logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Portraits des favoris à la succession de Martine Aubry

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.09.2000 | Marc Landré

Les spéculations vont bon train sur le nom du futur locataire de l'hôtel du Châtelet. Les candidats ne manquent pas, de Jean Le Garrec à Gaëtan Gorce. Mais ce superministère taillé sur mesure pour Aubry exige un véritable mouton à cinq pattes. Il pourrait donc être à nouveau scindé en deux. Revue de détail des challengers et des outsiders.

Lionel Jospin ne pouvait rêver de cadeau plus empoisonné pour cette rentrée ! En pleine crise sur l'assurance chômage et à moins de deux ans des législatives, le Premier ministre doit faire face à la défection programmée du membre le plus populaire de son gouvernement, Martine Aubry, quittant le navire après trois ans de bons et loyaux services (emplois jeunes, 35 heures, loi contre les exclusions, couverture maladie universelle…). Comme elle l'a annoncé le 30 juin dernier, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité partira « à l'automne » pour la mairie de Lille – où elle est première adjointe depuis 1995 – afin de briguer la succession de Pierre Mauroy. « Je me suis engagée à mener la liste municipale à Lille et je ne sais pas faire deux choses importantes en même temps », s'est-elle justifiée.

Pour Lionel Jospin, ce remaniement s'annonce comme un véritable casse-tête. Pas question de bouleverser le subtil dosage des équilibres politiques au sein de l'équipe gouvernementale. « Je n'aimerais pas être à sa place, ironise Maxime Gremetz, le vice-président communiste de la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. Le Premier ministre doit tenir compte de la répartition des forces dans la majorité plurielle et dans son parti. Il doit également allier pragmatisme et image positive du gouvernement. »

De là à supposer que c'est mission impossible… « Il n'est jamais facile de remplacer un bon ministre », lâche le socialiste Jean-Claude Boulard. La locataire de la Rue de Grenelle remplissait en effet plusieurs des conditions requises pour occuper un poste de ce calibre. Primo, un savant cocktail d'écoute et de fermeté dans ses rapports avec le Parlement. « Martine Aubry va beaucoup manquer au gouvernement, commente le Vert Yves Cochet. C'est la ministre la plus ouverte en amont des négociations et la plus fermée au moment des discussions. » Secundo, une force de travail hors du commun. « Martine Aubry a fait un travail exceptionnel, observe le socialiste Gaëtan Gorce. Elle a passé plus de nuits sur les bancs de l'Assemblée et du Sénat à défendre ses textes que n'importe quel autre ministre. » Tertio, une technicité indéniable et des convictions. « Je vais la regretter, dit le député libéral Denis Jacquat. C'est une femme de caractère fidèle à ses idées. Même si j'étais rarement en accord avec elle, ce fut toujours un réel plaisir de l'affronter tant elle maîtrisait ses dossiers. » Pas facile, donc, pour le Premier ministre de lui trouver un successeur. Surtout, comme le souligne un ancien ministre du Travail, que « ce ministère lui a été taillé sur mesure ». Seul Philippe Seguin, avant elle, avait bénéficié d'attributions aussi étendues dans le secteur social. Et à l'approche des municipales, règle du non-cumul des mandats oblige, les candidats de poids se font rares !

Un découpage prévisible

D'aucuns parient donc sur un découpage du superministère Aubry en deux : le Travail d'un côté, les Affaires sociales de l'autre. Car Lionel Jospin ne peut se permettre une autre erreur de casting, après le précédent de Christian Sautter à Bercy. Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité est une citadelle comparable. Il comporte deux ministères délégués (Famille, Ville), trois secrétariats d'État (Santé, Droits des femmes et Économie solidaire) et une myriade de directions et de délégations. « Vu la sensibilité des dossiers traités, il faut quelqu'un ayant beaucoup de poids politique, d'expérience et de personnalité », analyse la socialiste Catherine Génisson. D'autant que des projets de loi importants (sur le droit des malades ou des handicapés, la réforme de la prestation dépendance…) doivent encore être débattus devant le Parlement. « Le futur ministre devra tenir tête au Medef, excessif dans sa stratégie de refondation sociale et seul représentant de l'opposition », ajoute un ténor du PS.

Qui pourrait alors remplacer Martine Aubry ? À Matignon, Rue de Grenelle ou sur les bancs de l'Assemblée, quelques noms circulent. Au petit jeu des pronostics, il y a des favoris et des outsiders. Galerie de portraits.

Jean Le Garrec

Le préféré d'Aubry

Le président de la Commission des affaires sociales de l'Assemblée est donné gagnant à 100 contre 1 par les bookmakers du Palais-Bourbon. Martine Aubry a même été la première à citer son nom. « Ce serait un excellent choix, commente Catherine Génisson. C'est un homme de grande culture doté d'un sens abouti de la négociation. » Même à droite, on ne tarit pas d'éloges sur l'ex-cadre d'IBM. Le RPR Bernard Accoyer considère que c'est « le plus habile et le plus prometteur » pour ce ministère. Pour Denis Jacquat, « c'est un malin, un bon, c'est le candidat idéal ». Ça ressemblerait presque à un plébiscite… L'atout de cet ancien du PSU, qui a rejoint le PS avec Michel Rocard en 1976 pour devenir ensuite l'un des lieutenants de Pierre Mauroy, est d'avoir été secrétaire d'État à l'Emploi en 1982. Il connaît donc toutes les questions liées à ce portefeuille, entretient des relations cordiales avec les partenaires sociaux et, grâce à son entregent, ne s'est fait aucun ennemi au sein de la commission. Seul handicap : son âge, 71 ans. « Il va falloir vendre à l'opinion le remplacement d'une femme jeune par un homme âgé », remarque un conseiller de Martine Aubry. Mais ses partisans balaient la remarque d'un revers de main. « Il fait dix ans de moins et il est en excellente forme physique et intellectuelle », rétorque le député libéral Denis Jacquat, médecin de son état. Et son âge pourrait même s'avérer être son meilleur atout. Ayant annoncé qu'il arrêtait la politique en 2002, il ne fera d'ombre à personne et n'hésitera pas à prendre des coups avant une retraite bien méritée.

Claude Bartolone

Talentueux mais… fabiusien

Âgé de 49 ans, l'actuel ministre délégué à la Ville pourrait bien monter en grade, en prenant la place de Martine Aubry ou en devenant ministre de plein droit. « Il a l'expérience, la compétence et la carrure », indique-t-on dans les couloirs de l'Assemblée nationale au sujet de cet ex-cadre de l'industrie pharmaceutique. « Il est ouvert et politiquement habile, approuve le RPR Bernard Accoyer. Il nous est facile de travailler avec lui car il ne nie pas l'évidence quand il fait fausse route. » D'autres considèrent même que le « gouvernement gâche son talent en le laissant à la Ville où l'on n'a pas besoin d'un technicien comme lui ». Surtout que les problèmes d'emploi et de santé, Claude Bartolone les connaît comme sa poche. En plus d'avoir été responsable des questions de protection sociale et de santé de son groupe à l'Assemblée, il est également le prédécesseur de Jean Le Garrec à la tête de la Commission des affaires sociales. Le seul hic, c'est son courant au sein du parti socialiste : fabiusien ! Ce qui rend, aux yeux de certains, toute promotion impossible. « Jospin n'est pas suicidaire. Il s'est déjà tiré une balle dans le pied en plaçant Fabius à l'Économie, il ne va pas en plus mettre l'un de ses fidèles à l'Emploi ! »

Gaëtan Gorce

Le second idéal d'un tandem

Le « Petit Poucet » de la Commission des affaires sociales a gagné ses galons de « ministrable » en donnant la réplique à Martine Aubry à l'Assemblée, comme rapporteur de la seconde loi sur les 35 heures. À 41 ans, cet énarque, administrateur civil, député de la Nièvre et secrétaire national du parti socialiste chargé de l'emploi (à la demande de Jean Le Garrec), fait parti des prétendants pour remplacer Martine Aubry… mais sous la houlette d'un homme plus expérimenté. « L'idée d'un ticket Le Garrec-Gorce nous plaît bien », confirme-t-on à la Commission des affaires sociales. « Il est compétent mais un peu jeune et trop technocrate, tempère néanmoins Maxime Gremetz. Il a du mal à admettre que derrière les questions d'emploi il y a des hommes et des femmes. » Sa force ? Avoir travaillé avec les grands du PS : Pierre Joxe, Édith Cresson, Pierre Bérégovoy ou François Mitterrand en personne, dont il fut le dernier chef de cabinet à l'Élysée. Pour l'heure, Gaëtan Gorce se considère comme « un joueur de foot sélectionné en équipe de France ». Acceptant de rester sur le banc de touche, mais prêt à mettre ses crampons si l'entraîneur décide de le faire entrer sur le terrain.

Claude Évin

Un rocardien prêt à l'emploi

L'ancien ministre délégué à la Santé du gouvernement Rocard (auteur de la loi interdisant la publicité sur l'alcool et le tabac) aimerait bien, à 51 ans, faire son retour dans celui de Lionel Jospin. Éducateur spécialisé avant d'entrer en politique, il a l'expérience de l'Assemblée (sa première élection remonte à 1978), a présidé la Commission des affaires sociales entre 1981 et 1986, suit tous les dossiers relatifs à la santé, est rapporteur PS du projet de loi sur la Sécurité sociale et, à écouter ses proches, « ne rêve que de cela ». Lui-même, dans un style plus réservé, se dit « partant ». Autre atout : ses affinités avec Jean Le Garrec, avec lequel il discute des questions de santé et depuis peu… du départ de Martine Aubry. Ses détracteurs disent de lui qu'il est « intransigeant et obnubilé par le tabac » ou qu'il n'est pas assez « rond » pour mener des négociations. Son handicap (de taille) : une mise en examen dans le dossier du sang contaminé, l'Association française des transfusés lui reprochant d'avoir tardé à alerter les transfusés contaminés par le virus du sida. Un boulet que la classe politique trouve injuste, mais qui risque de compromettre ses chances.

Marisol Touraine

L'alibi féminin

À chaque remaniement, le nom de la députée d'Indre-et-Loire est évoqué. « Elle est forte pour faire elle-même courir le bruit de sa possible nomination », ironise un de ses collègues au PS. « Ce serait le signe que n'importe qui peut devenir ministre », dégaine un autre. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la maîtresse des requêtes au Conseil d'État, diplômée de l'IEP de Paris et de Harvard, est loin de faire l'unanimité. « Je ne comprends pas cet acharnement. Elle est pourtant compétente », plaide son amie Paulette Guinchard-Kunstler, qui rappelle sa contribution dans les récents débats sur la modernisation du système de santé ou sur l'avenir des retraites. Le drame de la secrétaire nationale du PS chargée de la Solidarité est d'avoir abandonné en 1997 son rôle de rapporteuse sur la loi de politique familiale – charge reprise au pied levé par Dominique Gillot – et de se faire si « discrète » aux séances de la Commission des affaires sociales. Son principal atout, au dire de certains, serait d'être une femme de 41 ans. « Elle maintiendrait le quota féminin dans le gouvernement. »

Alfred Recours

Comme son nom l'indique

Inconnu du grand public, le député et conseiller général de l'Eure est un spécialiste de la santé. À 55 ans, cet ancien professeur d'allemand, aujourd'hui inspecteur de l'Éducation nationale, est l'auteur de nombreux rapports sur le sujet, tant pour le PS que pour le gouvernement – le dernier concerne les moyens de réduire la consommation de tabac. Mais il fut surtout, en 1999, accompagné du véhément Jean-Claude Boulard, rapporteur socialiste du projet de loi sur la couverture maladie universelle. Yves Cochet dit de lui qu'il est « excellent » et que c'est « un très bon technicien, bourré d'humour, dont le gouvernement aurait tort de se priver plus longtemps ». Son nom a déjà été évoqué en 1999 pour remplacer Bernard Kouchner à la Santé. Mais Dominique Gillot lui avait alors été préférée. « C'est une proposition que l'on se doit d'étudier si elle se présente », déclare sereinement celui qui fut expert au Conseil économique et social, tout en précisant que, pour l'heure, il reste… « attaché » à son département et à la ville de Conches-en-Ouches, dont il est maire depuis 1989. Un homme averti en vaut deux !

Jean-Louis, Élisabeth et les autres…

La liste des prétendants à la succession de Martine Aubry compte quelques autres personnalités susceptibles d'entrer en lice. Tout d'abord, l'éternel outsider… Jean-Louis Bianco, ancien secrétaire général de la présidence de la République (entre 1982 et 1991) et ex-ministre des Affaires sociales du gouvernement Cresson. « On pense toujours à lui pour remplacer un ministre sur le départ », commente l'un de ses amis.

On l'attendait déjà à l'Éducation en mars dernier, une offre qu'il aurait refusée pour se représenter aux municipales à Digne-les-Bains, sa ville depuis 1995. Mais on évoque aussi le nom d'Élisabeth Guigou, qui voudrait goûter à d'autres plaisirs que la Justice. En outre, en quittant la chancellerie, elle libérerait un gros ministère pour le remuant Jean-Pierre Chevènement qui ne souhaite pas défendre le projet d'accord de Matignon sur la Corse au Parlement. Problème : l'actuelle garde des Sceaux est tête de liste pour les municipales à Avignon, et Lionel Jospin aurait du mal à justifier cette nomination en raison de sa règle de non-cumul des mandats. Deux autres ministres se verraient également bien changer de portefeuille : Ségolène Royal, à la Famille, et Dominique Voynet, à l'Environnement. Deux challengers peu probables, la première en raison de ses liens avec François Hollande, le premier secrétaire du PS, et la seconde en raison de sa couleur politique. Chez les femmes, les noms de Catherine Génisson, députée du Nord-Pas-de-Calais, et de Noëlle Lenoir, membre du Conseil constitutionnel, sont aussi timidement avancés. Enfin, la surprise serait un retour en France de Bernard Kouchner, exilé depuis plus d'un an dans les Balkans. L'actuel administrateur du Kosovo chercherait en vain une porte de sortie à ce bourbier de l'ex-Yougoslavie. Et si Jospin la lui offrait ?

Auteur

  • Marc Landré