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« Les cadres fidèles sont les mieux récompensés »

Actu | Entretien | publié le : 02.03.2013 | Sandrine Foulon, Jean-Paul Coulange

Pour ce spécialiste des RH, la valorisation de la mobilité reste un discours qui offre aux DRH une échappatoire pour ne pas gérer les carrières.

Vous étudiez la qualité de carrière des cadres. Pourquoi les entreprises récompensent-elles les plus fidèles ?

Contrairement aux idées reçues, ceux qui bénéficient de la plus grande qualité de carrière, ce sont les cadres qui sont avant tout loyaux envers leur entreprise. Le salarié modèle des années 70 n’a pas disparu : c’est Jean Rochefort dans Nous irons tous au paradis. Quel que soit son âge, il gravit tous les échelons, patiemment, discrètement… Il adhère aux valeurs de l’entreprise. Et, à la fin, c’est lui qui gagne. Ces cadres traditionnels, fidèles, sont les plus valorisés, les mieux récompensés financièrement. C’est vrai dans les PME et dans les grands groupes. Les entreprises ont besoin de s’appuyer sur des individus qui vont rester longtemps.

Pourtant, on valorise plutôt les cadres mobiles qui prennent des risques…

Dans le discours mais pas dans les faits. Cette deuxième grande catégorie de cadres qui changent de société tous les trois ans est pénalisée. En début de carrière, le « zapping » est bien considéré dans un CV, mais à partir de trois, voire quatre changements d’employeur, la mobilité devient un stigmate. L’entreprise suppose que, de toute façon, un cadre qui a été infidèle le restera. Il n’est donc pas nécessaire de miser sur lui, d’investir dans sa formation, de l’augmenter pour le fidéliser… On aura sans doute moins de scrupules à s’en débarrasser s’il faut licencier. On suppose que les cadres loyaux sont à la recherche de career jobs, donc d’un engagement à long terme, tandis que les cadres mobiles voudraient des good jobs, intéressants et rémunérateurs immédiatement. Il existe enfin une troisième catégorie de cadres, davantage précaire, plus féminisée, qui subit cette mobilité et qui est la moins récompensée. Ils ont souvent interrompu leur carrière, créé leur entreprise. Crise oblige, il est possible à terme que des cadres traditionnels basculent dans cette troisième partie, mais ce que je constate, grâce aux indicateurs de mesure de qualité de carrière que j’ai pu mettre en place auprès d’un échantillon de plus d’un millier de cadres dans 700 entreprises, c’est que ces trois groupes sont étanches.

Pourquoi sont-ils aussi segmentés ?

Ces trois types de cadres ont des façons très différentes de se représenter leur parcours. Les premiers savent qu’ils sont là par loyauté, ils font l’effort de comprendre la stratégie. Dans son projet professionnel, un ingénieur en exploration de Total n’aura peut-être pas rêvé d’aller forer en Alaska, mais si son entreprise le lui demande, il ira. C’est la relation à l’entreprise qui commande leur carrière. Ceux qui changent d’entreprise sont entraînés dans un cercle vicieux. Plus ils bougent, plus ils ont envie de bouger. Ils sont hyperresponsabilisés dans leur parcours, se posent des questions sur ce qui leur plaît ou pas. Ils valorisent la prise de risques et peaufinent leur discours face aux recruteurs. Les parcours ne font ensuite que renforcer les conceptions de chacun.

Pourquoi ces discours ont-ils la vie dure ?

Parce que le discours dominant n’est pas porté par ceux qui réussissent. Les cadres fidèles n’ont pas la parole. Les DRH, l’Apec ou l’ANPE à l’époque ont promu la notion de projet professionnel afin de rassurer les cadres confrontés au risque du chômage : « chaque rupture peut être une opportunité ». Des études amusantes ont pourtant démontré que très peu de projets se concrétisent. L’idée que les cadres prennent leur destin en main permet aux RH de se détourner de la gestion des carrières. Or, à force de laisser les cadres façonner eux-mêmes leurs parcours, les entreprises commencent à réaliser qu’elles devraient surtout gérer les carrières en fonction de leurs propres besoins. D’autant que des travaux de recherche montrent que, partout dans le monde, la mobilité externe décroît. Les salariés savent qu’il fait plus chaud à l’intérieur…

Les jeunes se montrent-ils plus mobiles que leurs aînés ?

Nous sommes toujours dans les représentations. La génération Y n’existe pas. On voudrait nous faire croire qu’elle zappe, qu’elle est peu impliquée… Or cela ne repose sur aucune observation scientifique. Les plus âgés ont toujours eu du mal à comprendre les plus jeunes. Prenez Gaston Lagaffe ! C’est l’archétype de celui qui a du mal à s’intégrer dans l’entreprise mais c’est un héros des années 50. Ce discours génération Y a été popularisé par les consultants et porté par les responsables RH, qui voient, là encore, une échappatoire pour ne pas les gérer, et par les managers. Ce n’est pas un conflit de générations mais de statut entre des managers « installés » et des jeunes davantage précarisés qui aspirent à autre chose. Beaucoup, d’ailleurs, sont proches de nos cadres traditionnels. Ils veulent croire aux valeurs de l’entreprise. En faire des boucs émissaires masque surtout un problème de management.

JEAN PRALONG

Psychologue et professeur en gestion des ressources humaines.

PARCOURS

Ancien consultant chez RH Partner avant d’être responsable du développement RH du groupe Vedior France, Jean Pralong pilote aujourd’hui la chaire Nouvelles carrières de Rouen Business School. Il a mis en place il y a deux ans un baromètre de qualité de carrière fondé sur quatre indicateurs : l’accès à la formation, la sécurité socio-économique (CDI…), les conditions de travail et l’égalité hommes-femmes.

Auteur

  • Sandrine Foulon, Jean-Paul Coulange