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Vie des entreprises

L'externalisation et le droit du travail

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.09.2000 | Bernard Boubli

L'externalisation gagne du terrain. Qu'elle se traduise par un élargissement du groupe (des activités étant confiées à une filiale nouvellement constituée) ou par son resserrement (lorsque des activités sont confiées à une société extérieure), la Cour de cassation veille à ce qu'elle n'entraîne pas automatiquement le transfert des salariés concernés.

L'externalisation est à la mode. Issue, inspirée ou traduite de l'anglais outsourcing, elle consiste à faire sortir des tâches, des activités, du personnel de leur cadre juridique primitif. Cette notion équivoque se limite, selon nous, à l'opération qui emporte l'abandon de certaines activités par la firme d'origine. Le transfert de salariés n'est pas, en soi, une opération d'externalisation : les mutations ou les reclassements se bornent à révéler la mobilité au sein du groupe. Quant à la mise à disposition de personnel par une société tierce au groupe (travail temporaire) ou dans le cadre d'un prêt de main-d'œuvre entre sociétés du même groupe, elle est, en général, réglementée et exclusive de toute externalisation d'activité. Il faut se garder, à cet égard, de pratiques qui se veulent innovantes mais qui flirtent avec le prêt de main-d'œuvre illicite. Ainsi en est-il du portage de personnel : l'opération consiste à transférer le personnel dans une société spécifique dite « porteuse », à charge pour elle de mettre ce personnel à la disposition des sociétés du groupe. La société porteuse devient une société de main-d'œuvre qui ne peut facturer à l'entreprise utilisatrice autre chose que le coût du travail, et l'opération implique l'accord des salariés à leur passage au service de la société porteuse ainsi que la conclusion de contrats de travail adaptés à l'objet de celle-ci. Elle ne doit pas avoir pour effet de causer un préjudice au personnel ou d'éluder l'application d'un texte : la perte d'avantages sociaux liés à la perte du statut collectif d'origine est considérée par la chambre criminelle comme un élément d'appréciation du délit de prêt de main-d'œuvre illicite.

Tel n'est pas le cas des centres de services partagés (CSP), qui aboutissent à des résultats voisins du portage, par le recours à l'externalisation : une société, improprement qualifiée parfois de « porteuse », emploie un personnel spécialisé et assure un service partagé par toutes ou certaines sociétés du groupe. Le CSP est un prestataire de services qui centralise des fonctions support des différentes sociétés adhérentes (paie, informatique, comptabilité…) et leur assure le service correspondant qu'il facture. L'externalisation ainsi comprise est tantôt un facteur d'élargissement, tantôt un facteur de resserrement du groupe. Dans tous les cas, si elle s'accompagne du transfert d'une entité économique, elle fait sortir le personnel de son cadre juridique d'origine et elle risque d'entraîner un changement de son statut collectif.

1. Il y a élargissement du groupe lorsqu'une firme du groupe qui exerce plusieurs activités décide d'abandonner certaines d'entre elles en les confiant à une société nouvellement constituée. La liberté de filialisation est totale : une filialisation, même à 100 %, n'est pas contraire aux dispositions de l'article L. 122-12 (Cass. soc., 2 mars 1999, n° 97-20.535). Il s'agit d'une restructuration soumise aux dispositions du livre IV du Code du travail. De la filialisation il faut rapprocher la scission qui est réservée par l'article L. 122-12 (Cass. soc., 28 février 1974, Bull. civ. V, n° 154). L'externalisation peut avoir deux fonctions majeures : isoler une activité des activités dominantes du groupe pour des raisons diverses (par exemple, la céder à un tiers) ; confier à des sociétés amies des tâches ou des activités qui serviront à une ou plusieurs sociétés du groupe liées à elles par des contrats de prestation de services. Le sort du statut social est la conséquence peut-être inévitable d'une option économique a priori légitime dans le premier cas ; il est un élément possible, sinon probable de la décision d'externalisation dans le second. Le premier cas est en général réglé en droit positif : les contrats de travail subissent le sort que leur réserve l'article L. 122-12, car il y a transfert d'une entité économique autonome et le statut collectif survit à des conditions qui sont bien connues. Le second cas est plus délicat à cerner bien que le transfert partiel d'activité ne soit pas exclusif de l'application de l'article L. 122-12 (Cass. soc., 9 mars 1994, n° 92-40.916 ; 13 avril 1999, n° 96-44.254 ; 6 novembre 1991, n° 88-45.486) et que le transfert d'activités « accessoires » soit prévu par la directive n° 98/50 CE du 29 juin 1998 (JOCE, 17 juillet 1998, p. 88). La question est de savoir ce qu'est une activité secondaire ou accessoire lorsque l'entreprise qui la reçoit relève du même groupe que celle qui la transmet et fournit des services à cette société ou à d'autres firmes du groupe.

Le transfert d'activité peut porter sur des tâches nécessaires à l'exercice de l'activité économique mais non identifiables à elle, et il n'y a pas lieu, a priori, de distinguer les tâches en relation avec l'objet économique et celles distinctes mais indispensables à toute entreprise. On devine cependant l'intérêt du propos en droit du travail : les structures de commercialisation, les tâches de gestion qui sont une véritable activité économique pour une entreprise ayant cet objet (CSP, par exemple) le sont-elles pour une société de production ? Faut-il traiter de la même manière le transfert de ces tâches et celui des activités accessoires liées à la production ? Si l'appartenance au groupe est un gage de la préservation d'un statut social minimal qu'un renforcement du rôle des instances représentatives spécifiques pourrait garantir, la jurisprudence sociale est pour l'instant prudente : la constitution d'un GIE, même européen, n'entraîne pas transfert d'une entité économique au sens de l'article L. 122-12 (Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-42.112 ; 25 janvier 1995, n° 94-60.049), alors que la dissolution d'un tel groupement peut donner lieu à la solution inverse (Cass. soc., 10 juin 1997 n° 95-42.973). On peut, dès lors, penser que les activités de gestion dissociées de l'activité de production et confiées à une société spécialisée du groupe pourraient ne pas former une entité économique autonome au sens de l'article L. 122-12, alors qu'elles en constitueraient probablement plusieurs si la société de gestion abandonnait cette activité et que les sociétés clientes retrouvaient la plénitude de leurs pouvoirs de gestion. L'arrêt Perrier du 18 juillet 2000 (voir ci-après), qui écarte l'application de l'article L. 122-12 lorsque l'activité cédée est « sans finalité économique propre », peut servir de guide d'interprétation. L'arrêt est rendu à propos du transfert d'activité à une société tierce au groupe, mais tant que le droit des groupes n'aura pas pris sa véritable mesure, la solution qu'il consacre s'applique qu'il y ait élargissement ou resserrement du groupe.

2. Il y a resserrement du groupe lorsqu'une société décide de confier certaines de ses activités à une société tierce, c'est-à-dire étrangère au groupe. Le transfert d'activité peut traduire une volonté du groupe de se concentrer sur ses activités traditionnelles ou sur celles qui sont le plus porteuses.

Il n'y a pas démantèlement d'activité lorsque la société d'origine conserve ses fonctions économiques et renonce à des tâches sans rapport avec cette fonction : ainsi en est-il lorsqu'une société renonce au service de nettoyage de ses locaux ou à leur gardiennage qu'elle assurait en régie directe. Ce type d'externalisation classique prend la forme d'une concession de service, qui n'est que la dévolution d'un marché par le client, donneur d'ordres, au prestataire, devenu locateur d'ouvrage ; qu'alors le juge décide que, sous certaines conditions, l'article L. 122-12 peut s'appliquer, est une péripétie regrettable troublant à peine une affaire réglée par la négociation collective.

Il y a démantèlement d'activité lorsque la société d'origine renonce à certaines activités relevant de sa fonction économique. Ce démantèlement, qui est le fruit d'une cession partielle ou d'une sous-traitance industrielle, supprime des emplois au sein du groupe. L'article L. 122-12, souvent tenu pour la providence du salarié, se retourne alors contre lui et révèle un effet qu'en d'autres temps nous avions qualifié de « pervers ». Cet effet peut être limité lorsque le démantèlement s'effectue à l'intérieur du groupe : les perspectives de retour ou de reclassement dans la société d'origine y sont plus favorables. Il est radical lorsque la partie d'activité cédée sort du groupe. Un moyen de le réduire est de donner une définition stricte de l'entité économique.

Avec un brin de provocation, nous avions dit un jour que l'entité économique était celle que le juge déclarait comme telle… Ses critères sont trop abstraits. La Cour de cassation a cependant tenté d'être plus concrète : dans son arrêt du 7 juillet 1998 (n° 96-21.451 ; voir aussi Cass. soc., 11 mai 1999, n° 97-42.026), elle a jugé que « constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit des intérêts propres ».

Elle s'est voulue encore plus précise dans l'arrêt Perrier du 18 juillet 2000 (n° 98-18.037). La question était de savoir si la cession de l'activité de réparation et d'entretien des palettes de bois à une société tierce, à charge pour elle d'en louer les services aux sociétés utilisatrices du groupe, emportait transfert d'entité au sens de l'article L. 122-12 : l'externalisation entraînait-elle le transfert des salariés au service du repreneur extérieur au groupe ? Alors que l'article L. 122-12 est présenté par ses défenseurs comme le moyen de protéger les salariés, les instances chargées de représenter leurs intérêts (CE, syndicats) ont, en l'espèce, soutenu qu'il n'y avait pas matière à l'appliquer.

Pour sortir de l'impasse, la haute juridiction a dû se résoudre à renforcer les conditions du texte et, par conséquent, à réduire son champ d'application. Elle relève tout d'abord qu'il n'y avait eu « qu'un simple démembrement des services centraux », laissant ainsi clairement entendre que le retrait de tâches n'est pas, en soi, un transfert d'activité. Elle ajoute ensuite que ce démembrement ne « disposait pas d'autonomie au sein de l'établissement, tant dans ses moyens en raison de la polyvalence de la plupart des salariés, que dans l'organisation de sa production ». Ce faisant, la Cour de cassation confirme sa fidélité au critère de l'entité autonome ; aux moyens constitués d'éléments corporels ou incorporels spécialement affectés, elle ajoute l'élément humain. Le personnel, qui était apparu dans l'arrêt du 7 juillet 1998 (mais qui ne figure pas dans la directive de 1998), prend une place non négligeable : l'externalisation n'emporte transfert des salariés que si ceux-ci sont spécialement affectés à l'activité cédée. Enfin, l'arrêt rappelle la nécessité pour le service transféré de posséder les moyens particuliers tendant à « des résultats spécifiques et à une finalité économique propre ». Ce dernier point justifiera sans doute des précisions complémentaires ; on peut cependant penser que des tâches démembrées de l'activité principale qui compromettent la nature de celle-ci ont peu de chances de caractériser l'entité économique autonome. A fortiori, des tâches nécessaires à l'activité de l'entreprise ne suffiraient pas à justifier l'application de l'article L. 122-12 si la société s'en délestait au profit d'une autre société, qu'elle fasse ou non partie du groupe.

L'arrêt Perrier va plus loin encore : des activités industrielles (fabrication et entretien de palettes) qui n'ont pas d'autonomie et ne sont, dans l'entreprise d'origine, que des accessoires nécessaires à l'activité dominante ne sont pas constitutives d'une entité économique lorsque les moyens et le personnel ne servent pas une finalité économique propre. La solidarité, voire l'indivisibilité des activités, sinon des simples tâches, si elle n'est pas un obstacle à l'externalisation, peut ainsi faire échec au transfert forcé des salariés.

Auteur

  • Bernard Boubli