logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Repères

Le mauvais procès fait à l'accord

Repères | publié le : 01.09.2000 | Denis Boissard

C'est un pitoyable feuilleton qui se joue sur l'assurance chômage. Curieux pays que la France où l'État n'hésite pas à déclarer nul et non avenu un accord conclu par les partenaires sociaux dans le cadre d'un régime dont la loi leur a dévolu la responsabilité. Chez nos voisins, une telle fin de non-recevoir aurait suscité un tollé. Pas chez nous. Nombre d'observateurs, la gauche unanime et les syndicats non signataires ont approuvé ce mauvais coup porté au paritarisme. Car comment qualifier autrement la décision du gouvernement ?

On peut bien sûr regretter les maladresses du patronat et les rodomontades d'un Kessler. Mais, sur le fond, on saisit mal ce qui permet de diaboliser ainsi l'accord conclu entre le Medef, la CFDT et la CFTC. Le fait qu'il n'ait pas été signé par la majorité des syndicats ? C'est regrettable, mais ce ne sera pas la première fois. Sauf à changer les règles de la négociation collective et de la représentativité syndicale, l'accord est – sur ce point – parfaitement valable.

L'introduction d'un système « à deux vitesses » ? L'argument n'est pas recevable : la distinction entre demandeurs d'emploi pris en charge par l'assurance chômage et chômeurs en fin de droits indemnisés par l'État découle d'une décision des pouvoirs publics, qui remonte à… 1982. De surcroît, rien n'interdit au gouvernement de déployer des efforts similaires dans le cadre du régime de solidarité. Enfin, si le « Pare » se révèle efficace, il permettra d'éviter que bon nombre de personnes ne basculent dans le chômage de longue durée et l'exclusion.

L'arbitraire des sanctions ? Qu'y a-t-il de scandaleux à demander au chômeur, en contrepartie d'un appui personnalisé à sa recherche d'emploi, qu'il s'engage à accueillir favorablement les propositions d'embauche correspondant à ses compétences et à sa qualification, à partir du moment où l'emploi proposé est rémunéré au salaire normalement pratiqué et où aucune mobilité ne lui est imposée ? Si ce dispositif est assorti de garanties, de voies de recours, et qu'il s'effectue sous le contrôle des pouvoirs publics, comme aux Pays-Bas, il est largement préférable au système opaque des radiations administratives qui prévaut aujourd'hui.

La volonté supposée de l'Unedic et des partenaires sociaux de supplanter l'ANPE et le service public de l'emploi ? L'argument ne tient pas, les signataires de l'accord ayant au contraire prévu qu'une convention avec l'ANPE fixerait les modalités de mise en œuvre du Pare, à l'instar du partenariat qui a été auparavant instauré sur les conventions de conversion.

La baisse « injustifiée » des cotisations ? On peut déplorer la modicité des sommes consacrées à améliorer la couverture chômage des salariés précaires et des jeunes, mais la forte décrue du chômage rend difficilement contestable le principe d'une diminution corrélative des cotisations, sauf à estimer que celles-ci sont vouées à croître indéfiniment.

Bref, à y regarder de près, l'accord Unedic ne mérite pas la campagne de dénigrement dont on l'accable. C'est si vrai que la logique du Pare, sa colonne vertébrale, vient de recevoir le soutien inattendu de l'Inspection générale des affaires sociales, un corps d'experts relevant de… Martine Aubry. Dans un rapport publié à la mi-août, l'Igas préconise en effet d'« offrir aux demandeurs d'emploi une prise en charge la plus personnalisée possible », de « mobiliser les chômeurs sur la recherche d'emploi, dès leur inscription », et de renforcer « la coopération entre l'ANPE et l'Unedic ». La réalité c'est que le bras de fer sur l'assurance chômage recouvre moins des divergences de fond qu'une question de gros sous, le gouvernement n'ayant pas abandonné l'idée de ponctionner les excédents de l'Unedic pour boucler le financement de son dispositif d'aide aux 35 heures. Mais il recouvre aussi, et c'est plus inquiétant, la tentation du gouvernement de faire capoter l'opération « refondation sociale ».

Le psychodrame autour de l'Unedic le révèle crûment : deux conceptions s'affrontent aujourd'hui. Pour les uns, l'État, garant de l'intérêt général, est le seul acteur vraiment légitime à intervenir dans le champ social. Et la loi est l'alpha et l'oméga de tout progrès dans ce domaine. Dès lors, seule une place résiduelle peut être laissée à la négociation collective et les partenaires sociaux doivent être cantonnés dans un rôle de supplétifs via un paritarisme de façade. Pour d'autres, dont un temps une deuxième gauche aujourd'hui bien silencieuse, la résolution des problèmes sociaux ne peut se limiter à un face-à-face entre l'État et les citoyens. Une régulation sociale par les « corps intermédiaires » que sont le patronat et les syndicats est essentielle, ce qui suppose que, tout en en fixant le cadre, l'État et le législateur accordent une bien plus grande autonomie qu'aujourd'hui au paritarisme et au contrat collectif.

Le pire des dénouements, mais pas le moins probable, serait que le feuilleton Unedic débouche sur une étatisation du régime.

Auteur

  • Denis Boissard