logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Ces masters qui trompent leur monde

Politique sociale | publié le : 02.03.2013 | Anne-Cécile Geoffroy

Master en spécialité, mastère pro, MSc…, difficile de s’y retrouver dans la profusion d’appellations. Quant aux vrais masters, certaines universités les monnaient à des écoles privées au travers de conventions.

Ma fille souhaite suivre une formation en ressources humaines. Vous proposez un master type Fede. Qu’est-ce que cela signifie »

– « C’est un diplôme qui n’est pas reconnu par l’État mais par les conventions collectives des entreprises privées. »

– « Toutes les conventions collectives »

– « À 98 % »

Drôle d’argument avancé par l’accueil de l’Isefac, une école privée parisienne, pour valoriser le diplôme qu’elle délivre. Une affirmation reprise en chœur par la majorité des écoles privées proposant les masters de la Fédération européenne des écoles (voir encadré page 36) et qui peut duper plus d’un jeune soucieux de décrocher un sésame pour l’emploi. Impossible, par exemple, de tenter un concours de la fonction publique avec ce type de diplôme. Seuls les jeunes armés d’un diplôme national peuvent en effet concourir. Par ailleurs, les quelque 700 conventions collectives françaises ne s’intéressent pas aux diplômes en tant que tels. « L’emploi conditionne le statut, pas le diplôme. Les conventions collectives s’attachent à la description des tâches, peuvent faire référence à des connaissances, mais pas à un diplôme en particulier. En disant cela, ces écoles sont à la limite de l’infraction au Code de la consommation. Des candidats pourraient se retourner contre elles pour publicité mensongère », alerte Pascal Caillaud, enseignant à l’université de Nantes et directeur du Cereq Pays de la Loire.

Appellation contrôlée. L’anecdote en dit long sur le marché très convoité et sauvage du master. Impossible en théorie pour une école privée d’utiliser le mot « master » pour qualifier un diplôme de son cru. Avec la réforme LMD (pour licence, master, doctorat) de 2002, l’État a fait main basse sur l’appellation anglo-saxonne allégrement utilisée par les établis sements supérieurs privés avant la nouvelle législation. Dans un courrier de mars 2011, Patrick Hetzel, alors directeur général pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle (DGESIP) au ministère de l’Enseignement supérieur, rappelait les règles d’utilisation du terme master. Car franchir la ligne jaune peut coûter cher aux écoles privées. En 2009, le rectorat de Grenoble et l’université Pierre-Mendès-France ont ainsi fait condamner l’école Wesford (qui a déposé le bilan cet hiver) à une amende de 25 000 euros pour avoir délivré illégalement des « masters » de 2003 à 2008.

Pour contourner la difficulté, les établissements privés ont fait preuve ces dix dernières années d’une fantaisie lexicale débordante dans la dénomination de leurs diplômes. Attention ainsi à ne pas confondre le mastère professionnel avec le master professionnel, sachez que le Master of Science ou MSc n’a rien à voir avec le diplôme national de master ou encore que le master en spécialité ne sera jamais un mastère spécialisé, un label créé par la Conférence des grandes écoles pour certaines formations accessibles après un bac + 5.

Avec les conventions de double diplôme, les écoles privées bénéficient de la notoriété du master

En dix ans, le paysage est devenu illisible. Personne n’est capable d’évaluer le nombre de diplômes existants. Et, de son côté, l’Université n’a jamais contrôlé l’explosion de ses propres masters. Le ministère de l’Enseignement supérieur dénombre 7 700 intitulés différents. Ils devraient être toilettés à l’occasion de la future loi sur l’enseignement supérieur et la recherche. « L’Éducation nationale a voulu protéger les universités françaises d’un marché extrêmement concurrentiel et international. La réforme LMD a engendré un système sectaire et d’autant plus flou que le nom du diplôme et le grade se confondent », reconnaît un haut fonctionnaire du ministère de l’Éducation nationale. Alors que le grade de master établit le niveau d’une formation et est traduit en nombre de crédits ECTS (European credits transfer system) pour faciliter la comparaison entre pays européens, le diplôme, lui, fait référence à un parcours de formation. Une distinction que seuls les plus avertis peuvent apprécier. « Le système de crédits n’a par ailleurs rien d’universel. Il n’a de valeur que s’il existe une convention de reconnaissance des grades et des diplômes entre les établissements. Le crédit n’a de sens que s’il est validé par un tiers. C’est un système conventionnel », poursuit le haut fonctionnaire. Ainsi, les masters européens de la Fédération européenne des écoles, bien que traduits en ECTS, ne sont pas reconnus par les systèmes éducatifs nationaux. Même la Suisse, pays d’origine de l’association, ne reconnaît pas les diplômes de la Fede. Seules les écoles membres de ce réseau peuvent se reconnaître entre elles.

Pour exister sur ce marché ultraconcurrentiel, les établissements privés ne se contentent plus de jouer sur les mots. Parallèlement aux accréditations anglo-saxonnes ou européennes qu’ils cherchent à décrocher pour certifier la qualité de leurs formations, les établissements tentent aussi de les faire inscrire au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), qui constitue une forme de reconnaissance. « Une certification professionnelle enregistrée sur demande dans le RNCP au niveau I n’ouvre néanmoins aucune équivalence de droit avec un diplôme de master », tient à préciser George Asseraf, président de la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP).

Les formations en manque de reconnaissance vont également toquer à la porte des universités pour monter des conventions de double diplôme. Objectif : bénéficier de la notoriété du diplôme national de master. Cette année, l’IAE de Lille comptabilise ainsi dans ses effectifs des étudiants de l’Esam, une école du Groupe IGS. L’an dernier ils étaient 180 étudiants, cette année ils seraient entre 250 et 300 à être inscrits en licence de sciences du management et dans l’un des cinq masters 2 pour lesquels une convention a été signée entre les établissements. Trois autres écoles de l’IGS travaillent aussi avec Sciences po Aix-en-Provence ; 150 à 200 étudiants de l’Institut international de commerce et de développement, de l’Institut de commerce de Lyon et de l’École des hautes études de la décision (Ehed) sont ainsi inscrits à Aix. « Ce partenariat avec Sciences po nous tire vers le haut », indique Fabrice Duru, directeur de l’Ehed, pour expliquer l’intérêt de cette association. « Nous y voyons l’opportunité d’ouvrir Sciences po Aix à des profils de jeunes différents de nos étudiants habituels », ajoute de son côté Céline Le Corroller, enseignante à Aix.

Conventions, sujet tabou. Ces conventions sont autorisées par le Code de l’éducation et son article 613-7. « Mais il ne précise pas leur cadre juridique, souligne Yves Le Duc, juriste spécialiste du droit des diplômes. Les universités interviennent-elles dans le cadre d’une prestation de services ou d’une sous-traitance ? Personne ne le sait. Le texte encadre les choses par les modalités d’organisation des diplômes et la présence nécessaire d’un enseignant de l’université dans le jury. » Un sujet sensible, tabou pour les universités comme pour le ministère de l’Enseignement supérieur, qui n’a pas donné suite à notre demande d’entretien. Concernée, l’université de Strasbourg joue la transparence. « Le diplôme d’État est un privilège des universités. Quand l’école privée Wesford a sollicité la faculté d’économie pour monter une convention autour d’un master il y a deux ans, l’université était assez réticente. Au début, on s’est vu reprocher par certains universitaires de vendre notre diplôme car ce type de convention se monnaie », explique Julien Pénin, professeur en sciences économiques à l’université de Strasbourg et responsable pédagogique du partenariat. « Ce qui nous a motivés, poursuit-il, c’est de bénéficier de l’expérience de Wesford dans le domaine de l’apprentissage. Cela fait dix ans que l’on essaie d’acquérir cette expertise, sans succès. »

Comme Strasbourg, les universités du Maine et du Littoral Côte d’Opale ont signé une convention avec l’école Wesford, présente à Lyon et à Grenoble. Depuis son dépôt de bilan les conventions sont tombées à l’eau, laissant sur le carreau les étudiants de ces universités.

La profusion de masters ne change pas foncièrement la façon de recruter des entreprises. À l’ANDRH, personne ne suit cette question. « Les entreprises recrutent souvent sur la notoriété des écoles et des universités. Le juge de paix, c’est le marché de l’emploi et la qualité de l’insertion des jeunes à la sortie de leur formation », assure George Asseraf, à la CNCP. Une parole d’espoir pour des jeunes qui n’auraient pas choisi le « bon » diplôme.

La galaxie Fede

Méfiant ! Quand il s’agit de parler de la Fede, Édouard Jagodnik, l’actuel président de ce réseau de 650 établissements privés présent dans 25 pays, se montre peu bavard. L’association de droit suisse fondée il y a cinquante ans par sept écoles privées « pour promouvoir l’Europe à travers les formations » est une créatrice de diplômes. Comme le diplôme européen d’enseignement supérieur (le DEES, à ne pas confondre avec le DESS !) ou le master européen. La France domine dans cette galaxie d’écoles avec plus de 384 établissements privés et 250 000 étudiants revendiqués.

On y trouve des écoles très différentes. Comme les cours Pigier, l’École internationale Tunon, des écoles d’esthétique, d’informatique, de mode, mais aussi le Ciefa de Lyon (une école du Groupe IGS), ou encore l’Afpi Loire-Idecq et, plus récemment, l’Afpi Bretagne, deux centres de formation de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie.

Toutes sont adhérentes et peuvent à ce titre disposer de cursus de formation clés en main et proposer l’un des diplômes de la Fede. Avec 10 millions d’euros de budget par an, l’organisme vit des cotisations de ses membres (entre 520 et 860 euros par an), des frais d’inscription aux examens (de l’ordre de 250 euros par étudiant), mais aussi de la vente d’ouvrages et d’études de cas fortement recommandés pour préparer les examens. Afin de construire ses diplômes (26 DEES et 11 masters européens), la Fede fait appel aux formateurs des écoles adhérentes. « Nous entretenons également des relations étroites avec le monde professionnel pour construire le référentiel des diplômes », assure, sans plus de précision, Édouard Jagodnik. Jusqu’à présent très centré sur l’Europe, le réseau étend depuis deux ans son influence en Afrique francophone, en Chine, où il a ouvert récemment un bureau à Pékin, ainsi qu’en Inde.

Et pour finir de rassurer, le réseau se fait accréditer par des organismes étrangers, principalement nord-américains. « Tous nos diplômes sont reconnus par l’International assembly for collegiate business education », assure ainsi Édouard Jagodnik, qui domicilie par ailleurs dans les locaux parisiens de la Fede le bureau européen de cet organisme américain. Ce dernier certifie les programmes des business schools qui le demandent.

Il est lui-même agréé par le Council for higher education accreditation, un organisme fédéral américain de reconnaissance des sociétés d’accréditation. Un jeu de poupées russes qui donne le tournis.

7 700

C’est le nombre d’intitulés de masters dénombrés rien que pour l’Université. La future loi sur l’enseignement et la recherche devrait les réduire.

Source : ministère de l’Enseignement supérieur.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy