistes) de l’assurance chômage, à l’origine prévues fin 2013, pourraient bien être avancées… Le but ? Combler les insuffisances de la réformette conclue il y a dix ans, censée rehausser les seuils d’accès au régime, et l’accorder strictement aux techniciens du spectacle et aux artistes. Mais des employeurs passent encore entre les mailles du filet, par exemple en déclarant toujours des hôtesses de caisse sous le statut d’intermittent.

Le changement de règles de 2003 avait pourtant poussé maquilleurs, comédiens et machinistes à monter au créneau en provoquant, par exemple, l’annulation du Festival d’Avignon. Un conflit qui a coûté son poste à Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture de l’époque. D’autres s’y sont frottés, depuis, mais toutes les tentatives de réforme d’envergure ont échoué. Car à la pression des intermittents s’ajoute dans les coulisses celle des employeurs du secteur, les principaux gagnants du système. Pour renforcer leur lobbying, les chaînes publiques viennent de se regrouper en un Syndicat des médias de service public (SMSP). Son but ? Faire bloc pour éviter une refonte de ce régime particulièrement généreux, qui fait figure d’exception française.

Un régime avantageux. Un intermittent du spectacle inscrit à Pôle emploi touche 13 800 euros d’allocations, en moyenne, par an. Son revenu total est de 27 000 euros annuels, dont moins de la moitié est constituée de salaires, donc, pour un temps de travail inférieur à 40 % d’un temps plein. « Le salaire des intermittents baisse mais leur revenu stagne grâce aux allocations chômage. C’est l’effet pervers d’un système trop avantageux conservé par la connivence des acteurs. Cela se sait depuis longtemps mais le courage de réformer a manqué », estime Jean-Paul Guillot, économiste mandaté par le gouvernement pour rédiger un rapport sur la question en 2005. Car si, habituellement, les désaccords entre les salariés et le patronat constituent le nœud du problème, dans ce cas précis, c’est l’inverse (voir encadré page 34). Des experts ayant dénoncé un régime qui met en péril le système universel de solidarité de l’Unedic ont même subi des intimidations… Le secteur fait front commun.

Pour Jean-Paul Guillot, il existe trois types d’intermittents. D’abord, les plus fragiles, « dans une logique d’évitement de la précarité ». Ce sont surtout des artistes du spectacle vivant, qui luttent pour atteindre les 507 heures déclarées sur dix mois exigées pour entrer dans le régime indemnitaire de l’assurance chômage.

Ensuite, il y a les « permittents », qui travaillent pour un seul employeur. Ils seraient 15 % concernés, selon la Cour des comptes. 42 % des intermittents travailleraient plus de deux tiers de leur temps pour une même entreprise. Généralement, ils exercent dans le secteur, plus riche, de l’audiovisuel, comme Marie Kaiser, chef maquilleuse pour France Télévisions. Elle finit toujours par cumuler ses 507 heures, même si « le stress d’obtenir suffisamment de contrats est permanent ». Le sociologue Pierre-Michel Menger qualifie de dérive cette « utilisation illicite des CDD d’usage en substitution à l’emploi classique ». Aux prud’hommes, la requalification en CDI d’une multitude de CDD et CDD d’usage s’obtient facilement, mais elle est finalement peu demandée, par peur de voir les rideaux des employeurs d’un petit milieu se fermer tour à tour.

Dernière catégorie, « les intermittents stratégiques ». « Soit ils concluent de leur propre chef des arrangements avec leurs employeurs, explique Jean-Paul Guillot, soit ils subissent des pressions et dévient le respect des règles. » En référence aux fraudes des employeurs eux-mêmes, rarement mises sur le devant de la scène. « Mon patron déclare que je travaille dans sa boîte de production deux jours par semaine alors qu’en réalité j’y suis à temps complet. Ces deux jours sont suffisants pour que j’atteigne les 507 heures ; en revanche, mon salaire est faible, ma cotisation retraite aussi. Sur le court terme, Pôle emploi compense », témoigne un assistant de production. L’assurance chômage ne sert plus de revenu de complément, mais de remplacement. Face à ce phénomène, Christian Kert (UMP), qui préside la commission sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques de l’Assemblée nationale, fait un aveu d’impuissance : « Quand il existe une collusion totale entre l’employeur et le salarié pour reporter une partie du salaire sur la solidarité nationale, c’est difficile de lutter contre. »

Dans ce contexte, plusieurs pistes de réforme se dessinent néanmoins.

1 La fin du régime : le scénario improbable

Dans un article polémique d’octobre 2010 publié dans Futuribles, Bruno Coquet, économiste et président du Comité de l’emploi de l’Union européenne, s’est élevé contre cette rupture de l’équité des bénéficiaires de l’Unedic. Il propose la fin du régime indemnitaire spécial des intermittents et, à la place, un soutien du secteur culturel par des subventions publiques financées par l’impôt. Jean-Patrick Gille, rapporteur PS de la commission dédiée à la question à l’Assemblée nationale, a d’ailleurs demandé à Rémy Pflimlin, président de France Télévisions, auditionné le 31 janvier, de réagir à l’hypothèse de ce scénario catastrophe, « même s’il n’était pas retenu ». « La quasi-totalité des émissions que nous diffusons est produite à l’extérieur. Si leur coût augmentait du fait de la hausse de la part des salaires dans le budget, il faudrait trouver des recettes complémentaires ou bien nous serions forcés de moins produire », a répondu le patron des chaînes publiques.

2 Inciter davantage à l’embauche en CDI
Le régime des intermittents ne prévoit aucun plafond au cumul indemnités-salaires

Un salarié sur cinq de France Télévisions est non permanent, ce qui fait dire à Jean-Paul Guillot que « l’État a du ménage à faire dans l’audiovisuel public ». Les embauches en CDI, et donc le basculement dans le régime général d’intermittents qui ont cumulé des centaines, voire des milliers de contrats au fil des ans, se font au compte-gouttes. En s’efforçant de mettre à jour les conventions collectives des métiers artistiques (voir Liaisons sociales magazine n° 139), le ministère du Travail commence tout juste à déblayer le terrain. Un premier pas vers la normalisation du secteur. Pour pousser à la pérennisation des emplois, « les employeurs de l’audiovisuel devraient être incités à embaucher en CDI via une progressivité des taux de cotisation, recommande Christophe Strassel, conseiller référendaire à la Cour des comptes. Car, aujourd’hui, le système de cotisations sociales est un taux uniforme, aussi bien pour une petite association que pour un géant de l’audiovisuel qui recourt massivement aux contrats courts ».

3 Une caisse spécifique pour le secteur

L’improbabilité de voir basculer tous les intermittents dans le régime général amène à une autre piste de réflexion, portée par la CFDT : plutôt que de faire payer l’ensemble du secteur privé pour ce régime spécial, les « bénéficiaires finaux », telles les chaînes de télévision, pourraient financer une caisse spécifique. L’économiste Pierre-Michel Menger porte aussi cette idée d’une modulation des cotisations employeur à l’assurance chômage en fonction de ce que fait dépenser chaque entreprise du secteur à l’Unedic par son usage des contrats précaires.

4 Limiter l’accès des techniciens au régime

Par ailleurs, les Sages de la Rue Cambon préconisent de « distinguer davantage les règles applicables aux techniciens du spectacle (annexe 8) de celles applicables aux artistes (annexe 10) ». Certaines catégories comme les techniciens sont sorties gagnantes de la réforme de 2003. En 2002, on comptait 35 700 techniciens intermittents et 67 500 artistes. En 2011, la tendance s’inverse. Le nombre de techniciens bénéficiaires de ce régime indemnitaire avantageux a encore crû pour atteindre 58 000, alors que celui des artistes, lui, est descendu à 50 000.

5 Plafonner : la piste consensuelle

Au début du printemps, la commission de l’Assemblée nationale rendra ses propositions. Pour l’heure, une seule solution sera assurément avancée. Celle du plafonnement de la rémunération. Car le régime des intermittents n’en prévoit aucun au cumul indemnités-salaires. De quoi décrédibiliser le système en entier. « Il n’est pas normal qu’une personne qui gagne par exemple 6 000 euros par mois, même si c’est une minorité, puisse en plus toucher des allocations chômage », considère Jean Voirin, secrétaire général de la CGT Spectacle, qui estime qu’un plafonnement pourrait réduire le déficit de cette branche de 25 à 30 %. Denis Gautier-Sauvagnac, ancien vice-président de l’Unedic (Medef), pourtant d’accord sur le diagnostic posé il y a dix ans déjà, avait refusé à l’époque de s’associer à cette prescription, pour une simple raison : elle émanait de la confédération syndicale.

Pierre-Michel Menger Auteur des Intermittents du spectacle : sociologie du travail flexible, Éditions de l’Ehess, 2011.

“Il faut des incitations financières pour l’employeur”

Pourquoi ne parvient-on pas à réformer le régime des intermittents ?

L’assurance chômage est gouvernée paritairement, donc si les employeurs et les salariés ont intérêt à l’inertie du système, ils peuvent s’accorder pour écarter toute réforme.

Quel avantage tirent-ils du système actuel ?

Pour les employeurs, celui de la flexibilité et du coût totalement variable du travail. Intermittents du spectacle, celui d’une flexibilité de l’assurance chômage. La preuve : 55 % de leurs revenus sont, en moyenne, constitués des salaires, et 45 % d’indemnités. Le Medef et l’UPA, toujours prêts à dénoncer les abus des intermittents, redoutent qu’on crée un système qui s’appliquerait aussi à leur usage des CDD.

Comment contrer cet immobilisme pour réformer ?

Il faut un mécanisme qui crée des incitations financières pour l’employeur. L’acteur public pourrait examiner comment un employeur agit et convenir avec lui de conditionner les subventions à un comportement responsable.

Auteur

  • Rozenn Le Saint